L'imagination joue-t-elle un rôle dans l'activité scientifique ?
Publié le 27/02/2004
Extrait du document
«
Bachelard a contribué à donner à l'épistémologie française ses lettres de noblesse, en particulier en déclarant dès les premières pages de « La formation de l'esprit scientifique » (1938) : « C'est en terme d'obstacle qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique. »
Bachelard s ‘est battu contre deux idées fausses portant sur les sciences, répandues dans le public.
D'une part, celle qui veut que le savant arrive pour ainsi dire l'esprit « vierge » devant les phénomènes à étudier, d'autre part celle qui voit le développement des sciences comme une simple accumulation de connaissance, un progrès linéaire.
En affirmant cette citation, il souhaite montrer les difficultés inhérentes à l'acte même de connaître.
Les obstacles à une connaissance scientifique ne viennent pas d'abord de la complexité des phénomènes à étudier, maisdes préjugés, des habitude de savoir, des héritages non interrogés.
« Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune.
Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés.
»
La première bataille à livrer pour accéder à la connaissance scientifique est donc une bataille contre soi-même,contre le sens commun auquel le savant adhère spontanément.
C'est une bataille contre l'opinion : « L'opinion pense mal, elle ne pense pas, elle traduit des besoins en connaissance.
» Ainsi les travaux de Bachelard peuvent-ils être compris comme une « psychanalyse de la connaissance ».
Mais il va plus loin : « En fait on connaît toujours contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même fait obstacle à la spiritualisation. »
Non seulement nous avons à nous défendre des préjugés communs, mais aussi des connaissances scientifiques antérieures.
Bachelard a su se rendre très attentif aux périodes de crise et de révolution scientifique, celles où l'on passe d'une théorie à une autre, d'un système à un autre, d'une méthode à une autre.
Si « La Formation de l'esprit scientifique » est consacrée aux obstacles premiers et naturels de la connaissance scientifique, « Le Nouvel Esprit Scientifique » s'interroge sur les révolutions scientifiques contemporaines.
La relativité Einstein ienne, la naissance de la mécanique ondulatoire, l'émergence des mathématiques axiomatiques sont le résultats d'efforts pour penser « contre une connaissance antérieure », mais cette dernière prend alors moins l'aspect de nos préjugés naturels que de notre héritage scientifique, qu'il faut reconsidérer et réformer.
Or, en prenant un exemple peu Bachelard ien, on aimerait illustrer le propos de l'auteur : « Il y a rupture et non pas continuité entre l'observation et l'expérimentation. » En effet, si la science moderne prend naissance avec l'apparition de l'expérimentation, la croyance en l'observation, en l'expérience première et en ses prétendus faits estl'obstacle premier et majeur à la connaissance rationnelle.
L'exemple le plus célèbre et le plus célébré reste le dispositif expérimental par lequel Galiléé , à l'aube du XVII ième, parvint à établir correctement la loi de la chute des corps.
Pour étudier cette chute des corps, Galilée ne se fie pas à l'observation commune, mais construit un dispositif, sélectionne les paramètres décisifs pour la loi qu'il veutétablir, et invente le moyen de mesurer leurs variations réciproques.
Il s'agit simplement de faire rouler des boulesdans un canal rectiligne creusé dans un plan incliné.
Il suffit ensuite de mesurer le temps de chute de la boule enfonction de la distance parcourue.
Un certain nombre de traits remarquables se dégagent de cette expérience.
Tout d'abord Galilée a su comprendre que le mouvement de la boule est une chute, ralentie certes, et identique à la chute des corps.
Deux mouvements différents pour le sens commun (la chute d'une pomme, par exemple, et le glissement d'une boule sur un plan incliné) sont compris comme identiques.
Mais, alors que le premier est difficilement mesurableavec les instruments de l'époque, le second peut l'être.
Ensuite, Galilée , pour vérifier ses hypothèses, a construit, après avoir conçu, un dispositif technique.
C'est en ce sens que l'on peut parler du début de l'expérimentation et de la rupture avec l'observation courante.
Le trait de génie de Galilée consiste en l'association de la science et de la technique et en l'élaboration d'un mécanisme permettant de mesurer les rapports entre les paramètres sélectionnés.
Le dispositif permet aussi decalculer les variations réciproques de l'espace et du temps et d'établir que la distance parcourue par le mobile estproportionnelle au carré du temps de la chute.
Enfin, Galilée a su négliger ce qui devait l'être.
ainsi, il n'a pas tenu compte des forces de frottement de la boule sur le plan ou de la résistance de l'air, qui, ralentissent la chute.
Kant a su montrer en quoi l'expérimentation rompait avec l'observation : en quoi ici la théorie prenait le pas sur la simple réception de l'expérience première, et en quoi l'effort scientifique visait à poser une question précise à la nature, en inventant les moyens de la contraindre ànous répondre.
« Lorsque Galilée fit rouler ses boules sur un plan incliné avec un degré d'inclination qu'il avait lui-même choisi [...] une lumière se leva pour tous les physiciens.
Ils comprirent que la raison ne perçoit que ce qu'elle produitelle-même d'après ses propres plans, qu'elle doit prendre les devants [...] et forcer la nature à répondre à sesquestions [...] car sinon les observations, faites au hasard, sans plan tracé d'avance, ne se rattacheraient pas àune loi nécessaire, ce que la raison pourtant recherche et exige. ».
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