L'imagination ne construit-elle qu'un monde illusoire ?

« L'imagination possède donc également une fonction productrice, loin de nous éloigner du réel, elle peutjouer en fait le rôle tout à fait original d'initiation à une réalité supérieur. Revenons tout d'abord à un autre aspect de l'étymologie de l'imagination. Phantasia proviendrai aussi de Phainesthai qui signifie venir à la lumière, se montrer.

L'imagination serait donc en ce sens une lumière qui fait voir ou bien apparaître les choses.

Aristote dans le Traité de l'âme avait déjà envisagé cet aspect de l'imaginationen suggérant que la notion de phantasia dérive de phaos qui signifie « lumière » en grec.

Dès lors, la vision selon laquelle l'imagination est toujours construirai nécessairement un monde illusoire est contestable.

Elle serait plutôtun moyen de nous faire accéder aux racines mêmes du réel, à ces soubassements. L'imagination est en effet la faculté qui nous permet d'envisager un halo de possible considérable.Dans L'Homme sans Qualité , Robert Musil va définir l'homme du possible comme celui que ne s'en tient pas à la stricte littéralité des choses du monde au sens de ce qui se présente devant lui.

Il ne s'en tient pas à la réalitéprosaïque qui est forcément réductrice.

Considérer ce halo du possible permet d'accéder à une réalité en effetinsoupçonnée.

Du prétendu réel de l'époque, on ne serait jamais passé du géocentrisme à l'héliocentrisme : « Cequi est maintenant prouvé ne fut jadis qu'imaginer » a résumé brillamment William Blake .

L'imagination aurait donc, dans ce cas, pour vocation de nous ouvrir à une autre réalité que celle que nous connaissons déjà.

Cela provientdu fait que selon Bachelard, « le vocable fondamentale qui correspond à l'imagination ce n'est pas image, c'estimaginaire". L'imagination, à travers l'imaginaire, aurait donc, dans ce cas, pour vocation de nous ouvrir à une autreréalité que celle que nous connaissons déjà et n'aurait donc rien à voir avec la quelconque construction d'unmonde illusoire.

L'œuvre d'art, tributaire de l'imagination est justement cette expérience d'exploration depossibilités jusqu'alors insoupçonnés.

Il s'agit en quelque sorte d' l'accomplissement d'un monde dans une œuvrequi devient de fait communicable.

Par exemple, le Carré Noir sur Fond Blanc de Malevitch nous présente le monde avant sa différenciation en objet, il nous ouvre sur une autre réalité qui n'est pas la réalité de ce qui se trouveactuellement devant nous.

A ce titre, l'art « butine le miel de l'invisible » selon Rilke et il nous permet d'accéder à ce qu'il nomme « l'Ouvert ». Si l'imagination est à la fois à l'origine d'illusions indéniables mais également à l'origine d'une réaliténouvelle, il est clair que l'imagination entremêle illusions et réalité. Puisque l'imagination peut être indubitablement à l'origine d'illusions, mais qu'elle peut aussi être la sourced'une réalité insoupçonnée, L'enjeu de l'imagination est donc celui du confusionnisme ontologique : où situer laréalité dans l'imagination sachant qu'elle a possède une part de réalité mais aussi d'illusion, d'irréalité ? Est-cevraiment possible de la situer ? Spinoza dans son Ethique a révélé que l'imagination n'avait rien de réel sens où il s'agit du monde des chimères, êtres totalement contradictoires, qui n'avait dés lors aucun degrés de réalité.

L'imagination serait doncune imposture puisqu'elle provient de imponere (signifiant tromper en latin), elle serai donc en ce sens une illusion.

Toutefois, Spinoza admet que l'imagination garde un lien avec la réalité.

Dans sa lettre au très savant et très avisé Pierre Bailing , il explique que les soi-disant rugissements du fils qu'aurai entendu Bailing dans son rêve ne sont qu'imagination, qu'illusion et que ça n'a aucun rapport avec la mort de son fils.

Néanmoins, cetteprojection est très représentative de la réalité de son état affectif. Revenons en au rêve.

Le rêve, en tant qu'il est représentatif du travail de l'imagination, paraît aupremier abord couvert d'illusions puisque qu'il fait défiler une succession d'images n'ayant aucun rapport entreelles et apparemment aucun ordre logique.

Il fait toutefois également allusion au réel .

Par exemple, grâce à lapsychanalyse, Sigmund Freud a réussi à soigner l'hystérie d'Elisabeth, une jeune hongroise.

En effet, les rêves de la jeune femme ont permis de cerner la véritable cause de la maladie, alors que rien d'autre ne fonctionnait. Cette problématique du confusionnisme ontologique est d'autant plus complexe que l'art, notamment lecinéma joue de plus en plus sur ce dilemme entre la dimension réelle et irréelle de l'imagination.

Le genrefantastique joue, à ce titre, sur l'intrusion du surnaturel, dans un univers réel qui nous est familier.

Par exemple,le film de David Lynch nommé Lost High Way nous initie au fantastique, quelque chose d'indéfini : on ne sait plus ce qui est réel de ce qui ne l'est pas, le fantastique réalise lui aussi un mélange entre illusion et faits réels.. »