L'oeuvre d'art est-elle reproductible ?
Publié le 27/02/2008
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L'oeuvre d'art est-elle reproductible ?
Le mode d'être même d'une oeuvre d'art semble avant tout être l'unicité. L'oeuvre d'art est une, une dans son genre, c'est là la raison même de sa genèse. L'artiste a présidé à sa venue dans l'intention de proposer du nouveau, de produire ce qui ne le fût encore jamais. C'est presque, pour ainsi dire, la justification même de ce mode de production: on ne cherche pas l'imitation, la copie de ce qui est déjà, mais l'originalité. Il s'agit là d'un concept essentiel puisqu'il est une condition fondamentale de la protection intellectuelle de l'oeuvre. Mais comment définir par ailleurs cette idée même d'originalité? L'originalité fait en principe signe vers la singularité de l'oeuvre, soit son émancipation d'un modèle pré-établit qu'elle viendrait préalablement copier. Ce à quoi échappe l'oeuvre, c'est donc à une relation d'identité avec un autre artefact artistique: en cela, elle est inattendue, surprenante. De toute évidence, comment, à partir de cette conception même de l'oeuvre d'art, concevoir que ce qui fût produit pour être unique, puisse être re-produit sans que cette copie perde simultanément sa valeur? A vrai dire, on imagine aisément qu'une oeuvre d'art soit reproduite: de l'oeuvre du faussaire à la carte postale, en passant par le support multimédia qui permet de proprement faire-voir l'oeuvre par d'autres biais que sa concrète présence à l'intérieur du musée. Cependant, il n'est pas certain et que la reproduction soit de même valeur, et tout à la fois que l'oeuvre initiale soit « contaminée « par cette reproduction. La question est donc double: pourquoi cette dépréciation de la copie, et ce privilège encore accordé au modèle? On peut aisément comprendre que la copie ne soit précisément plus originale de par son statut même de copie, de même que l'oeuvre initiale garde quant à elle son statut de par sa primauté. Mais que dire alors de certains formats contemporains, des medium qui supportent l'expression artistique? Le disque compact que j'écoute et qui reproduit une performance de musiciens en studio, la bobine qui tourne dans l'obscure salle de cinéma où je me trouve, ne sont-ils pas les copies d'un original? Et pour autant, je n'ai pas l'impression d'avoir accès à la forme appauvrie d'une oeuvre artistique qui figurerait quelque part parfaite et intacte en deçà de la chaîne où je me situe. Une oeuvre peut ainsi être une reproduction, sans que cette dernière en pâtisse. Le problème n'est peut-être plus en ce sens la reproduction de l'oeuvre, mais bien la reproduction de l'idée qui préside à l'oeuvre, la reproduction en somme de la démarche sous l'ascendance de laquelle est placée l'oeuvre. Ainsi le regard est-il progressivement porté de la production à son producteur, de l'oeuvre concrête à l'intention de l'artiste. De l'originalité nous passons à l'origine, à la genèse de l'oeuvre qui se démarque: c'est donc sur la poiesis que se porte notre intérêt.
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ne ferait qu'adhérer à un concept pré-établi.
Or l'originalité de l'oeuvre tient précisément au fait qu'elle s'effectuetoujours selon une beauté libre: pas de modèle cette fois-ci vers lequel elle devrait tendre puisque c'est l'artiste quidicte ses règles à l'art.
Aucune adhérence cette fois-ci au modèle, mais une détermination dans l'activité même del'artiste: ainsi le concept de beau n'est pas un concept déterminé, mais un concept indéterminé, voire même àdéterminer.
Dans ce cas précis, on comprend qu'une reproduction d'oeuvre, sans mettre en danger l'original, perdtout à la fois le propre de cette oeuvre, ce qu'elle a pré-figuré dans son élaboration.
En effet, l'oeuvre d'art n'estpas coupée, séparée de son mode même d'élaboration, une poiesis libre générant un original.
Par le fait même qu'elle adhère à un modèle, la reproduction s'éloigne de la production comme mouvement initial, mouvement d'origine etd'originalité.
De l'urinoir à Marylin Monroe II.
Cependant, il reste à savoir comment adapter cette conception esthétique face à la vaste zoologie de l'artcontemporain.
En effet, que penser de la Fontaine de Marcel Duchamp qui met en place au sein même d'une galerie un urinoir? Dans ce cas précis, l'oeuvre d'art est précisément reproduction, ou plus exactement elle s'accapare unobjet fonctionnel qui fût lui-même produit en un millier d'exemplaires précisément à des fins pratiques.
On comprendici que ce qui compte proprement, ce qui fait que cet urinoir entreposé fût considéré comme une oeuvre d'art, c'estl'intention qui a présidé à sa pseudo-élaboration.
L'acte en lui-même n'a consisté qu'à prendre pour ainsi dire l'objetet à le détourner de sa fonction.
Son essence était pratique, il était outil dans le monde à la disposition de l'homme,simple moyen en somme; or Duchamp a assuré le détournement en en faisant une fin en soi, un objet decontemplation et non plus un objet-pour .
L'intention sous l'ascendance de laquelle se place l'oeuvre est alors novatrice et génère une série d'objets ready-made placés sous l'égide du projet.
On retiendra donc l'intention quiprécède le geste, et non le support matériel qui véhicule, transmet et concrétise l'idée.
D'un urinoir adressé àl'usage des hommes, nous sommes passés à une fontaine qui s'adresse au monde.
On retrouve cette idée dans leFlag de Jasper John par exemple et bien d'autres artistes qui peuplent le monde étrange de l'art contemporain.
Mais cet art d'aujourd'hui laisse pourtant la question ouverte: que penser à présent des Boites de soupe Campbell's de Warhol? Le Pop-art effectue justement la reproductibilité de l'oeuvre à outrance.
Tout d'abord, et encore une fois, on remarque que l'intention qui présida à cette performance artistique est pour ainsi dire originale; mais tout àla fois cette redite pourrait présenter le risque de nous faire passer à côté de l'essentiel, soit d'un message qui touten s'effectuant par la reproductibilité, comporte une analyse même de cette reproductibilité.
En effet, qu'on penseaux portraits colorés de Marylin Monroe ou Liz Taylor: ces derniers sont une série de reproduction, desreproductions qui s'effectue précisément jusqu'à l'essoufflement, jusqu'à l'extinction même.
Warhol utilise lareproduction afin de préfigurer la mort par cette répétition inlassable en apparence de la figure.
En ce sens, on saisitque la répétition peut également être artistique, soit servir en elle-même à véhiculer le message souhaitée.
Warholen fait usage dans ce sens propre et préfigure en filigrane une critique exacerbée de la société de consommation etde son essoufflement dans une éternelle répétition.
Répétition du support donc, mais aussi – pourquoi pas? – del'intention qui délivre par cette obsession son sens même.
Si l'oeuvre d'art est libre, elle doit donc tout à la fois assumer cette liberté jusqu'au bout de son élaboration, jusqu'àla répétition qu'elle peut instiguer.
L'essentiel est ici de faire prévaloir le sens et bien encore une fois l'intention.L'oeuvre d'art est en ce sens toujours intention de signifier, libre jeu des signifiant dont la valeur est révélée par ladensité du sens.
Re-produire n'est pas moins artistique si précisément cette re-production informe, propose unnouveau sens.
On comprend dans ce cas que l'oeuvre n'est pas le modèle initial, mais la série indéterminée desuccession des figures qui viennent se relayer mutuellement.
L'approche n'est plus discrète, soit chaque occurrencede l'oeuvre pris de manière isolée, mais l'ensemble de la chaîne qui elle seule, de manière synthétique, contientl'intégralité de la signification.
En ce sens, ce n'est plus la lithographie de Marylin que j'ai chez moi qui compte, prisisolément, mais bien l'ensemble des portraits qui s'étendent quantitativement dans le monde.
En ce sens, l'artcontemporain se libère profondément des prises et conceptions pré-établies en proposant une forme artistique où lareproduction fait pour ainsi dire partie de l'oeuvre et se retrouve enfin libérée de son simple statut de copie.
La reproduction: un critère déterminant? III.
La question de la reproduction reste pour autant majeur au sein de la société contemporaine et ne peut êtretotalement éludée sous prétexte du sens qu'elle acquiert au sein de certaines performances artistiques.
Nouspouvons ainsi repartir de la critique tacite insérée au cœur même de certaines œuvres de Warhol, une critique.
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