L'objectivité de l'histoire suppose-t-elle l'impartialité de l'historien ?
Publié le 20/06/2009
Extrait du document
Introduction :
L’histoire, érigée en discipline scientifique, exige l’objectivité en tant qu’elle se donne comme « réalité historique «. L’histoire constitue la connaissance de la vérité des faits, c’est-à-dire des faits tels qu’ils se sont déroulés, et non de leur interprétation subjective. Il semble donc que l’historien, qui reconstitue l’histoire, soit tenu d’avoir un point de vue impartial sur les évènements qu’il étudie, autrement dit, qu’il ne puisse pas prendre parti, tel un juge regardant d’un œil froid et distant les différents termes d’un procès, et qui se contente d’appliquer la loi, sans faire interférer son jugement personnel dans l’affaire. Toutefois, à la différence du juge, l’historien est impliqué dans l’histoire, et il n’a pas de lois auxquelles se référer pour exercer son jugement, puisque c’est lui-même qui constitue les lois historiques. Mais si l’histoire ne se construit pas dans l’impartialité, alors peut-elle peut toujours être garante d’objectivité ? L’objectivité de l’histoire suppose-t-elle nécessairement l’impartialité de l’historien ?
1ère partie : L'objectivité de l'histoire suppose l'impartialité de l'historien.
- Pour que l’histoire acquière le statut de science objective, l’historien doit s’efforcer d’être impartial, et de considérer les évènements de manière neutre et désintéressée. Pour cela l’historien doit apprendre à croiser différentes méthodes issues de disciplines connexes, telles que l’archéologie, l’ethnologie, l’étude des manuscrits anciens (= la paléographie), la sociologie, etc. Si l’historien n’est pas impartial, cela signifie qu’il fait entrer son jugement personnel dans son analyse des évènements historiques, et l’histoire ne peut plus être dite objective, car elle devient le point de vue subjectif de l’historien.
- Hegel distingue trois sorte d’historiographies, c’est-à-dire trois manières d’écrire l’histoire : l’histoire originale, l’histoire réfléchie et l’histoire philosophique. Les historiens ne sont donc pas impartiaux, mais choisissent leur manière d’envisager l’histoire. Dans chaque type d’histoire, l’historien à un regard partial. Ainsi, dans l’histoire originale les historiens décrivent les évènements, les actions, les situations qu’ils ont vécus et auxquels ils on été « personnellement attentifs «. L’histoire est donc leur propre mémoire, individuelle et personnelle. Elle est relative à leur expérience, et est subjective et partielle. Elle n’est pas impartiale, mais est au contraire le point de vue particulier d’un individu singulier. Il apparaît donc que lorsque les historiens ne sont pas impartiaux, il s’ensuit que l’histoire ne peut être objective.
2ème partie : Mais l’impartialité de l’historien est impossible.
- L’histoire est une mise en récit construite par des historiens, et il est impossible pour ces hommes de se dépendre totalement de leur subjectivité vis-à-vis des évènements considérés. Dilthey explique que l’histoire est une « science de l’esprit «, qui porte sur les hommes, et ainsi, l’homme est sujet et objet de cette science. Il est pris dans sa propre subjectivité et ne peut s’en détacher (comme un homme qui se regarderait de la fenêtre passer dans la rue, selon la formule d’Auguste Comte).
- De plus, l’historie a affaire à des évènements qui ne se produisent qu’une fois et qui sont irréductiblement singuliers, à la différence du scientifique qui peut reproduire ses calculs ou ses expériences. L’impartialité de l’historien semble donc impossible, puisqu’il n’a aucun référent extérieur pour prendre des distances (tels que les outils mathématiques, les lois juridiques, etc). Pour être impartial, l’historien devrait se contenter de ce qui est chiffré dans l’histoire, telles les statistiques, les recensements, etc. Mais cela n’est pas suffisant pour décrire un évènement, qui se compose de nombre de choses inquantifiables.
- L’histoire peut donc être formulée de façon très différente, selon le point de vue que l’historien adopte, et selon la réception que l’on en a ensuite. Nietzsche explique dans la Seconde considération inactuelle que l’histoire en train de se faire est influencée par l’histoire passée. Ainsi, c’est parce que l’on a la mémoire du passé que l’on agit de telle ou telle façon dans le présent. Trois modalités sont alors possibles selon Nietzsche : prendre le passé comme modèle et chercher à imiter les grands hommes qui ont fait sa gloire pour progresser davantage encore qu’ils ne l’on fait (c’est « l’histoire monumentale «), vénérer le passé sans chercher à le dépasser en considérant l’histoire comme figée (c’est « l’histoire antiquaire «), avoir un regard critique sur le passé, le juger et le rejeter si besoin pour progresser indépendamment du passé (c’est « l’histoire critique «). L’histoire est toujours une certaine interprétation. L’histoire est idéalisée ou au contraire diabolisée, elle n’est pas objective, neutre, universelle pour tous.
3ème partie : L’objectivité de l’histoire est à rechercher dans la pluralité des histoires.
- Pour Dilthey (L’Édification du monde historique dans les sciences de l’esprit), l’histoire n’est pas condamnée à la subjectivité. Elle peut être objective, lorsqu’on parvient à découvrir l’universel dans l’intimité des faits. Le travail de l’historien consiste alors à rechercher en profondeur, et à révéler l’esprit intérieur de l’évènement historique, ce qui le relie au monde entier, et à l’expérience universelle de la vie. L’objectivité de l’histoire est donc possible même si l’historien n’est pas impartial, car l’historien peut atteindre l’objectivité au travers de sa propre expérience vécue, en la reliant à l’expérience commune de la vie.
- Gadamer explique dans Vérité et méthode que l’historien est tenu de cultiver un certain type de partialité pour parvenir à l’objectivité historique. En effet, l’historien doit avoir un « horizon historique «, c’est-à-dire une position dans l’histoire (donc une partialité) pour obtenir une « conscience historique «. La compréhension historique suppose de se « replacer «, donc de prendre position dans l’histoire, car si l’on reste hors de l’histoire on ne peut pas y avoir accès. Il n’y a donc pas d’objectivité historique sans une nécessaire partialité de l’historien qui doit s’introduire dans l’histoire pour se la représenter. C’est comme une relation entre individus : il faut se mettre dans la situation d’autrui pour le comprendre. Donc non seulement l’objectivité de l’histoire ne suppose pas l’impartialité de l’historien, mais au contraire, elle suppose plutôt sa partialité, sa prise de position.
- Enfin, c’est au travers des multiples histoires, partiales, des historiens, au moyen de comparaisons et de recoupement, que l’on obtient une certaine objectivité de l’histoire. L’histoire n’est pas constituée par un seul historien, mais par différents experts, en différents lieux et à différentes époques, et c’est pourquoi elle peut rester objective tout en étant produite par des hommes partiaux. L’histoire ne se cantonne pas à un unique récit, mais elle est constamment réétudiée, à la lumière de nouveaux points de vue, et c’est son étude n’est jamais pleine et achevée, si bien qu’elle peut tendre à l’objectivité au sein de ces différentes esquisses historiques.
Conclusion :
L’histoire suppose l’objectivité mais pas l’impartialité de l’historien, car l’histoire est une science qui prend l’homme pour objet, et qui ne peut donc recevoir un regard neutre de la part de l’historien qui est lui-même pris dans l’histoire. Mais si l’impartialité de l’historien est impossible, l’objectivité historique ne l’est pas, car non seulement l’historien peut avoir recourt à des méthodes impartiales, tels que les statistiques, l’étude démographique, etc, mais encore car l’objectivité peut être reconquise au sein même de la pluralité des points de vue. C’est la comparaison et le recoupement qui permet d’obtenir une certaine objectivité historique, mais encore, la partialité de l’historien en tant qu’homme rejoint l’universalité humaine, et à ce titre, peut correspondre à la nature de l’objectivité historique.
«
Problématique :
L'importance prise par les lois mémorielles dans l'actualité politique française, et les débats récents autour de la questionde savoir qui a autorité sur la connaissance du passé, contribuent à rendre saillant le problème de l'objectivité historique.Source de problème, au moins depuis les recherches en épistémologie historique de L'école des annales, l'histoireapparaît ainsi comme une science éminemment humaine, dont la fragilité est sans cesse renforcée par les acteurs de saconstruction.
À cet égard, se demander si l'objectivité de l'histoire suppose l'impartialité de l'historien invite à s'interroger surl'importance du facteur humain dans l'enquête du passé.
Si l'histoire est la science qui a pour but de réfléchir à la manièrede construire un récit objectif des évènements passés, il semblerait que l'impartialité de l'historien découle naturellementde l'objectivité du récit, puisque seul un regard critique et neutre peut espérer atteindre une forme de récit de ce qui aété, indépendant des surinterprétations subjectives biaisant la réalité passée.
Cependant, une telle exigence est peut-être trop forte, dans la mesure où elle conduirait alors à faire de l'histoire une science de dieux ou de surhommes,capables de s'extraire de ce qu'ils sont et de dépasser la mesure de la finitude humaine, pour atteindre l'idéal de l'objetpassé, sans détour ni médiation.
L'enjeu de cette réflexion sera donc de savoir si cette exigence ne conduit pas toutsimplement à renoncer à toute histoire, et à se méprendre ainsi sur l'objet même de l'histoire.
Nous tâcherons tout d'abord de montrer que l'histoire se doit d'être une science objective, et qu'elle ne le peut qu'ensupposant l'impartialité de celui qui oeuvre à sa construction.
Nous en viendrons toutefois à constater que cette définitionde l'objectivité historique fait de l'histoire une science idéale, hors de la portée de l'homme, et méconnaît ainsi le labeur del'historien, dont la partialité nécessaire se trouve compensée par l'exercice critique constant.
Il nous faudra alors, endernière instance, tenter de montrer que l'histoire ne peut être ainsi jugée à l'aune de l'objectivité, ce qui nous conduira àpenser que la partialité de l'historien est la condition paradoxale d'une objectivité redéfinie de l'histoire.
Plan rédigé proposé
1.
L'impartialité de l'historien comme condition de l'objectivité de l'histoire.
Ia.
L'impartialité est la garantie d'une absence de préjugés, condition essentielle et première du travail de l'historien, quiformule des hypothèses et insuffle des directions à sa recherche en fonction des idées qu'il possède initialement.
Ib.
L'impartialité est en outre la garantie d'un travail honnête, au cours duquel par exemple l'historien sera en mesure deproposer un débat contradictoire entre les sources et les inteprétations.
Ic.
L'impartialité est enfin la condition essentielle du progrès scientifique et de l'argumentation objective, puisque c'est lesouci d'impartialité qui permet de hiérarchiser le degré de fiabilité des thèses construites, et de livrer à l'intelligence l'étatet la teneur des problèmes restants à penser.
2.
L'impartialité impossible : l'objectivité, entre idéal et réalité.
IIa.
L'impartialité semble remise en question par le positionnement de l'historien, dont les modalités de fonctionnement etles convictions, en même temps que l'éducation, la langue ou encore, et plus généralement, les contextes culturels, font lapensée.
Dès lors, rien ne permet d'espérer qu'un historien puisse être impartial, quand bien même il le voudrait.
IIb.
L'impartialité se trouve également profondément contrariée lorsqu'elle porte sur l'objet passé : comment espérerretrouver le discours de ce qui a disparu, et n'est parfois pas même vivant dans des documents ? Les sources, leurinsuffisance ou leur absence, sont ainsi au coeur du problème de l'impartialité, puisque le degré d'information disponibleest un des facteurs essentiels du jugement de celui qui doit construire le discours de l'histoire.
IIc.
Enfin, l'impartialité de l'historien achève d'être un mythe, dès l'instant où la possibilité que son discours soit entendudépend du contexte de sa réception.
L'objectivité de l'histoire n'est en ce sens pas du tout subordonnée à l'impartialité del'historien, puisque cette impartialité peut instantanément être balayée par les présupposés, préventions, ou erreurs deceux qui sont portés à en faire usage.
3.
Redéfinir l'objectivité de l'histoire.
IIIa.
Il paraît alors nécessaire de déconnecter impartialité de l'historien et objectivité de l'histoire, non seulement parceque la première est une fiction, mais également parce que la fragilité de la seconde ne peut se contenter des insuffisancesde la première.
En ce sens, résoudre le (faux) problème de l'impartialité conduit à accepter que le discours de l'histoire estoujours un discours partial, dont la finalité ne peut être objective qu'à cette condition.
IIIb.
Il en découle alors que l'objectivité de l'histoire dépend moins d'un fantasme d'impartialité que d'un souci de lacritique des certitudes, et d'une forme d'éthique scientifique du travail de l'histoire.
L'objectivité dépend en ce sens de lavolonté de prendre conscience des limites de ses propres thèses.
IIIc.
Enfin, l'objectivité devient alors moins une réalité qu'une exigence idéale, à l'aune de laquelle l'histoire apparaît moinscomme une science exacte que comme un art du discours prenant le passé pour objet.
Cela ne veut pas dire que l'histoireest un domaine purement relatif à celui qui le construit, mais plutôt que l'histoire est une discipline inquiète, qui seconstruit à la mesure de preuves critiques, mais ne peut jamais s'en satisfaire..
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- INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE, Sur les limites de l’objectivité historique, 1938. Raymond Aron
- Il s'en faut bien que les faits décrits dans l'histoire soient la peinture exacte des mêmes faits tels qu'ils sont arrivés : ils changent de forme dans la tête de l'historien, ils se moulent sur ses intérêts, ils prennent la teinte de ses préjugés.