L'imagination est-elle la cause de notre malheur ?
Publié le 05/03/2004
Extrait du document
- 1. L'imagination comme malheur de l'homme
- 2. L'imagination comme remède au malheur
- 3. L'imagination créatrice comme condition du bonheur
«
• La nature trompeuse de l'imagination.Idée essentielle : l'imagination déjoue la conscience critique, en affectant du même caractère le vrai et le faux.• La « seconde nature » de l'homme, production de l'imagination.
A rebours de la raison, l'imagination engendre sespropres évaluations, et attache les hommes à celles-ci.• L'exemple de la « réputation », directement liée à la « faculté imaginante », permet de souligner son efficacitépropre dans les allégeances sociales comme dans les sentiments de respect à l'égard des lois ou des personnes.
Mise en perspective
Perception et imagination
L'image, c'est littéralement ce qui ressemble à, sans être identique (cf.
le mot grec eikon).
Tout à la fois la présenced'une absence et l'absence elle-même (la photographie de l'être cher me le fait imaginer, mais l'image en moi, sansce support sensible de l'image réelle, me le restitue aussi, avec le flou de la nostalgie.
En vain, la terre cache ceuxque nous aimons et qui ne sont plus : le souvenir, qui est imagination, habite à tout jamais l'intime tristesse qui lesévoque).Le premier objet d'une perception sensible est image, comme est image son évocation à partir d'un mot, d'unesensation qui lui fut associée (cf.
Proust, À la recherche du temps perdu).
La perception, en ce sens, seraitimagination, mais on a pris l'habitude de réserver ce terme soit à la « reproduction » des images premières, soit àleur réélaboration plus ou moins voulue, et délibérée dans l'imagination artistique ou la rêverie développée pour elle-même (cf.
Bachelard, La Poétique de la rêverie).L'imagination peut nous affranchir, en un sens, du temps et de la réalité des situations données.
Elle estfondamentalement re-présentation, puisqu'elle a pour fonction de me présenter les objets (ou leurs images) en leurabsence.
Elle a de ce fait partie liée à la mémoire, soit qu'elle facilite le travail de la pensée en la dispensant des'attacher aux objets réels (la symbolique algébrique parachevant cela en relayant l'imagination elle-même), soitqu'elle opère les substitutions nécessaires au tourment d'une intériorité que ne satisfait pas la situation du moment(chez les romantiques, l'invocation lancinante de ce qui n'est plus conjure le désespoir présent par une sorte de
catharsis de la remémoration).Le temps de la subjectivité n'est pas seulement ce qui est à l'oeuvre dans la vie affective.
Il est aussi, pourl'homme, comme sens interne, ce qui permet de lier les images.
L'association de deux mouvements (une boule debillard A en heurte une autre B) peut être débordée par une anticipation de l'imagination, sous la forme d'uneinférence causale.
Je n'imagine que le Soleil se lèvera demain que parce que je l'ai vu se lever chaque jour.
Ici enjeu dans l'appréhension de l'expérience, l'imagination ne peut s'égaler à la pensée dès lors que celle-ci se développelibrement, hors des limites de l'expérience visuelle.
Je peux définir un chiliogone (polygone à mille côtés) mais je nepeux à proprement parler l'imaginer.
(Pour approfondissement, voir aussi le point de vue kantien dans La Religiondans les limites de la simple raison, Kant, Éd.
Vrin, p.
102, II, paragraphe 1, b, note, et Critique de la raison pure : «La faculté qui relie les éléments divers de l'intuition sensible est l'imagination, laquelle dépend de l'entendement pourl'unité de sa synthèse intellectuelle, et de la sensibilité pour la diversité des éléments de l'appréhension.
»)L'imagination, puissance trompeuseOn peut comprendre, dès lors, que la tradition philosophique donne un statut assez ambigu à l'imagination.
Celle-ci,souvent rattachée à la perception, a longtemps été pensée comme une entrave à la connaissance authentique.Ainsi Pascal disait-il de l'imagination : « C'est cette partie décevante de l'homme, cette maîtresse d'erreur et defausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours...
» En tout cas, son statut psychique, envisagé à lafois dans l'approche de la vie affective et dans la réflexion sur le rapport perceptif, demande à être défini dans soncaractère spécifique.
Toute perception est en un sens imagination (faculté de produire des images) et l'on a puparler de « connaissance imaginative », rattachant les « modes d'imaginer » de l'homme à son acceptation naïve del'apparence, doublée d'une projection anthropomorphique inaperçue (cf Spinoza).À ce niveau, la production d'un imaginaire apparaît bien comme l'investissement d'une vie affective antérieure à laperception du présent ; cet investissement s'opère de façon quasi « naturelle » dans le rapport immédiat àl'apparence (pas de problématisation des données empiriques).
La connaissance objective, elle, exige une rupture.L'imaginaire – et la formation qui lui correspond – ne se réduit donc pas à la perception ; il est faux de dire qu'il enpart.
Dans le champ des relations sociales, là où le souci de paraître mais aussi le désir de reconnaissance règnent,l'imagination joue un rôle déterminant.
Pascal se plaît à souligner ce rôle, repérable dans le sens de la hiérarchiecomme dans les mimétismes fébriles qui poussent les hommes à cultiver leur image, mais aussi à valoriser les biensqui les rassurent en ce qui concerne celle-ci.
Cette quête de valorisation tend à fausser les choses, au point del'emporter sur la raison.
Dans la soumission aux autorités, la symbolique de la puissance, le cérémonial de mise enscène des pouvoirs, jouent sur les ressorts de cette imagination.On soulignera la force du texte de Pascal concernant les dangers de la « faculté imaginante », propre à suscitersoumission voire vénération.
De fait l'imaginaire traditionnel des pouvoirs de domination ne manque pas d'en user etd'en abuser.
Éclairage comparatif
On pourra réfléchir sur le texte qui suit, également tiré des Pensées de Pascal (même édition, n°147) : « n°147.
–Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dansl'idée des autres d'une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître.
».
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