L'obéissance à la loi doit-elle être absolue ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
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chacun, conformément à sa nature égoïste, recherche son intérêt.
Tout le monde faisant de même chacun est unemenace pour chacun et la meilleure défense étant l'attaque, c'est bien une guerre généralisée qui se développe.
Orl'homme, comme tout vivant, est soumis à cette loi naturelle qui le fait spontanément rechercher ce qui lui permetde conserver sa vie et fuir ce qui la menace.
Cette loi naturelle conduit, en l'absence de règles, à la mort et poursortir de cette contradiction et assurer les conditions d'une vie humaine, les hommes doivent s'accorder pour sedonner une autorité qui concentrera entre ses mains les moyens de mettre tout le monde d'accord.
Dans ces conditions l'obéissance à la loi est impérative et ne souffre aucune exception.
Si le but de la loi est l'ordreet la sécurité comme conditions nécessaires d'une vie humaine alors il faut toujours obéir sous peine d'un retour àl'état de guerre dont il faudra de nouveau sortir pour instaurer un nouvel ordre.
La loi est alors une contraintenécessaire, vécue par chacun comme une limitation de la liberté puisqu'il n'est pas possible de faire tout ce qui nousplaît bien que ce soit le rêve que chacun préserve au fond de lui.
Le légal est en même temps le juste, il faut obéir àla loi parce que c'est la loi.
Néanmoins la réalité des faits remet en question cette déduction.
En effet guerres etrévolutions sont des destructions d'un ordre ancien pour instaurer un nouvel ordre.
Toutefois on ne sort pas ici ducadre posé par Hobbes.
En effet si le souverain ne réussit pas à maintenir l'ordre, ce pour quoi les hommes se sontdessaisis de leur droit naturel à son profit alors il perd par là même sa légitimité et il est dès lors naturel, dans l'ordredes choses, qu'il soit renversé pour qu'un autre ordre s'installe.
L'histoire étant alors « une histoire pleine de bruit etde fureur racontée par un fou » (Hamlet).Néanmoins dans certains cas la désobéissance et la violence qu'elle entraîne semble parfois légitime dans la mesureoù elle engendre au bout du compte moins de violence et plus de liberté.
Dans ce cas l'ordre nouveau serait plusjuste que l'ancien ou bien, et c'est la même chose, l'ordre existant peut apparaître comme injuste par rapport à denouvelles aspirations ou à des exigences plus hautes.
Dès lors peut-il y avoir un devoir de désobéissance ?En effet les hommes désobéissent de fait.
Soit pour des raisons purement égoïstes, en vue d'un intérêt personnel etdans ce cas le comportement transgressif ne peut pas être légitimé puisque comme nous l'avons vue il remet encause les conditions même d'une vie humaine.
Mais encore faut-il que l'acte ne soit pas l'effet d'une contrainte.
Eneffet que penser du cas d'une personne, qui serait démunie jusqu'à un état non de simple pauvreté mais de misère,qui volerait pour nourrir ses enfants ? La loi devrait s'appliquer à ce cas particulier, car comme nous l'avons posédans la première partie, la loi est toujours générale, néanmoins l'affaire sera jugée en tenant compte descirconstances particulières pour adapter la loi au cas.
Une simple application mécanique de la loi susciterait unsentiment d'injustice qui nourrirait une attitude de défiance par rapport à l'ordre établi et par la même en menaceraitla stabilité.
Autrement dit, il peut y avoir conflit entre la justice effective et le sentiment de ce que devrait être lajustice.
Un tel conflit, qui peut apparaître à l'occasion d'une affaire particulière, peut aussi se généraliser à unesociété entière.
Par exemple la crise de la révolution française vient résoudre une contradiction entre la société tellequ'elle était organisée politiquement et la réalité du pays qui aspirait à un autre ordre parce que de nouvelles valeursse sont développées.
L'ancien régime, où seul quelques uns accèdent à la visibilité de l'espace public (noblesse,clergé) et la plupart des autres (le tiers état c'est-à-dire les travailleurs, les hommes qui produisent les richesses)n'ont aucune existence politique.
Dans ces conditions l'ancien régime apparaît injuste par rapport aux nouvellesvaleurs qui se mettent en place, notamment celles développées par les philosophes des lumières (par exempleRousseau dans le discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes qui caractérise l'homme par sa perfectibilitéc'est-à-dire par son indétermination originelle et donc sa liberté) qui affirment l'égale dignité et donc l'égale libertéde tout homme.
Dès lors l'insurrection, toujours illégale en tant qu'elle désobéit aux lois existantes, peut bienparaître légitime parce que fondée sur des valeurs posées comme supérieures, sur une nouvelle idée de la justice.
Sila révolte aboutie et se transforme en révolution elle change l'ordre des valeurs ; si elle échoue elle restera unesimple rébellion qu'il faut réprimer.
La révolution Française ayant aboutie elle pose un nouveau droit' naturel quiaffirme l'égale dignité de tout homme.
L'idée que la naissance pouvait déterminer la place de chacun dans la sociétéet notamment l'obtention de privilèges qui distinguaient les nobles des ignobles supposait, pour être acceptée,d'affirmer une providence divine qui légitime la hiérarchie.
Dans ce cas la désobéissance apparaît comme légitimeparce qu'elle va dans le sens de l'histoire et accouche d'un monde meilleur où la violence recule.
Pour Rousseau leshommes sont perfectibles et sont dans une égalité naturelle que l'ordre politique doit préserver pour être légitime(du contrat social).
Dans le cas contraire un droit de résistance est fondé.
Tout pouvoir qui s'instaurerait contrecette valeur fondamentale du monde moderne de l'égale liberté de tout homme peut susciter légitimement un droitde résistance.
Notion paradoxale puisque comme nous l'avons vue il n'y a d'autorité qu'à condition d'être obéit, maisqui se comprend à partir de cette affirmation de la valeur de tout homme.
Non seulement on peut résister mais selon les circonstances on le doit.
C'est ce que net en évidence les procèspour crime de guerre, génocide et crime contre l'humanité, comme le montre Hannah Arendt dans Eichmann àJérusalem ou rapport sur la banalité du mal.
Pour sa défense Eichmann invoque le devoir d'obéissance : « Je n'ai faitque mon devoir, j'ai obéi la loi.
» Ce qui est vrai dans la mesure où il est fonctionnaire d'un appareil d'Etat et qu'ilexécute les directives.
Son activité, l'organisation de la déportation des juifs, est légale, elle se lit dans le cadre dudroit allemand de l'époque.
Mais si on le juge c'est que l'on estime qu'il aurait dû désobéir et donc sa responsabilitépersonnelle est en jeu et n'est pas annulée par sa soumission à l'autorité ; il se devait de résister au nom de lavaleur de la personne humaine qui transcende le droit positif de telle ou telle société.
D'autant qu'Eichmann eninvoquant le devoir d'obéissance se réfère à la loi morale de Kant.
Pour Kant (Fondements de la métaphysique desmoeurs), être moral c'est obéir à l'impératif catégorique qui commande de ne faire que ce qui est universalisable.
Nepas tuer est moral car tuer n'est pas universalisable : je ne/peux pas raisonnablement vouloir un monde où tous leshommes s'entretuent, donc il ne faut jamais tuer.
Pour Kant il faudrait donc toujours obéir à la loi morale ce quiéventuellement doit conduire à désobéir à la loi positive.
Ce qui manifestement est le cas ici et Eichmann confond laloi de la raison avec la loi du führer.
D'autant plus qu'Eichmann n'a pas tué directement, ce n'est pas un monstremais un homme ordinaire qui de plus ne supporte pas la vue du sang.
En quoi consiste alors sa faute ? C'est de ne.
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