L'oeuvre d'art nous éloigne-t-elle de la réalité ?
Publié le 27/07/2009
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Paradoxalement c'est Balzac, romancier que l'on qualifie de réaliste qui dans Le chef d'œuvre inconnu, nous montre l'impuissance de l'artiste à égaler le réel. Si Frenhofer le peintre génial, sombre dans la folie et finalement meurt, c'est moins parce qu'il veut imiter le réel, représenter la vie, mais la créer. Par-là ne veut-il pas dépasser les limites de sa condition humaine, se faire l'égal d'un dieu ?
Mais l'art n'est au fond pas l'affaire des dieux. Lié à la finitude de l'être humain il pourrait sembler toujours en marge du réel. Cependant la question se pose de savoir ce que l'on entend par réel. Car se demander si l'art nous éloigne du réel, c'est supposer une proximité primordiale, première. Si l'expérience nous éloigne du réel c'est que nous pouvons en être proche par ailleurs. Mais le réel est-ce l'ensemble des phénomènes, la vérité, l'existence ? Il pourrait bien sembler que la science ou la philosophie aient plus à nous apprendre sur le réel de quelque façon qu'on l'envisage.
Mais si l'art échoue à reproduire le réel n'est-il que pur divertissement ? Comment en comprendre alors l'importance qui en fait un des plus grand moments de la culture ?
L'art ne nous dévoile-t-il pas au fond quelque chose de l'essence humaine du réel ? Plus encore, l'art ne nous met-il pas au cœur d'un monde humain, seulement humain ? Nous ne pourrions plus nous penser alors proches ou distants du réel mais dans notre monde.
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Il doit régner partout, et même dans la fable De toute fiction l'adroite faussetéNe tend qu'à faire briller la vérité L'œuvre d'art se donne comme fin de mettre en évidence la vérité.
La fiction n'a de sens que, d'une certaine manière, comme artifice pédagogique.
L'art ne nous éloigne ou ne nous rapproche pas du réel, il permet de le mettre enlumière de le faire voir à qui ne le verrait pas. Mais dès lors on voit bien que l'art perd toute spécificité.
Ce qui reste déterminant dans notre accès au réel conçu comme vérité c'est la science ou la philosophie.
L'art ne peut-être qu'un accès secondaire innessentiel au réel.Au fond, pourquoi s'en remettre à l'expérience esthétique pour connaître la vérité. C'est bien en ce sens que nous pouvons lire la célèbre condamnation de l'imitation dans le livre X de La République de Platon.
Le troisième lit, celui qui est l'œuvre du peintre est éloigné de trois degrés du lit réel .
Il n'est qu'apparence d'apparence : Lequel de ces buts se propose la peinture relativement à chaque objet : est-ce de représenter ce qui est tel qu'il est, ou ce qui paraît tel qu'il paraît ? Est-ce l'imitation de l'apparence ou l'imitation dela réalité ? De l'apparence L'imitation est donc loin du vrai, et si elle façonne les objets, c'est semble-t-il parce qu'elle ne touche qu'à une petitepartie de chacun, laquelle n'est d'ailleurs qu'une ombre. L'art, et plus précisément l'art imitatif, est donc apparence d'apparence, mais plus encore il est illusion dans le sens ou il nous conduit à prendre ses chimères pour la réalité.
Il est emblématique à cet égard que la célèbre allégoriede la caverne nous montrent les hommes asservis par des images projetées sur un mur.
Il y a dans la description decette fascination comme une étonnante anticipation de notre rapport contemporain aux images déterminé par ce quipeut bien apparaître comme l'art du vingtième siècle : le cinéma.
Comment ne pas faire le parallèle entre certainsenfants qui ne font plus la différence entre une vraie guerre et celle "pour rire" du cinéma hollywoodien, et les esclavesqui prennent des ombres sur un mur pour la réalité.
L'art (qui n'est pas toujours du grand art) non seulement nouséloigne du réel mais peut par ses capacités de séduction esthétique nous tromper, nous faire prendre le faux ou aumieux pour le vraisemblable au pire pour le vrai. III ) art et divertissement Cependant le parallèle entre les esclaves de la caverne et les spectateurs fascinés a une limite de taille. Contrairement aux hommes enchaînés de Platon, nous avons toujours la liberté de quitter une projection, et surtoutnous avons eu la liberté de choisir de nous laisser emporter dans la fiction.
On se laisse moins tromper par l'expérienceesthétique que l'on choisit de mettre entre parenthèse notre rapport habituel au réel.
Mais dès lors, ce choix, cettedécision n'est-elle pas le signe d'une fuite hors des contraintes de la réalité.
L'art ne nous éloigne-t-il pas du réel dansle sens ou il devient l'occasion de ne pas l'affronter ? Car le réel de l'homme, n'est-il pas plus fondamentalement avant la vérité sa vie concrète faite d'action de production.
Vie sérieuse à la nécessité de laquelle s'opposerait l'inutilité la légèreté de l'art.
La généralisation de l'accèsaux œuvres d'art, la démocratisation des pratiques artistiques ne sont-elles pas liées après tout, à des sociétés ou àdes groupes sociaux qui se sont affranchies de la sphère du pur besoin.
L'art apparaît en marge de la vraie vie.
Pourla plus grande partie des hommes, l'art relève du loisir.
Consacrer sa vie à l'art ne peut-être le fait que d'une minoritéprivilégiée.
Pour tous les autres l'expérience esthétique est au mieux un moment ou l'on met de coté tout ce qu'il estimportant de faire ou de penser, au pire n'a pas le moindre sens, tant les contraintes réelles mobilisent leur existence. Ne pourrait-on pas même affirmer que l'art n'a de sens que dans cette rupture.
Lire un roman, interpréter une pièce musicale, c'est pour un instant s'arracher au monde, s'éloigner de la réalité triviale de notre vie de tous les jours.La fréquentation des œuvres d'art ou la pratique d'une discipline artistique sont autant de voyages loin des contrainteset difficultés d'un réel que nous voulons fuir.
"On s'évade" dira-t-on, signe que l'art nous permet ne fût-ce qu'uninstant d'échapper à ce qui nous pèse comme un enfermement.
" Ne fût-ce qu'un instant" car il ne peut s'agir qued'une échappée toute provisoire qui reste conditionnée à un retour nécessaire. Aussi notre rapport à l'art pourrait s'apparenter à une fuite ; l'artiste lui-même, non pas "l'artiste du dimanche" mais celui qui voue sa vie à un art n'est-il pas souvent considéré comme celui qui refuse d'affronter la réalité.
Fuitehors du monde mais surtout fuite hors de soi même.
L'art nous éloigne de nous même.
L'artiste recréant un monde,monde non pas forcément meilleur, mais monde que transcende la dimension esthétique, et surtout monde dont il est lemaître absolu se donne les moyens de ne plus être cet homme ou cette femme de tous les jours, enfermée dans leslimites de sa vie réelle.
Ainsi par exemple le petit bourgeois du début du siècle vivant dans un monde étriqué etsuperficiel finissant sa vie enfermé dans une chambre par une maladie pénible devient par le miracle de l'art le narrateurde La recherche du temps perdu qui ordonne et donne un sens lumineux à tout ce qui aurait pu sembler sans cela une vie sans intérêt. Aussi l'art est divertissement au sens le plus faible de ce mot, comme loisir mais aussi au sens le plus fort divertissement lié au sentiment de notre finitude : Les hommes n'ayant pu guérir la mort la misère l'ignorance, ils se sont avisés pour se rendre heureux de n'y point penser.
( Pascal Pensée 132) IV L'art comme condition d'un monde Mais dès lors, l'art apparaît comme un paradoxe.
Car si elle nous éloigne du réel, de quelque manière qu'on l'envisage, l'expérience esthétique ne nous laisse pas indemne, elle nous change et change le monde.
Les œuvres, lesgrandes œuvres, laissent des traces, et par-là, transformant notre regard, changent le réel.
Le cinéaste allemand WimWender disait qu'à défaut de pouvoir rendre le monde plus beau il faisait de belles images.
Mais ces belles images font à présent parti de ce monde et finalement l'embellissent.
De même le lecteur de la recherche du temps perdu,s'éloignant le temps de sa lecture, de son monde, de lui-même, ne revient pas, une fois le livre fermé à son point de.
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