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L'oeuvre d'art n'est-elle que le miroir de son époque ?

Publié le 24/08/2017

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Ce sujet est très difficile. On ne peut en effet répondre à la question que si l'on a donné une définition de l'œuvre d'art. Or il n'est pas aisé de fournir une définition de ce genre. La difficulté majeure du sujet réside donc là. Nous devons recommander aux élèves de bien prendre soin de ne pas remplacer la recherche d'une définition par une énumération d'exemples. Il ne suffit nullement de dire qu'une œuvre d'art c'est la Joconde ou la Grande Pyramide par exemple. On constatera d'abord que la recherche d'une définition de l'œuvre d'art semble nous faire pénétrer dans un cercle. D'un côté l'art d'œuvre renvoie à l'art, de l'autre l'art ne se manifeste que par des œuvres. Il faudra entrer résolument dans ce cercle en tentant de dégager le caractère propre de l'œuvre d'art. Ce n'est qu'une fois ce travail accompli que la question acquiert tout son sens. On fera bien de ne pas glisser trop rapidement sur le miroir. 

« poétique.

La dimension poétique n'est pas une affaire de littérature.

Tout homme en est porteur ; chez presque touselle se tarit.

A qui la faute ? Nous ne pouvons ici, sous peine de nous laisser entraîner hors de notre sujet, queposer la question, non sans indiquer toutefois qu'il serait sot, ou hypocrite, — et dans un cas comme dans l'autrec'est l'histoire qu'on oublie — de croire ou de faire croire que la « nature de l'homme » est ici seule en cause.

Quoiqu'il en soit, les poètes disent encore, et depuis toujours, cette présence des choses.

Mais chaque homme peutl'éprouver, et c'est cette épreuve que font parfois les amoureux : « J'ai retrouvé la source.

C'est elle qu'il me fallaitpour me reposer du voyage.

Elle est présente.

Les autres...

[les points de suspension figurent dans le texte.

Cen'est donc pas une coupure dans celui-ci que nous pratiquons].

Il est des femmes dont nous disions qu'elles sont,après l'amour, rejetées au loin dans les étoiles, qui ne sont rien qu'une construction du cœur.

Geneviève...

[mêmechose que précédemment] tu te souviens, nous la disions, elle, habitée.

Je l'ai retrouvé comme on retrouve le sensdes choses et je marche à son côté dans un monde dont je découvre enfin l'intérieur ».

Elle lui venait de la part deschoses.

Elle servait d'intermédiaire, après mille divorces, pour mille mariages.

Elle lui rendait ces marronniers, ceboulevard, cette fontaine.

Chaque chose portait de nouveau ce secret au centre qui est son âme » (Antoine deSaint-Exupéry, Courrier sud).

Refermons la parenthèse et revenons à notre sujet. Alors que c'est la présence spontanée qui semble caractériser la chose, le produit, qui tout comme l'œuvre d'art esten un sens lui aussi une chose, se laisse plutôt caractériser comme matière ouvragée.

En cela il a bien du rapport àl'œuvre d'art, mais il n'en est pourtant pas une.

Nous pouvons ici constater que si dans le langage courant on parlepar exemple des produits du commerce, ou même des produits artisanaux, on ne parle pas des produits artistiques.On emploie certes l'expression de productions artistiques, mais ce que l'on entend par là, ce sont des œuvres d'art.Le produit occupe une position intermédiaire entre la chose, par exemple cette pierre au bord du chemin, et l'œuvred'art, par exemple un tableau de Yan Gogh représentant une paire de souliers.

Essayons de résumer ce que nousavons dit jusqu'à présent en suivant l'analyse de Heidegger.

« Le produit, par exemple le produit « chaussures »,repose en lui-même comme la chose pure et simple ; mais il n'a pas la spontanéité du bloc de granit.

Par ailleurs, leproduit révèle aussi une parenté avec l'œuvre d'art, dans la mesure où il est fabriqué de main d'homme.

Mais, à sontour, l'œuvre d'art, par cette présence se suffisant à elle-même qui est le propre de l'œuvre, ressemble plutôt à lasimple chose reposant pleinement en cette espèce de gratuité que la spontanéité de son être lui confère.Cependant nous ne classons pas les œuvres parmi les simples choses » (Heidegger, Chemins..., p.

21).

La plénitudede l'œuvre d'art n'est pas en effet celle de la chose.

En quoi s'en distingue-t-elle ? Il faut pour le découvrir tâchermaintenant de préciser ce que signifie « cette présence se suffisant à elle-même qui est le propre de l'œuvre ».

Laplénitude de la pierre signifie bien que celle-ci se suffit à elle-même, ou, pour être plus précis, qu'il n'y a, en elle,aucun écart.

Elle repose là, sur le bord du chemin, dans la plénitude naturelle de sa spontanéité.

Or la plénitude del'œuvre d'art n'est pas, quant à elle, naturelle.

Cela signifie que le tableau montre ce qui est ou que le poème dit cequi est.

Mais si le tableau montre ce qui est, il n'est rien d'autre, — et le «ne ...

que » n'est pas en l'occurrencel'indice d'une formulation restrictive —, que ce qu'il montre.

Il en va de même pour le poème qui est ce qu'il nous dit.C'est parce que le poème est une présence se suffisant à elle-même, — cette auto-suffisance étant la plénitude dela richesse du sens —, qu'un poète peut écrire : « L'observation et les commentaires d'un poème peuvent êtreprofonds, brillants ou vraisemblables, ils ne peuvent éviter de réduire à une signification et à un projet unphénomène qui n'a d'autres raisons que d'être » (René Char, Recherche de la Base et du Sommet).

Alors que lelangage est ordinairement porteur de significations, il se fait, dans l'œuvre d'art qu'est un poème, sens.

L'œuvred'art n'a pas de significations qui lui seraient extérieures.

Dans et par la présence qui se suffit à elle-même del'œuvre d'art, le sens advient.

C'est même la vérité de ce qui est que l'œuvre nous révèle.

L'œuvre d'art, nous ditHeidegger, est ainsi la mise en œuvre de la vérité.

En pensant au tableau de Van Gogh représentant une paire desouliers de paysan, nous pouvons remarquer que « l'œuvre d'art nous a fait savoir ce qu'est en vérité la paire desouliers » (id., ibid., p.

26). Nous voyons donc que l'œuvre d'art n'est pas le miroir de quoi que ce soit, elle est la manifestation même de lavérité de ce qui est.

Mais pourquoi donc le terme de « miroir » revient-il si fréquemment dès qu'il est question del'art ? Faut-il ne voir là qu'un effet du hasard ? Nous y voyons plutôt pour notre part la trace flagrante d'uneinterprétation qui tenait l'art pour quelque chose de très éloigné de la vérité.

Expliquons-nous.

L'interprétation àlaquelle nous faisons allusion est celle de Platon.

Au livre X de la République, Platon définit le statut de l'art.

Notonsau passage que art se dit en grec technè [prononcer teknè].

Ce mot, s'il désigne bien ce que nous appelonsaujourd'hui art, désigne tout autant le métier, le savoir-faire, et même dans certains cas le savoir.

Il possède doncun sens strict qui, si l'on veut, correspond au sens actuel, et un sens large qui s'est perdu.

C'est de quelque part aufond de la perte de ce sens large que provient le mot de technique.

Dans le livre X de la République, il s'agit de l'artau sens strict, donc au sens qui nous intéresse ici.

Platon prend pour exemple le lit.

De par la distinction qu'il opèreentre le sensible et l'intelligible, Platon affirme que si dans le monde sensible on trouve bien une multitude de lits, onne trouve pas ce qui fait la vérité du lit, autrement dit l'idée du lit ou le lit en soi.

C'est les yeux fixés sur l'idée dulit, idée unique, permanente et stable, que le menuisier fabrique tel ou tel lit.

Il tourne donc ses regards vers lemonde intelligible, source et fondement de la vérité.

On peut ainsi affirmer, selon Platon, que les divers lits fabriquéspar le menuisier sont, par rapport à l'idée du lit, situés à un moindre degré.

Ces lits sont donc éloignés de la véritéque Platon définit comme l'idée.

Mais il y a encore une autre façon de faire apparaître un lit.

Cette façon n'est pasdifficile dit Platon « et elle se pratique diversement et promptement, très promptement même ».

Il suffit pour cela dedisposer d'un miroir.

« Si tu veux prendre un miroir et le présenter de tous côtés note ironiquement Platon, en moinsde rien tu feras apparaître le soleil et les astres du ciel, en moins de rien, la terre, en moins de rien toi-même et lesautres animaux et les meubles et les plantes et toutes les choses dont on parlait tout à l'heure » (République X, 595d, e).

« Certes, répond l'interlocuteur de Platon, mais il s'agira là de choses apparentes et non de choses réelles ».Telle est bien en effet pour Platon la façon de procéder des artistes.

Le peintre se borne à reproduire l'apparence dulit que fabrique le menuisier à la manière dont un miroir reproduit quelque chose.

L'art n'est ainsi que l'imitation de ce. »

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