l'imagination est-elle ennemie de la raison
Publié le 19/03/2004
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le bon sens et de violer les règles fondamentales de la logique.
Elle n'affirme rien comme réel.
Il arrive seulement queses constructions ont tant de vie que le réel en est parfois oublié.
Mais dans ce cas commence à intervenir uneforme supérieure de cette faculté, la seule que, en dehors du vocabulaire des psychologues, évoque le mot «imagination ».B.
En effet, il est plus juste de définir l'imagination : la faculté d'imaginer.Imaginer ne consiste pas simplement à former des images : je n'imagine pas une bagarre dont je fus témoin hier, jela revois ; sur le quai de la gare, je n'imagine pas le train s'immobilisant sous le hall, je le vois d'avance.Qui imagine construit par la pensée quelque chose qui n'existe pas ; cette imagination est créatrice ou, plusprécisément, inventive.Dans cette invention interviennent sans doute des images, mais elle ne se réduit pas à une combinaison d'images.Elle comporte aussi le recours à tout un savoir comportant notions générales, termes abstraits, symbolesconventionnels, etc.
Le philosophe qui disserte et même le mathématicien qui cherche la solution d'un problèmeimaginent comme l'architecte ou le peintre, quoique d'une manière un peu différente.
Aussi, bien qu'il soit classiqued'opposer concept et image, « imaginer » est souvent synonyme de « concevoir », c'est pour cela encore que nousavons pu dire : « Qui imagine construit par la pensée ».C'est de l'imagination inventrice, forme particulière de la pensée, que l'on peut se demander si elle n'est pasl'ennemie de la raison.
II.
— LA FACULTÉ D'IMAGINER EST-ELLE ENNEMIE DE LA RAISON ?
A.
La prédominance de la fonction imaginative aboutit souvent à une pensée irrationnelle ou déraisonnable.
Nous lesavons par expérience. On pourrait citer ici l'observation que Pascal emprunte à Montaigne : « Le plusgrand philosophe du monde, sur une planche plus large qu'il ne faut, s'il y aau-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, sonimagination prévaudra » (PASCAL).
Toutefois, si elle prévaut en ce sensqu'elle provoque un résultat contraire au calcul rationnel, elle ne supplantepas la raison qui continue à porter sur la situation un jugement objectif.Mais il est d'autres cas où elle la supplante.
L'adolescent et surtoutl'adolescente imaginatifs qui rêvent à leur avenir, se représentent un mondemerveilleux, oubliant leur situation actuelle qui ne permet pas raisonnablementde prévoir rien de tel.
On tâche de les ramener au réel.
Mais il est difficile deleur faire entendre raison : l'imagination est plus forte.Quelques marques d'intérêt ou, au contraire, certains comportements qui nousvexent, et voilà notre imagination mise en branle.
Nous construisons tout unroman qui occupe et trouble notre esprit pendant plusieurs jours, jusqu'à ceque toute une série de faits nouveaux montre que cette construction reposesur des indices mal interprétés.
Se fondant sur des expériences analogues, laraison essayait bien de freiner les débordements de l'imagination.
En vain :l'imagination était plus forte.Le travail scientifique est moins exposé aux désordres de ce genre, mais il n'enest pas tout à fait exempt : le chercheur qui a conçu une hypothèse (etconcevoir, dans ce contexte, c'est dans une grande mesure imaginer), l'historien qui croit avoir trouvé d'un fait une explication nouvelle qui est plus satisfaisante, ferment facilementl'oreille aux objections qu'on leur présente : ici encore, l'imagination freine le jeu de la raison.
B.
Mais il y a une contrepartie : c'est l'imagination qui trouve les explications ou les solutions ; par là elle est uninstrument indispensable du progrès dans tous les domaines ; réduit à la seule raison, l'esprit humain tournerait enrond.En effet, si la raison déduit avec rigueur, cette exigence de rigueur empêche l'esprit de se hasarder dans les régionsincertaines où se font les trouvailles : « La pensée rationaliste ne commence pas, écrit Bachelard, elle rectifie ».Encore lui faut-il quelque chose à rectifier : c'est l'imagination qui le lui apporte.Sans doute dans ces apports, comme dans le minerai brut, il y a des scories, des idées fausses ou même absurdes :ce n'est pas sans fondement que Malebranche appelle l'imagination « la folle du logis ».
Du moins contiennent-ils desidées sur lesquelles peut s'exercer l'esprit critique, qui est une modalité de la raison.
Ainsi s'éliminent les idées folles,les idées inadéquates se rectifient et deviennent de plus en plus rationnelles.
D'ailleurs, grâce à l'attitude critiquequi était devenue habituelle, l'imagination elle-même, en vient à faire l'économie de bien de ces pensées folles que laraison doit rejeter ; du moins ces pensées restent-elles à l'arrière-plan de la conscience.
On dirait que l'imaginationa acquis comme un sens du raisonnable et du rationnel.Cette faculté d'invention et de discernement de la raison s'observe dans la vie pratique : chez l'industriel et lecommerçant, chez le directeur d'un service de publicité, dans l'orchestration d'une campagne politique ou dans lacomposition d'un menu.Elle a été mise en relief dans le processus de la recherche expérimentale où le moment essentiel est l'apparition del'idée ou hypothèse : cette idée, que l'on met ensuite à l'épreuve dans l'expérimentation, « ne peut être suggéréepar aucune méthode, mais provient d'un certain échauffement subjectif de l'imagination en présence des faits ».Même en mathématique, qui passe pour la science essentiellement rationnelle-, il faut d'abord imaginer la solutiondes problèmes ou l'au-delà du domaine déjà prospecté.
Beaucoup d'esprits, remarque Poincaré, sont imperméablesaux mathématiques parce qu'ils manquent d' « imagination opératoire ».Sans doute, un excès d'imagination peut troubler l'exercice de la pensée rationnelle ; mais, faute d'imagination on ne.
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