LUCRÈCE: De la nature, livre IV
Publié le 22/04/2010
Extrait du document
« Signalons un vice grave de raisonnement [...] Évite cette erreur et garde-toi bien d'y tomber. La clairvoyance des yeux n'a pas été créée comme tu pourrais croire, pour nous permettre de voir au loin ; ce n'est pas davantage pour nous permettre de marcher à grands pas que l'extrémité des jambes et des cuisses s'appuie et s'articule sur les pieds ; non plus que les bras que nous avons attachés à de solides épaules, les mains qui nous servent des deux côtés, ne nous ont été donnés pour subvenir à nos besoins. Interpréter les faits de cette façon, c'est faire un raisonnement qui renverse le rapport des choses, c'est mettre partout la cause après l'effet. Aucun organe de notre corps, en effet, n'a été créé pour notre usage : mais c'est l'organe qui crée l'usage. Ni la vision n'existait avant la naissance des yeux, ni la parole avant la création de la langue : c'est bien plutôt la naissance de la langue qui a précédé de loin celle de la parole ; les oreilles existaient bien avant l'audition du premier son ; bref, tous les organes à mon avis sont antérieurs à l'usage qu'on en a pu faire. Ils n'ont donc pu être créés en vue de nos besoins. «
Le thème : La réfutation du finalisme.
La thèse : L'explication du vivant n'est pas finaliste, ce n'est pas la fonction qui crée l'organe, c'est l'organe qui crée la fonction. L'explication du vivant doit être mécaniste.
Les enjeux : L'explication du vivant est au coeur du texte : qu'est-ce qui distingue la vie de la matière ?
Deux conceptions de l'Antiquité s'affrontent : mécanisme et finalisme, Lucrèce contre Aristote. Ce débat perdurera à l'époque moderne entre Descartes et Kant. C'est de ces débats dont il faut rendre compte.
La structure : Le premier mouvement du texte (l. 1 à 10) est une critique virulente du finalisme. Le second mouvement du texte (l. 11 à 17) défend l'idée d'un mécanisme.
«
Deuxième partie
La conception mécaniste du vivant
Pour Lucrèce (comme Épicure), l'univers dans son ensemble est composé d'atomes matériels : il n' y a pas dedifférences entre le vivant et la matière.
Les êtres vivants sont composés d'atomes dont l'organisation est pluscomplexe que celle de la matière.
Les fonctions du vivant ne sont que des potentialités des organes (« c'estl'organe qui crée l'usage »).
Les exemples donnés par l'auteur montrent l'impossibilité du finalisme, car, même si onpeut accepter des fins, on ne voit pas comment ces fins pourraient agir comme des causes.
La vision ne peutexpliquer les yeux, la marche, les jambes, la parole, la langue.
Lucrèce défend l'idée d'organismes concrets.
S'iln'accepte pas une antériorité de la fonction sur l'organe, il n'en reste pas moins que ces arguments sont plus desaffirmations qu'une démonstration.
De plus si la conception finaliste antique et surtout les métaphysiquesdogmatiques qu'elle engendrera posent problème, la conception mécaniste antique de Lucrèce ne va pas elle nonplus sans poser problème.L'observation de la nature nous renvoie à un émerveillement, c'est-à-dire à un surcroît de rationalité, difficilementexpliqué par les thèses atomistes de l'auteur.
Ainsi l'observation de la nature semble indiquer que les êtres vivantsdépendent d'un projet.
Transition : Le texte oppose deux thèses antiques, mais cette opposition se poursuit, et, de fait, le vivant peut recevoir deux types d'explications.
Pour comprendre le vivant, nous poursuivrons le débat en opposant lesconceptions de Descartes et de Kant.
Troisième partie
Un choix est-il possible entre mécanisme et finalisme ?
L'explication mécaniste réduit le vivant à ses conditions matérielles ou aux lois physico-chimiques de la matière.Descartes considère la vie comme étant le résultat de déterminations physiques.
Les lois de la matière doiventsuffire à expliquer ce mystère qu'est la vie.
Tel est le sens de la théorie des « animaux machines ».
Les animaux nesont que des machines plus perfectionnées que les automates.
Ce que l'art de l'homme peut faire, Dieu peut le fairemieux.
Ces machines « faites des mains de Dieu » fonctionnent comme toutes les machines, selon les lois de la physique et sont composées de ressorts, de poulies, de cordes, figurant les muscles, les nerfs, les articulations.L'être vivant n'est qu'un assemblage mécanique.
La vie s'explique par les lois de la matière.
Mais nous pouvonsémettre deux critiques à cette conception mécaniste exemplaire.
D'une part, ce n'est pas l'art qui sert de modèle àla vie, c'est la vie qui sert de modèle à l'art, à la fabrication des automates.
D'autre part, si le fonctionnement desêtres vivants peut se dire selon des lois physico-chimiques, cette explication reste partielle, le comportement d'unêtre vivant ne peut se réduire à ces lois.
Le mécanisme n'explique pas pourquoi ces êtres vivants ont telle forme, pourquoi ces formes varient d'une espèce àune autre.
Comment expliquer la croissance, le visage de tel ou tel humain, la reproduction ? Une machine ne sereproduit pas, elle n'est pas auto-création, elle est l'oeuvre d'un artisan.
Le vivant a des caractéristiques (l'ordre, lafinalité, la reproduction) non expliquées par le mécanisme.
Kant caractérisera le vivant par ce qui dirigel'organisation, c'est-à-dire une forme, une force formatrice.
Il donne une explication vitaliste : que la vie suppose unprincipe vital irréductible aux lois de la physique, de la matière.
En effet le vivant a comme caractéristique de nepouvoir se réduire à un objet car il doit être pensé par rapport à son activité, à son milieu.
Si nous devons entendrecette spécificité, les découvertes scientifiques (molécule d'ADN) nous permettent de penser la présence de causesmatérielles, de faire du vivant un objet doué d'un projet.
Le mécanisme semble avoir gagné.
Conclusion
Faut-il donner raison à Lucrèce ? Il est vrai que ni le finalisme, ni le vitalisme ne peuvent donner de preuves ; bienplus la recherche contemporaine semble donner raison à une conception mécaniste.
Il reste que l'homme est un êtreà part dans la nature et que vivre n'est pas un mécanisme, c'est réitérer évaluation et jugement, c'est donner unsens, irréductible à un quelconque mécanisme..
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