L'ordre social et étatique comme artifice humain chez Hobbes. ?
Publié le 02/08/2009
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L’intérêt de la philosophie de Hobbes (1588-1679) est de s'inscrire résolument dans la perspective d'une pensée sociale laïque, sans se laisser tromper par l'idée d'état de nature. Cet état de nature, Grotius le voulait révélateur de la sociabilité naturelle de l'homme, de la présence en l'homme d'un penchant inné à la bienveillance et à la concorde. Mais une telle supposition sonne creux si l'on tourne son regard vers l'histoire humaine. Témoin lucide d'une société vouée aux guerres et déjà livrée à la concurrence impitoyable du marché, Hobbes rappelle que nous fermons la porte de nos maisons à clé, alors que nous vivons dans une société où il y a des lois et des institutions répressives pour les faire respecter. Qu'en serait-il alors s'il n'y avait point de lois ni de force publique ? C'est ce que Hobbes nous demande d'imaginer avec lui lorsqu'il présente la « condition naturelle des hommes « (Hobbes, « Léviathan «, Sirey, chap. 13). Hobbes n'envisage donc pas un chimérique état de nature où l'homme vivrait séparé des autres hommes. Mais il ne prend pas la société pour une évidence. Il veut comprendre comment se forme la société, comment elle prend forme. Pour cela, il décompose la société en ses éléments initiaux que sont les individus, ces « atomes de société « doués du pouvoir de persévérer dans leur être (« conatus «). Les individus sont « libres «, comme l'eau qui coule lorsqu'ils ne rencontrent pas d'obstacles pour développer leur propre puissance et satisfaire leurs aspirations.
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Par ce contrat d'association, les hommes introduisent une nouvelle redistribution des forces en présence, puisqu'ilsrenoncent à faire librement usage de leurs forces pour les remettre entre les mains du souverain.
Tout se passecomme si chacun disait à chacun: j'autorise cet homme ou cette assemblée à me gouverner, je lui aliène mon droitnaturel, à condition que tu en fasses autant.
Cela suppose que chacun puisse se dire à lui-même : si je conservaisma prétention à n'être limité que par mes forces naturelles, la menace d'une mort violente pèserait sur moi enpermanence.
Si, en revanche, je provoquais une nouvelle répartition des forces, celle-ci pourrait m'être favorable.Le contrat social est, selon Hobbes, cet artifice qui permet de substituer la paix sociale à l'état de guerre.
Elémentfondateur de l'ordre social, le contrat social crée une nouvelle peur: la peur de la force publique, incomparablementsupérieure à la force dont disposent les individus.
Les hommes savent d'expérience ce que valent les engagementsqui ne sont pas garantis par la force publique : « Les conventions, sans le glaive, ne sont que des paroles, dénuéesde la force d'assurer aux gens la moindre sécurité » (ibid., p.
173).
Ils savent aussi qu'en désobéissant au souverain,ils ne sont pas seulement dans la crainte des représailles d'un égal, mais dans la crainte du châtiment du Léviathan,qui est l'homme artificiel incarnant la puissance publique.
Le contrat social produit une peur construite, commune àtous, peur de la puissance souveraine, assez dissuasive pour empêcher les hommes de tomber dans le désordre etl'insécurité permanents.
En consentant à obéir au souverain, les hommes se forcent à devenir sociables.
Ils se donnent les moyens dedévelopper leur humanité, en ne vivant plus dans l'alerte permanente pour leur survie.
Mais lorsque la peur pour savie propre est la raison dernière de l'ordre social, le prix à payer « pour qu'il y ait société » est lourd.
Pas de sociétéstable sans société politique, explique Hobbes, et pas de société politique sans la constitution d'un pouvoir absolu.Dans l'état de nature, le maximum de liberté s'accompagne d'un minimum de sécurité.
Dans l'état civil, le maximumde sécurité a pour contrepartie le minimum de liberté.
Il n'est de véritable pouvoir politique que si l'individu sedépossède de son pouvoir d'autodéfense qui est aussi sa force offensive.
Il est vrai que l'individu ne donne rien aaucun autre individu particulier.
La promesse d'obéir au souverain implique pour chaque individu que les autres enfassent autant.
Le contrat social fondateur n'est pourtant pas un contrat comme les autres.
Le désistement parchacun de ses droits s'effectue au profit d'un tiers : le souverain.
Institué par le contrat social, le souverain neprend pas part au contrat.
La théorie hobbienne du contrat social permet de montrer avec clarté que le rapport deshommes à la société n'est pas de même nature que celui qui s'établit entre personnes privées.
À la différence descontrats privés, le contrat social ne crée pas d'obligations réciproques.
Le contrat social implique toutefois une forme d'échange puisque les hommes reçoivent, en contrepartie de leursoumission, l'assurance de vivre dans un monde pacifique.
De ce point de vue, ce que l'on a appelé le « volontarisme» de Hobbes doit être nuancé.
Pour Hobbes, la société humaine se fonde sur la volonté des individus, car leshommes ne sortent pas spontanément d un état de guerre.
La paix ne s'impose pas d'elle-même, elle doit êtrevoulue, décidée, organisée.
Mais la volonté ne s'exerce pas comme un décret abstrait.
Elle s'enracine au contrairedans la vie, les intérêts et les passions.
Il y a toutefois une rigueur impitoyable dans la théorie hobbienne qui semblenous dire : si vous désirez vivre dans une société qui vous garantisse la paix, alors admettez que vous ne devez pascontester le souverain.
Car si un individu ou un groupe s'avisait de réclamer des droits au souverain, il n'y aurait plusde souverain.
Et s'il n'y a plus de souverain, la société se dissout d'elle-même, et on retrouve alors l'état de guerre.Le refus d'admettre un droit .
de résistance se retourne cette fois contre la religion à qui est refusé le droit decontester les institutions de la société humaine au nom de principes transcendants.
La première objection que l'on opposera à Hobbes porte sur la possibilité de se fier indéfiniment à un homme ou àune assemblée pour assurer la concorde.
Et si le souverain devenait fou ? Et si les individus s'étaient trompés aumoment du choix décisif ? Est-il raisonnable de supposer qu'ils ne puissent revenir sur leur décision ? On répondraque la force du souverain dépend du degré de satisfaction des individus.
Le souverain doit être le garant de l'accordde l'intérêt public et des intérêts privés.
Par nature, le souverain ne peut être un tyran capricieux.
S'il use desprérogatives que lui confère le contrat social pour servir son propre intérêt, il contredit son essence.
Comment, dansces conditions, supposer que des hommes qui ont renoncé à leur liberté naturelle par crainte pour leur vie,continuent d'obéir au souverain ? Hobbes admet qu'il y a en l'homme un fond de nature irréductible, que l'ordre socialne peut modeler.
La spontanéité du vouloir-vivre se manifeste encore, même lorsque l'individu a consenti à sapromotion de citoyen.
Il y a pour Hobbes un domaine qui se place en marge de la loi civile, et qui exprime la forceinhérente à la nature humaine.
Mais ce n'est pas là un droit, au sens où l'on parlerait aujourd'hui des droitsinaliénables de la personne humaine.
Le droit naturel est pour Hobbes un pseudo-droit, simple expression du pouvoirnaturel en chacun.
La théorie de Hobbes ne reconnaît donc pas aux citoyens un droit d'insoumission, lorsque lasouveraineté ne s'exerce pas conformément à son essence.
Le citoyen que le contrat social a créé n'est pas unsujet de droit, mais un sujet assujetti, soumis au souverain.
La crainte du châtiment apparaît alors comme «l'élément liant » ultime de la société politique.
En fondant la société sur la soumission à un pouvoir absolu, Hobbes n'envisage pas que les hommes puissent être lessujets actifs de la vie publique.
On peut certes soutenir que plus les individus sont satisfaits, plus la société estforte.
Mais la relation individu/société joue principalement en sens inverse.
La théorie hobbienne conduit à poser queplus la société est forte, plus les individus peuvent espérer satisfaire leurs aspirations.
On se trouve avec Hobbesdevant ce que Marx nomme la « forme aliénée de la politique » où l'individu peut d'autant plus se développer quel'État est fort.
La pensée hobbienne de la société gravite autour de la puissance étatique.
Les individus sont lescréateurs de la société politique, mais ils n'en sont pas les acteurs.
La souveraineté procède de la volonté desindividus coalisés, mais une fois instaurée, la souveraineté ne saurait, par principe, être divisée ni contestée..
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