L'interprétation d'une oeuvre d'art est-elle totalement libre ?
Publié le 09/03/2009
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L'art semble, de prime abord, être le lieu de la fantaisie et de la liberté. On sait que Kant faisait de l'activité artistique une création libre et gratuite. Est-ce à dire que le spectateur peut librement donner le sens qu'il veut à une oeuvre ? N'existe-t-il aucun critère d'interprétation le concernant ? Si toute interprétation est recevable, même la plus "sauvage", l'oeuvre d'art peut-elle encore garder une valeur, un sens qui lui est propre. Si tout est dans tout, si une chose peut signifier son contraire, quelle objectivité reste-t-il à l'appréciation esthétique ?
- I) Une totale liberté dans l'interprétation d'une oeuvre d'art.
- II) La cacaphonie des interprétations: et si Guernica n'est-elle qu'une nature morte ?!
- III) La solution kantienne: Le beauté est une universalité sans concept.
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2.1 L'œuvre figée ne dure pas
Avant de répondre à cette question, il importe de souligner que les œuvres non interprétables, celles dont le sens est effectivement figé et en quelque sorte défini une fois pour toutes, ont beaucoup de mal à s'inscrire dansune histoire de leur discipline, sinon à titre de document historique, mais rapidement privé de tout intérêtesthétique.
C'est qu'en opposant à une éventuelle interprétation un « contenu » massif, elles appartiennententièrement, non seulement à leur auteur, mais bien à leur époque, à sa culture et aux significations que l'onpouvait y élaborer.Inscrite dans un contexte précis, l'œuvre ne peut plus s'en dégager : elle perd son intérêt pour les cultures et lesmentalités postérieures.
Elle a donc de fortes chances de disparaître du champ culturel, et, si elle y est maintenue,elle ne peut être considérée que comme un témoignage d'époque : elle intéresse alors davantage l'historien que lecritique ou l'esthéticien.
2.2 L'œuvre interprétée dure
Une œuvre durable est au contraire composée de sa réalité matérielle, mais aussi de ses différentes réceptions ou interprétations, et c'est l'existence de celles-ci qui lui permet de durer, c'est-à-dire d'échapper à son époqueoriginelle.
Dans ce cas, la matérialité de l'œuvre devient le support d'interprétations successives, qui en soulignentl'une après l'autre différents aspects, différents intérêts que les lectures antérieures n'avaient pas encore devinés ;et c'est bien l'œuvre qui se trouve progressivement enrichie de significations s'ajoutant les unes aux autres, dontchacune témoigne d'une façon d'interpréter, caractéristique d'un temps, d'une culture, d'un groupe social, d'uneméthode.
2.3 Limite « objective » de l'interprétation
Il n'en reste pas moins qu'il est sans doute nécessaire de distinguer les interprétations acceptables ou légitimes de celles qui ne le seraient pas.
On rencontre là une première limite à l'interprétation, qu'il semble donc déjà difficilede qualifier de « totalement libre ».
Limite qui tient à la réalité matérielle de l'œuvre elle-même, c'est-à-dire auxéléments qui la constituent, et que l'on ne saurait modifier, par addition ou soustraction, pour faciliter uneinterprétation.
Ces éléments peuvent être en eux-mêmes dotés de signification (notamment symbolique), et uneinterprétation qui la négligerait aurait de fortes chances d'être simplement « fausse ».
C'est pourquoi, par exemple,des œuvres provenant d'une culture différente peuvent susciter des « erreurs » d'interprétation, que desconnaissances d'ordre ethnologique permettent d'éviter : ce n'est pas parce que certaines sculptures africainessont marquées d'une croix sur le ventre qu'on doit s'autoriser à y trouver un indice de christianisation : il suffit desavoir que cette croix désigne l'ombilic.
Et il serait juste de rejeter l'interprétation d'un roman qui, sous prétextequ'un personnage ne trouve pas sa place dans une grille de lecture, n'en tiendrait tout simplement pas compte,comme celle d'un tableau qui négligerait certains éléments de la composition pour proposer une lecture de ce qu'elleen retiendrait.
3 LIBERTÉ DE L'INTERPRÈTE
3.1 Elle dépend de sa culture
Ces lectures tronquées ressembleraient à la mauvaise interprétation – au sens strictement technique – d'une partition par un pianiste qui en sauterait des notes, et auquel on reprocherait un manquement à la déontologie,puisque son métier sous-entend qu'il respecte l'intégralité de la composition.
On peut en distinguer le cas d'unartiste interprétant à sa guise une œuvre antérieure, comme Matisse le fait d'une toile de Chardin, ou Picasso decompositions célèbres de Vélasquez ou de Delacroix : on admet alors aisément qu'il abandonne certains éléments del'œuvre dont il s'inspire pour en souligner ou en ajouter d'autres, introduire des déformations, etc.
C'est que salecture est aussi une proposition stylistique, même si elle donne, simultanément, une signification nouvelle au travailancien.Dans une certaine mesure, tout interprète est dans la position de Matisse ou de Picasso, même s'il n'en a paspleinement conscience : ce qu'il trouve dans l'œuvre dépend de sa mentalité et de sa culture, de ses attentes, desquestions qu'il est en mesure de poser, d'un parti pris qui est à la fois le sien et celui de son temps.
De ce point devue, sa « liberté » dépend du contexte dans lequel il s'inscrit, et qu'il ne choisit que très partiellement.
3.2 Interventions de l'inconscient
Peut-être est-ce en raison de son inconscient que l'interprète est finalement le mieux capable de développer une interprétation originale : lire un texte, c'est en un sens le lire doublement, en faire naître deux significations :l'une est consciente, l'autre ne l'est pas, qui se constituent des échos incontrôlables et inconnus que produisent lesmots et les phrases relativement aux pulsions et désirs du lecteur.
Et cette seconde version ne manque pas.
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