l'ignorance est-elle un obstacle à la liberté ?
Publié le 25/11/2005
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• L'ignorance est le fait de ne pas connaître quelque chose : soit de ne pas en connaître l'existence, soit d'en connaître l'existence sans en avoir la compréhension. A l'ignorance, on peut opposer la connaissance ou le savoir. Cependant, l'ignorance n'est jamais éradiquée : il nous est impossible de tout connaître.
• La liberté est l'état de celui qui n'est pas soumis à des contraintes, externes ou internes. Selon le type de contraintes envisagées, on peut entendre la liberté en plusieurs sens :
- la liberté comme absence de toute causalité, s'opposant au déterminisme
- la liberté physique
- la liberté morale : une absence de contraintes internes (notamment les passions)
- la liberté politique : absence de contraintes politiques et sociales, par opposition à l'oppression.
• Pour se libérer des contraintes, encore faut-il les connaître : en ce sens, l'ignorance s'oppose à la liberté puisqu'elle la freine. La méconnaissance des causes internes et externes qui déterminent nos actions et nos pensées entraîne la privation de notre liberté. C'est également cette méconnaissance qui permet à d'autres d'avoir prise sur nous et de contrôler nos actions : à l'ignorant, on peut faire croire ce qui est faux et ainsi le dominer.
• Cependant, si on voit bien que l'ignorance peut être un frein à la liberté, peut-on dire pour autant que la connaissance permet de se libérer ? La connaissance, qui dévoile les causes à l'oeuvre dans notre vie, n'apporte-t-elle pas au contraire la conscience que la liberté n'est qu'une illusion ?
• C'est donc entre ces deux voies que le problème se pose. D'un côté, l'ignorance est un frein à la liberté ; d'un autre côté, l'absence d'ignorance rend seulement conscient de notre asservissement. Quelle valeur faut-il alors accorder à l'ignorance ?
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Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par des causes extérieures àexister et à agir d'une certaine façon déterminée.
Pour rendre cela clair et intelligible, concevonsune chose très simple : une pierre par exemple reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, unecertaine quantité de mouvement et, l'impulsion de la cause extérieure venant à cesser, ellecontinuera à se mouvoir nécessairement.
Cette persistance de la pierre dans le mouvement estune contrainte, non parce qu'elle est nécessaire, mais parce qu'elle doit être définie par l'impulsiond'une cause extérieure.
Et ce qui est vrai de la pierre il faut l'entendre de toute chose singulière,quelle que soit la complexité qu'il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être sesaptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une causeextérieure à exister et à agir d'une certaine manière déterminée.
Concevez maintenant, si vousvoulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et sache qu'elle fait effort,autant qu'elle peut, pour se mouvoir.
Cette pierre assurément, puisqu'elle a conscience de soneffort seulement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre etqu'elle ne persévère dans son mouvement que parce qu'elle le veut.
Telle est cette libertéhumaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ontconscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent.
Un enfant croit librementappéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s'il est poltron, vouloir fuir.
Un ivrognecroit dire par un libre décret de son âme ce qu'ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire.De même un délirant, un bavard, et bien d'autres de même farine, croient agir par un libre décretde l'âme et non se laisser contraindre.
Spinoza, Lettre LVIII Le rationalisme cartésien nous montre déjà qu'une volonté infiniment libre, mais privée deraison, est une volonté perdue.
Plus nous connaissons, plus notre liberté est grandie et fortifiée.Si nous développons notre connaissance au point de saisir dans toute sa clarté l'enchaînementrationnel des causes et des effets, nous saisirons d'autant mieux la nécessité qui fait que tellechose arrive et telle autre n'arrive pas, que tel phénomène se produit, alors que tel autre neviendra jamais à l'existence.
Pour Spinoza, une chose est libre quand elle existe par la seulenécessité de sa propre nature, et une chose est contrainte quand elle est déterminée par uneautre à exister et à agir.
Au sens absolu, seul Dieu est infiniment libre, puisqu'il a uneconnaissance absolue de la réalité, et qu'il la fait être et exister suivant sa propre nécessité.Pour Spinoza et à la différence de Descartes, la liberté n'est pas dans un libre décret, mais dansune libre nécessité, celle qui nous fait agir en fonction de notre propre nature.
L'homme n'estpas un empire de liberté dans un empire de nécessité.
Il fait partie du monde, il dispose d'uncorps, d'appétits et de passions par lesquelles la puissance de la Nature s'exerce et s'exprime ennous, tant pour sa propre conservation que pour la nôtre.
Bien souvent nous croyons être libres,alors que nous ne faisons qu'être mus, par l'existence de causes extérieures :la faim, la pulsion sexuelle, des goûts ou des passions qui proviennent de notre éducation, denotre passé, de notre culture.
Nul homme n'étant coupé du milieu dans lequel il vit et se trouveplongé, nous sommes nécessairement déterminés à agir en fonction de causes extérieures ànotre propre nature.
"Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir etqui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs, et ignorants descauses qui les déterminent."
III – La docte ignorance
• Cependant, l'ignorance ne peut jamais être totalement dépassée.
Ce qui est dangereux pour la liberté, nousl'avons vu, c'est moins l'ignorance elle-même que le fait de ne pas savoir que l'on est ignorant.
Il faut donc entendrel'ignorance en plusieurs sens, selon plusieurs échelons :
- l'ignorance naturelle, le non-savoir total
- l'ignorance inconsciente d'elle-même de ceux qui croient savoir
- l'ignorance savante, consciente d'elle-même et qui est le propre des sages.
• Ainsi, Socrate fait de l'ignorance dans son troisième sens une valeur suprême lorsqu'il dit qu'il sait qu'il ne sait rien. Cette ignorance réflexive permet en effet :
- de ne pas se laisser séduire ni manipuler par des discours extérieurs
- de s'étonner de tout, méthode philosophique de Socrate, et donc de chercher la vérité
C'est un principe à la fois libérateur (par la quête de la vérité) et préservant la liberté.
• L'ignorance en ce sens correspond à ce que Nicolas de Cues a appelé « la docte ignorance » :
Or, tous ceux qui recherchent jugent de l'incertain, en le comparant à un présupposé certain parun système de proportions.
Toute recherche est donc comparative, et elle use du moyen de laproportion : si l'objet de la recherche se laisse comparer au présupposé par une réduction.
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