Il y a donc de l'ordre et du désordre indépendamment d'un état
psychologique de notre part, ordre et désordre font sens pour nous mais peuvent
être rapportés à l'être même. A un caractère phénotypique jugé pathologique
correspond un désordonnement génétique (les choses sont certainement bien plus
complexes), la démultiplication cellulaire qui abouti au cancer est bien le
renversement d'une norme physiologique positive, qui n'est pas créée dans
l'esprit de l'homme. Ordre et désordre sont donc deux états positifs, non
psychologiques (ce qu'ils peuvent être aussi), et s'opposent en fonction d'une
norme, celle de la santé, de l'entropie, ou autre. Ici l'opposition est moins
aisément réversible puisqu'elle correspond à la nature même des choses.
III- L'ordre peut se fonder sur le désordre.
Mais au-delà de l'ordre
d'une série numérique ou génétique il existe aussi l'ordre politique et moral.
Or si l'ordre souhaité par une autorité, qu'elle soit politique, morale ou
religieuse, doit s'obtenir par réduction et transformation de ce qui est jugé
contraire à cet ordre, il n'en reste pas moins que le désordre alimente l'ordre.
Le rapport est peut-être toujours d'opposition mais il est plus
subtil que cela, par exemple un pouvoir peut asseoir son autorité, sa
légitimité, en combattant un désordre qu'il crée lui-même ou au moins qui lui
sert d'alibi pour durcir ses mesures. Les nazis incendièrent ainsi le Reichstag
en accusant les communistes afin de pouvoir plus facilement faire passer leurs
mesures totalitaires.
L'ordre moral ou politique, plus il tend vers le
totalitarisme et l'intolérance, se justifie par l'opposition à un désordre porté
en effigie mais qui en même temps lui est nécessaire.
Au niveau lexical ordre et désordre se présentent comme opposés l’un à l’autre, le second étant l’inversion, ou plutôt une dégradation du premier. Mais l’ordre n’est-il pas un état purement idéal, d’équilibre jamais atteint ? Et le désordre n’est-il pas lui-même une pure construction psychologique, une impression ? Aussi nous trouvons-nous avec sur les bras un couple de concepts qui, s’ils visent à décrire ou traduire des situations réelles, sont peut-être bien rivés à l’arbitraire de notre subjectivité : ordre et désordre seraient davantage des étiquettes collées aux états de choses plutôt que la réalité de ces états elle-même. Mais que la dualité ordre-désordre soit ou non suspendue à la psychologie d’un sujet, encore faut-il demander si la relation est toujours d’opposition, c'est-à-dire si l’ordre ne se construit qu’en excluant le désordre.