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Locke: Être libre consiste-t-il à s'affranchir des déterminismes ?

Publié le 16/03/2006

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[...] Un homme venant à tomber dans l'eau, parce qu'un pont sur lequel il marchait s'est rompu sous lui, n'a point de liberté, et n'est pas un agent libre à cet égard. Car quoiqu'il (...) préfère ne pas tomber à nouveau, cependant comme il n'est pas en sa puissance d'empêcher ce mouvement, la cessation de ce mouvement ne suit pas sa volition ; c'est pourquoi il n'est point libre dans ce cas-là. Il en est de même d'un homme qui se frappe lui-même, ou qui frappe son ami, par un mouvement convulsif de son bras, qu'il n'est pas en son pouvoir d'empêcher ou d'arrêter par la direction de son esprit ; personne se s'avise de penser qu'un tel homme soit libre à cet égard, mais on le plaint comme agissant par nécessité et par contrainte. Autre exemple. Supposons qu'on porte un homme, pendant qu'il est dans un profond sommeil, dans une chambre où il y ait une personne qu'il lui tarde de voir (...) et que l'on ferme à clef la porte sur lui, de sorte qu'il ne soit pas en son pouvoir de sortir. Cet homme s'éveille et est charmé de se trouver avec une personne dont il souhaitait si fort la compagnie, et avec qui il demeure avec plaisir, aimant mieux être là avec elle dans cette chambre que d'en sortir pour aller ailleurs : je demande s'il ne reste pas volontairement dans ce lieu-là ? Je ne pense pas que personne s'avise d'en douter. Cependant, comme cet homme est enfermé à clef, il est évident qu'il n'est pas en liberté de ne pas demeurer dans cette chambre et d'en sortir s'il veut. Et par conséquent, la liberté n'est pas une idée qui appartienne (..) à la préférence que notre esprit donne à une action plutôt qu'à une autre, mais à la personne qui a la puissance d'agir ou de s'empêcher d'agir selon que son esprit se déterminera à l'un ou à l'autre de ces deux partis.

Être libre, est-ce seulement  faire ce que l’on veut ? En effet, si l’état dans lequel on se trouve coïncide avec l’état dans lequel on voudrait être, cela suffit-il pour dire que nous sommes libres et que c'est par l’effet de notre liberté que nous nous retrouvons dans cet état ? Locke, dans le livre II du tome 2 De l’entendement humain répond à cette question en essayant de montrer à travers trois exemples que l'homme n'est pas libre par rapport a l'acte de vouloir s'il n'a pas suspendu ses désirs avant que la volition de leur obéir apparaisse : tant que j’exécute directement mes désirs, sans les mettre en suspendre, je ne suis pas en mesure de savoir si je peux faire ce que je désire parce que je suis libre ou parce que l’action que j’ai choisi d’exécuter était le seule option qui s’offrait à moi. Locke parvient à construire sa thèse en s’appuyant sur trois exemples dont nous allons expliquer la portée. Le troisième exemple – le plus important – lui permet de conclure le texte en formulant sa thèse.

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« exemple de non liberté. B.

Le deuxième exemple est celui de la nécessité intérieure au sujet, c'est ce qu'aujourd'hui nous appellerions le reflexe, bien que le concept médical ne soit pas encore clairement posé au XVIIème siècle.

Ce « mouvementconvulsif », ou reflexe, il n'est pas en la puissance de l'homme de l'arrêter ou de le commander.

Là encore, l'agentn'est pas libre de se frapper ou de frapper son ami.

« la direction de son esprit » n'est pas en mesure de contrôlerson corps.

Or, cela nous indique déjà un élément essentiel au sujet de la conception de la liberté élaborée par Lockedans ce texte : c'est bel et bien dans la puissance de l'esprit à exécuter ce que bon lui semble que se situe laliberté.

Cet homme agit donc à la fois par nécessité (biologique cette fois), et contrainte : il subit son propremouvement. C.

Le troisième exemple est le plus intéressant, parce qu'il est le plus ambigu : on transporte un homme dans une chambre pendant qu'il dort.

Le sommeil, « profond » précise Locke, rend le sujet là encore impuissant : il subitl'action, puisqu'il ne peut l'empêcher.

De plus, il est enfermé à clé : il n'est donc pas en mesure de sortir de la piècecomme bon lui semble.

Mais, le point essentiel c'est qu'on l'y enferme avec une personne qu'il était impatient devoir.

L'homme se trouve donc heureux d'être dans cette chambre, puisque cela coïncide avec son désir.

Or, Lockecommente cet exemple sur deux point : le premier, c'est que l'homme reste « volontairement » dans ce lieu, c'est-à-dire que la situation dans laquelle il se trouve est en accord avec ses désirs, en y étant enfermé, il fait finalementce qu'il veut (alors que ni l'homme qui tombait du pont ni l'homme qui se frappait et frappait un ami ne voulait subirces actions).

Or, pour autant qu'il est volontairement enfermé dans cette chambre, il n'en reste pas moins qu'il n'estpas libre d'y rester, puisqu'il ne peut en sortir. II.

La liberté n'est pas la volition. A.

Ce que montre Locke à travers ce troisième exemple, c'est que la volition ne suffit pas à établir la liberté.

La volition est en effet à rapprocher de la volonté : la volonté, c'est la puissance que l'esprit a de préférer unmouvement à un autre ou au repos, mais aussi la puissance qu'il a d'avoir une idée présente à l'esprit ou aucontraire absente.

Et la volition, c'est l'usage actuel, affectif de cette puissance qu'est la volonté.

Or, la volition,c'est-à-dire le fait de vouloir faire quelque chose et de le faire effectivement ne suffit pas à dire que nous sommeslibres. B.

En effet, notre esprit peut tout à fait donner sa préférence à une action que l'on accomplit effectivement, sans pour autant qu'il soit libre de le faire, pour être libre, il faudrait être en mesure de faire ou de ne pas faire.

Dansl'exemple de l'homme enfermé à clé, la coïncidence entre ce que l'homme veut faire et ce qu'il fait est contingente,puisque s'il ne voulait pas rester, il ne serait pas libre de le faire.

Or, la vraie liberté n'est pas une liberté d'esprit,c'est-à-dire de pouvoir choisir entre deux options, mais une liberté d'action selon le choix de l'esprit : c'est lapuissance d'agir qui est essentielle. C.

Autrement dit, la liberté ne peut être définie comme le fait de faire ce que l'on veut, puisqu'on pourrait tout à faitimaginer que l'action qu'on veut faire ne se trouve être l'action que l'on peut faire que par un hasard.

Il faut uneliaison de nécessaire entre le fait de vouloir faire et le fait de pouvoir faire : je fais parce que je le veux (sousentendu : si je ne voulais pas le faire, je ne le ferai pas).

Nous sommes libres lorsque nous sommes la causenécessaire et suffisante de notre propre action, et non lorsque notre volonté est en accord avec notre action. Conclusion En conclusion, on peut dire que dans ce texte, Locke s'attache à distinguer soigneusement ce que nous faisonsvolontairement et ce que nous faisons librement.

Ce que nous faisons volontairement, il se peut aussi que nous lesubissions sans même le savoir : l'homme enfermé à clé ne saura peut-être jamais qu'il est enfermé à clé, puisqu'ilest tellement satisfait d'être en présence d'une personne qu'il apprécie qu'il n'essaie même pas de sortir.

La libertévraie se trouve donc dans la puissance d'agir, elle ne peut aller plus loin.

Elle sera donc un véritable pouvoir dechoisir l'une ou l'autre des deux options : la liberté est alors définie comme potestas ad opposita .. »

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