l'organisation en société de la vie humaine n'est-elle pas une atteinte a la liberté ?
Publié le 29/11/2005
Extrait du document
- Bien définir les termes du sujet :
- " L'organisation en société " : la société désigne en général un ensemble d'individus organisés collectivement et unis par des rapports déterminés. Mais ici, il faut prendre le terme en son sens strict, la société se caractérise par des institutions codifiées qui maintiennent à travers le temps leur cohérence. Raison pour laquelle on parle d'organisation, il s'agit bien de "méthode" visant à la rationalisation des rapports entre les individus, de telle manière qu'ensemble ils forment un tout, et non pas une simple collection d'atomes juxtaposés. L'organisation en société se caractérise donc par une vie en commun qui obéit à certaines règles.
- " La vie humaine" : emploie du terme pour ne pas confondre avec les sociétés animales. Enveloppe non seulement les lien entre les individus, mais aussi les rapports qu'ils établissent entre eux, les moyens qu'ils utilisent pour subvenir à leurs besoins, et les activités dans lesquelles ils s'investissent.
- " Atteinte " : désigne un dommage, un préjudice, une infraction commise contre les intérêts des hommes.
- " Liberté " : le plus généralement, elle consiste dans le fait de pouvoir se mouvoir sans contraintes, de juger et agir en pleine conscience. C'est le pouvoir de se déterminer rationnellement sans y être contraint par une force extérieure.
- Construction de la problématique :
C'est de la liberté de l'homme dont il est question ici. A l'état de nature, cette liberté est une dimension constitutive de l'homme qui se déploie complètement. De ce fait, il semble logique que la vie en société, avec ses lois et ses contraintes, ne puisse pas l'amener à une plus grande perfection. Le sujet invite ainsi à se demander si au contraire, la vie en société ne menacerait pas cette liberté.
Se pose donc la question de savoir si les modifications qui dénaturent la condition originelle de l'homme ne le dénaturent pas par la même occasion, en lui faisant ainsi perdre sa liberté.
«
l'injuste, et des autres notions morales, et c'est la communauté de ces sentiments qui engendre famille et cité. » Seule la cité, la « polis », transcende les simples nécessités vitales et animales et permet à l'homme d'accéder à sa pleine humanité.
Elle naît de la mise en commun de ce qui est spécifiquement humain : la raison et les sentiments moraux.
Ainsi les modernes ont-ils tort de parler « d'animal social » : ce qu'Aristote désigne est moins l'appartenance à une communauté quelconque, ou encore régie par des intérêts « économiques », que l'accès à une sphère autre, seulement politique, et qui permet à l'homme de s'épanouir en tant qu'homme, de viser le bonheur, d'entretenir avec lesautres hommes des liens libres, libérés de tout enjeu vital.Plus étranges peuvent paraître les deux autres thèses, liées, d'Aristote, affirmant que la cité est une réalité naturelle, et surtout, qu'elle estantérieure par nature à l'individu.
Cela signifie que l'homme n'est pas autosuffisant : il n'est qu'une partie d'un tout : la cité, comme la mai est partiedu corps.
Pas plus que la main n'existe réellement sans le corps, l'individu humain n'existe sans la cité.
C'est d'elle qu'il reçoit son humanité, sondéveloppement, son statut moral.« Mais l'homme qui est dans l'incapacité d'être membre d'une communauté, ou qui n'en éprouve nullement le besoin, parce qu'il se suffit à lui-même, ne fait en rien partie de la cité et par conséquent est ou une brute, ou un dieu » Ne pas appartenir à la « polis », lei d'humanité, c'est être soit infra-humain, soit supra-humain.L'exposé d'Aristote reprend la conception classique de la cité au sens grec.
La cité n'est pas un Etat (forme barbare pour les Grecs), elle n'est pasliée à un territoire (comme aujourd'hui où la citoyenneté se définit d'abord par référence au sol, à la « patrie »).
La cité est une communauté d'hommes, vivant sous les mêmes mois et adorant les mêmes dieux.
L'idéal grec est celui d'un groupe d'hommes pouvant tous se connaîtrepersonnellement.
L'idéal politique est donc celui d'une communauté d'hommes libres (non asservis par le travail et les nécessités vitales, disposantde loisirs) et unis par la « philia ». Quand les contemporains parlent « d'animal social », ou quand Marx déclare que l'homme est « animal politique », ce ‘est pas au même sens que les Grecs.
La polis n'est pas une communauté économique, au contraire : elle naît quand on peut s'affranchir de la contrainte économique etdisposer de loisirs.
Ainsi les esclaves ne sont-ils pas citoyens, ainsi le statut des artisans est-il difficile (Aristote dit qu'ils sont en « esclavage limité »).
Le travail est ressenti comme une nécessité (vitale, économique) et la « polis » est un lieu de liberté. Enfin Aristote polémique avec Platon. Pour ce dernier, les liens d'autorité sont les mêmes pour le chef de famille, le chef politique, le maître d'esclaves.
Ces types de gouvernement ne différent que par le nombre d'individus sur lesquels ils s'exercent.
Or, Aristote restitue des différences,selon que l'autorité s'exerce sur un être déficient, comme est censé l'être l'esclave, des êtres libres mais inférieurs comme le seraient la femme etl'enfant, ou encore entre égaux, ce qui est le cas proprement politique.Le pouvoir politique s'exerce donc au sein d'hommes libres et égaux.
Par suite, il n'a aucune mesure avec le pouvoir paternel.
Dans unecommunauté politique, nul ne peut se prévaloir d'une supériorité de nature pour gouverner : ainsi chaque individu sera-t-il alternativementgouvernant et gouverné.
L'idéal de la « polis » exige que chacun puisse, en tant qu'homme libre, égal aux autres, prétendre au pouvoir pour un laps de temps déterminé.Les modernes renieront, en un sens, l'enseignement d'Aristote, en faisant de l'individu souverain un être autonome, indépendant, capable dedécider pour lui-même de ses actions.
Toute la tradition politique dont notre monde est issu rejettera l'idée que : « La cité est antérieure à chacun de nous pris individuellement. » ∙ C'est bien un plus degré de perfection – qui touche aussi la liberté - qui est permis par la vie en société, puisque cette dernière permet aux hommes de se débarrasser des besoins vitaux de la sphère privée.
L'homme peutainsi appartenir à la sphère publique, celle de la politique et de la liberté par excellence, puisque l'homme participe àla vie de la cité.
(pour + de précision, voir La condition de l'homme moderne, Arendt) è La vie en société ne porte donc pas atteinte à la liberté, puisqu'elle fait partie de la nature de l'homme. Bien au contraire, sa codification permet à l'homme de s'affranchir de la sphère privée pour entrer dans la sphère dela politique où il peut ainsi déployer toute sa liberté. II/ La vie en société se caractérise avant tout par la contrainte : Voir les choses sous cet angle, c'est penser que la vie en société et les institutions qui la régissent ne dominent pas les hommes, ne les forcent pas à s'assembler, mais au contraire les aident à s'accomplir.
Pourtantnous ne pouvons pas nous empêcher de ressentir les règles comme étant des contraintes. ∙ C'est ce qui apparaît dans la pensée de Hobbes.
Pour les penseurs du contrat social, l'homme n'est pas à l'état de nature un être sociable, bien au contraire, et il faut faire être cet être ensemble, le créer de toute pièce.Le modèle n'existant pas dans la nature, c'est le pouvoir politique qui va organiser la société.
Les hommes n'ayantpas l'habitude de ce mode de vie, il faut des lois pour les forcer à agir contre leur nature.
C'est ainsi que la vie ensociété apparaît bien comme une atteinte à la liberté. ∙ Pour que la vie en société soit possible il faut donc des lois, et pour que ces lois soient respectées, il faut un pouvoir qui oblige les hommes à s'y soumettre.
Le pouvoir politique apparaît ainsi comme un pouvoir dedomination qui ne prend pas en compte la nature de l'homme, et qui détruit ainsi sa liberté.
La vie en société apparaît donc comme une dégénérescence de l'état de nature, une modification de l'être de l'homme.
Ce dernier était libre, et étant forcé à vivre en société, il a dû respecter certaines lois et conventions quilui ont fait perdre sa liberté. III/ Mais il n'est pas possible de ne pas vivre en société : Nous avons beau dire que la société dénature l'homme et lui enlève une part de liberté en le soumettant à des règles qui ne sont pas naturelles, il n'en reste pas moins qu'il n'est pas possible de faire autrement, puisquel'homme semble avoir besoin de vivre avec autrui. ∙ C'est ce dont parle Kant lorsqu'il parle de "l'insociable sociabilité".
Cette nature conflictuelle de l'homme se caractérise par le fait qu'il est d'un côté attiré par les autres hommes –sociabilité qui permet le développement despotentialités humaines- « L'homme a une inclination à s'associer, parce que dans un tel état il se sent plusqu'homme, c'est à dire qu'il sent le développement de ses dispositions naturelles » ; et que de l'autre il tend à s'en.
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