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L'oubli est-il une déficience de la mémoire ?

Publié le 17/01/2022

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Pour le quidam, le sujet a de quoi surprendre ; en effet, il paraît évident que l'oubli soit un concept négatif et la mémoire un bien fait de l'humanité. Durant toute notre scolarité, on nous demande de solliciter notre mémoire, d'apprendre par coeur des poésies, des formules mathématiques, etc. Et l'antisèche est la preuve que l'oubli est à bannir... D'emblée l'oubli se positionne donc comme une défaillance de notre mémoire qui, elle, se pose comme l'arme absolue du savoir et de la connaissance. D'ailleurs, l'étymologie grecque vient confirmer cette approche : les mots concernant l'oubli sont construits à partir du « a « privatif de la racine signifiant « souvenir «, telle « amnésie « voulant dire absence de souvenir. De plus, la mémoire s'oppose à l'oubli par rapport à la vérité ; alèthéia qui signifie dire la vérité en grec, se construit à partir du « a « privatif et « lèthé « qui indique l'oubli. Nous sommes donc face à une longue tradition qui donne une image noircie de l'oubli, le faisant passer pour une défaillance de la mémoire.
Mais afin de dépasser cette doxa (car tel est le but de l'introduction d'une dissertation), il convient de réfléchir sur ce triple rapport naturel qu'entretiennent oubli, mémoire et connaissance/vérité. Car si l'oubli apparaît comme une négation de la mémoire, c'est que l'on considère, peut-être trop rapidement, que la mémoire est le seul accès au savoir et à la vérité. Ne peut-on pas concevoir l'oubli comme un complément de la mémoire et un début de recherche de savoir (comme lorsque j'ai souvenance d'un oubli et que je cherche à me rappeler d'un mot, d'un fait etc.) ? Ainsi, on peut très bien concevoir l'oubli comme, non pas une défaillance de la mémoire, mais comme un aiguillon vers le savoir, voire une force qui placerait alors la mémoire comme un handicap pour le quotidien : que serait-on si l'on se souvenait de tout ? Ne faut-il pas parfois « passer l'éponge « ? Ne serait-ce pas alors la mémoire qui est une défaillance de l'oubli ? L'oubli est-il une déficience de la mémoire ?


« interroge un jeune esclave.

Il lui demande comment construire un carré dont l'aire soit le double d'un premier carré.Le jeune esclave commence par doubler le côté du carré, mais ceci conduit à quadrupler l'aire du carré.

Aidé par lesquestions de Socrate, qui ne lui donne à aucun moment la solution, il découvre que le carré double d'un autre estcelui que l'on construit sur la diagonale.

L'esclave retrouve donc, du moins en partie, le théorème de Pythagore, qu'iln'a jamais appris.

Comment cela est il possible ? L'hypothèse platonicienne est que l'esClave possédait déjà cetteconnaissance.

Autrement ; dit, selon Platon, c'est comme si l'esclave se souvenait de cette réalité mathématique.« Nous devons avoir bon courage », dit Socrate, « et » nous efforcer de rechercher et de retrouver la mémoire dece dont nous avons perdu le souvenir ».

La connaissance est une réminiscence.

C'est pourquoi Socrate se définitcomme le digne fils de sa mère, qui était sage-femme, et déclare être un accoucheur d'âme.

Il ne fait, dans lesdialogues, que faire dire à son interlocuteur ce que ce dernier connaissait déjà : il l'aide à mettre sa connaissanceau monde mais il ne lui apporte pas cette connaissance.

Cette théorie explique ainsi que les degrés de laconnaissance puissent être variables.

Chez certains le sou¬venir est presque effacé, chez d'autres, comme lesphilosophes, il a été ravivé.Platon donne un nom à ces différents degrés.

Chez l'esclave, cette connaissance, qui n'est pas une connaissancescientifique parce qu'il n'a pas pratiqué les mathématiques, est ce que Platon appelle une opinion droite, paropposition à ['opinion fausse, qui caractérisait le savoir de l'esclave avant les questions de Socrate, et au véritablesavoir, épistèmè, que ne possède que le mathématicien, conscient des tenants et aboutissants de sa propreconnaissance.

Ainsi, explique Socrate, des hommes politiques célèbres comme Périclès ont-ils bien dirigé la cité.

Ilsne possédaient pourtant aucune science, épistèmè, de la politique, mais une opinion droite.

Dans ce domaine, lapolitique, qui relève de l'action, ce type de savoir peut suffire.

Mais parce que leur connaissance n'était qued'opinion, ces hommes politiques n'ont pu enseigner leur savoir à leurs enfants.

Leurs souvenirs n'étaient passuffisamment éclaircis par la pratique de la philosophie.Mais de quoi nous souvenons-nous et pourquoi ? C'est par un mythe que Platon répond à cette interrogation, dansle Phèdre.

L'âme est immortelle.

Avant de s'incarner dans les corps, elle a suivi les dieux dans les cieux et elle a eula vision des idées : l'essence de la justice, de la tempérance, etc.

Ce sont des réalités « sans couleur ni forme »d'où toutes les choses tirent leur existence.

Certaines âmes voient mieux que d'autres ces réalités ultimes, car lechar qu'elles conduisent est plus ou moins facile à conduire sur la route qu'elles suivent, selon que les passions,comme la colère, le désir ou l'ambition, sont plus ou moins bien domestiquées.

Les âmes, une fois ce voyage célesteaccompli, s'incarnent, et le souvenir de cette vision s'estompe.

Si elles sont bien cultivées par la philosophie, ellespourront se remémorer ce qu'elles ont vu.

Mais, une fois incarnées, quel chemin doivent-elles suivre sur la route dela philosophie ? En effet, l'idée que la mémoire comporte l'oubli, que la mémoire ne peut se penser qu'en prenant en compte l'oubli,nous la trouvons dans la psychanalyse dont le but est de faire ressurgir l'oublié.

Il s'agit en effet, de remonter dansl'inconscient afin de faire ressurgir un passé problématique.

Aussi, il est normal que l'oubli apparaisse comme négatifet une défaillance de la mémoire car il en constitue la profondeur qui réapparaît de façon déguisée et indirecte. Transition : Si l'oubli se positionne comme un constituant de la mémoire et parfois comme condition du savoir, on peut très bien cesser définitivement de le penser comme négatif et de l'aborder comme une force positive. 3) « L'âme bonne est oublieuse » (Plotin, Ennéade IV, 3, 32).

On pourrait se servir de cette citation pour montrer l'importance de l'oubli et ce sur deux plans. - Sur le plan intellectuel.

La mémoire ne retient que des faits particuliers, des évènements précis, une foule depetites choses qui n'ont parfois aucune importance.

Ainsi, la mémoire apparaît comme une incapacité à généraliseret à conceptualiser.

Pour reprendre la nouvelle de Borgès Funes ou la mémoire , l'auteur nous montre un homme (Funes) qui retient tout, à partir du moment qu'il le voit.

Or, cette mémoire prodigieuse est la conséquence d'unaccident qui le conduira à fixer une toile d'araignée car l'absence d'oubli l'empêche d'avoir des idées abstraites.

Etpenser c'est abstraire, c'est à dire oublier pour un temps le particulier.

Si j'ai l'idée de cheval, c'est que je peuxmettre de côté tous les chevaux que j'ai pu voir.

Et Funes en est bien incapable.

Ainsi se souvenir de tout aboutit àun isolement et à la mort de la pensée.

Ce n'est donc plus l'oubli qui est une défaillance mais la mémoire... - Sur le plan de l'action.

Notre capacité à agir efficacement tient au fait que notre mémoire est sélective et laissede côté ce qui est inutile pour l'action présente.

Si tout ressurgissait ou était éternellement présent à notremémoire, nous serions comme encombrés d'un tas d'outils, d'un tas de moyens qui nous empêcherait littéralement. »

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