L'île de Robinson - Hegel
Publié le 19/03/2015
Extrait du document
«
L'île de Robinson 47
L'humanité nue, ou presque, se raconte l'histoire de son
recommencement.
Robinson sera seul d'abord.
Mais cette solitude est toute
relative, puisqu'il porte avec lui l'acquis de toute une civilisa
tion,
qui fit de lui un homme.
Savoirs et savoir-faire, croyances
et sensibilité, langage et vision du monde, habitent son regard
et pèsent dans ses gestes.
La vie réinventée sera donc encore
héritage, mais elle fera retour à la construction exemplaire
d'un univers.
Tour à tour chasseur et cultivateur, éleveur et jar
dinier, tisserand et menuisier, maçon et vannier, Robinson se
démultiplie et vit la division du travail.
L'île devient sienne, par
cette appropriation active qui en fait une demeure humaine.
Du désert initial surgit un nouveau cadre familier.
L'île se rêve
et se réinvente.
Rousseau, en écrivant l' Émile, a
voulu voir
dans Robinson une figure exemplaire, notamment
sur le plan de l'éducation.
La fiction d'un recommencement
absolu serait bien sûr naïve, et dépourvue de crédibilité.
Robinson recrée les conditions d'une existence humaine, mais
la vie sociale antérieure à son naufrage ne peut être oubliée.
L'histoire
de son rapport pratique aux choses met sous les yeux
une sorte de genèse idéale des valeurs et des critères de juge
ment.
Elle met à nu les préjugés ordinaires, qui sont davantage
des
habitudes mentales que d'authentiques jugements.
Rous
seau en apprécie ainsi la portée : «Cet état n'est pas,j'en con
viens, celui
d_e l'homme social ; vraisemblablement il ne doit pas
être celui d'Emile; mais c'est sur ce même état qu'il doit appré
cier tous les autres.
Le plus sûr moyen de s'élever au-dessus des
préjugés et d'ordonner ses jugements sur les vrais rapports des
choses, est de se mettre à la place d'un homme isolé, et de juger
de tout comme cet homme en doit juger lui-même, eu égard à
sa propre utilité » (Émile, ou de l'éducation, III).
La démarche
d'identification imaginaire à Robinson est bien celle d'un
décentrement, qui assigne les limites de l'heure ou du lieu.
Elle
permet par exemple de reconsidérer la valeur réelle des travaux
et des métiers : « il y a une estime publique attachée aux diffé
rents arts
en raison inverse de leur utilité réelle [ ...
].
Robinson
eût fait beaucoup plus de cas de la boutique d'un taillandier que
de tous les colifichets de Saïde.
Le premier lui eût paru un
homme très respectable, et l'autre un petit charlatan » (ibid.).
L'île rêvée, ou inventée par l'idéal, peut être si lointaine
qu'elle n'est nulle part.
Utopie : lieu sans lieu réel, car la
mesure des exigences idéales dépasse toute réalité donnée..
»
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