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"Loin de discerner ou encore de singulariser, la mode intègre; le modèle qu'elle impose est un uniforme, qui uniformise" affirme Mikel Dufrenne. Qu'en pensez-vous ?

Publié le 31/03/2009

Extrait du document

— Le terme de mode désigne les canons périodiquement changeants de l'élégance vestimentaire au sein d'une société. Elle s'étend sur tous les domaines de l'apparence : langage, décoration, véhicules, style de vie...

— Par son caractère futile et fugace, sa volonté d'échapper aux habitudes, la mode s'oppose à l'uniforme, et semble totalement inutile à la cohésion de la société. Des penseurs à la recherche du régime idéal, comme Platon ou Fénelon, l'ont d'ailleurs vigoureusement exclue de leur utopie. Tandis que d'autres la condamnent comme une folie.

— Pourtant, dans un numéro de la revue Traverses consacré en 1976 à ce phénomène, Mikel Dufrenne écrit : « Loin de discerner ou encore de singulariser, la mode intègre; le modèle qu'elle impose est un uniforme, qui uniformise. «

Questions :

1. En quoi la mode donne-t-elle l'impression de singulariser?

2. Par quel processus aboutit-elle à l'uniformité ?

3. Ce jugement est-il à nuancer ?

« démocratique les distinctions dues autrefois à la naissance, aujourd'hui à la richesse, la seule différence étant dansla rapidité des changements d'uniformes. — Les individualités fortes créent une pléthore falote d'épigones : les stars du cinéma ou de la chanson sont bientôtpourvues de sosies, Marilyn ou Renaud, qui courent les rues avec leur blondeur ou le foulard rouge au cou. 2.

Rôle de l'économie — L'économie de marché contribue puissamment à l'uniformisation : la confection vulgarise la Haute couture, onimpose à chaque saison, la teinte, la coupe, l'accessoire prestigieux ou amusants qui vont pousser à laconsommation : la mode viendrait de quelques marchands avides de provoquer un engouement lucratif à coup depublicité médiatique. — Il est certain que la Haute couture fut accusée de dictature, que des organisations comme Modeurop fixèrentpour les distributeurs de plus de quinze pays les couleurs du cuir en vogue (gants, sacs, ceintures), que les gadgetsse succèdent : bubble-gum (1950), scoubidous (1959), hulahop (1963), yoyo (1965), porte-clés (1970), boules tic-tac (1972), autocollants (1973), fontaines lumineuses (1974)... — Enfin la mode sait à merveille récupérer tout ce qui plaît, y compris les mouvements qui la contestent.

Exemple leplus spectaculaire : le retour des jeunes à la nature, leur refus de la société de consommation violent, dans lesannées 68-70, aboutit à la diffusion de chemises grand-mère en coton, sabots, pantalons rapiécés, délavés et àfranges, bientôt portés par tous. Dès 1929, une enquête d'Elisabeth Hurlock (Psychology of dress) montrait que la plupart des femmes interrogéessuivaient la mode pour ne pas se faire remarquer, non pour se distinguer.

P.

Valéry écrit dans Rhumbs : « La modeétant l'imitation de qui veut se distinguer par celui qui ne veut pas être distingué, il en résulte qu'elle changeautomatiquement.

Mais le marchand règle cette pendule.

» Ainsi s'explique la spirale incessante et dialectique duphénomène. III.

Quelques nuances 1.

La multiplication des créateurs — La révolution du prêt-à-porter, dans les années 50-60, a permis de rompre le couple formé par la Haute couture,qui décidait la mode, et la confection, qui l'imitait sans la qualité ni l'esthétisme.

De nos jours les vêtements beaux,originaux et pas chers peuvent facilement être acquis par le grand nombre.

La multiplicité des créateurs est telle,comme leur variété, que le choix possible augmente : à côté de Dior ou de Yves Saint-Laurent prospèrentManoukian, Benetton, Naf-Naf, tandis que Kenzo ou Issey Miyaké introduisent des influences étrangères.

En fait, lesstylistes de ces griffes perpétuent un style propre plus qu'ils ne transforment les goûts à chaque saison. — Aucun engouement notoire ne transforme plus de manière systématique les silhouettes ou les habitudes pour unété ou un hiver.

En revanche les modes se multiplient et se mélangent, au point que récemment un livre de troiscents pages, Les mouvements de mode expliqués aux parents, se proposait plaisamment de guider les profanes dansla jungle des looks, rasta, new-wave, funk, branché, B.C.B.G... — La mode quitte son réel pouvoir d'uniformisation pour se dissoudre en des modes, dont le pouvoir contraignantdiminue.

De plus en plus chacun puise dans ce fonds commun selon l'humeur, les goûts : la même jeune femmepassera en quelques heures d'une minijupe amusante au blue-jean, pour mettre ensuite un tailleur plus strict...

Lenombre des uniformes crée la diversité et la liberté. 2.

Un changement de mentalité — Autres exemples qui montrent ce changement des mentalités : les coiffeurs cherchent moins à imposer la dernièrecoupe à la mode, et se penchent davantage sur les individualités, comme l'indique le slogan « Recoiffe-moi le moral».

Les constructeurs d'automobiles ne sortent pas un nouveau modèle par an, pourvu de gadgets qui rendront «ringard » celui qui n'en jouira pas : Renault au contraire conserve l'esthétique de la R 5 pour créer la Supercinq,parce qu'elle est devenue classique, mais en revanche propose vingt-deux versions différentes du modèle, sanscompter les couleurs et les accessoires, pour répondre à la demande très diversifiée du public. Conclusion — La phrase de Mikel Dufrenne a le mérite de montrer le paradoxe de la mode, qui à la fois distingue et uniformise,part de l'anti-conformisme pour aboutir au conformisme. — Cependant son analyse doit être nuancée à la lumière de l'évolution récente : mode et démodé sont moinstranchés.

La critique à laquelle il se livre appartient d'ailleurs...

à une mode aujourd'hui passée, et qui consistait àrefuser la société de consommation, la publicité, les manipulations des masses, dans les années 70.

La leçon ayantporté ses fruits, le modèle unique disparaît au profit de tendances qui reflètent la multiplicité acceptée, doncintégrée.. »

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