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L'ignorance est-elle toujours une excuse ?

Publié le 18/03/2004

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Leibniz, ce penseur de la continuité, voyait dans les simples vivants - plantes et matières inorganiques - de l'esprit déjà, mais instantané. À propos des plantes, par exemple, il parlait de «conscience sourde« ou de « perception simple« non accompagnée de mémoire. Mais, aux yeux de Bergson, instantanéité et sensibilité ne peuvent aller de pair, puisque la sensation est déjà mémoire. Il faut donc admettre que si la matière inanimée est «un esprit instantané«, elle est insensible : un pur présent instantané serait la pure inconscience d'une matière inerte et insensible, et il faudrait alors renoncer à parler d'esprit. Une perception instantanée, sans mémoire, est impossible, car percevoir, être sensible, être conscient, c'est toujours un tant soit peu se souvenir. La conscience ne peut se concevoir sans durée, sans passé survivant dans la mémoire - de manière spirituelle et/ou mécanique - et se conservant en chaque présent, de lui-même. La mémoire n'est donc pas une fonction de la conscience : elle est la conscience elle-même, comme conservation du passé au présent. La conscience est par essence mémoire.Si le passé se conserve ainsi, s'il fait boule de neige avec lui-même, alors la conscience ne vit jamais les mêmes états : il suffit que du temps ait passé pour qu'elle se transforme qualitativement et progresse, et, par là, s'ouvre à la nouveauté et à l'avenir. La conscience est tension.

L’ignorance, qui se définit comme une non-connaissance de quelque chose, peut-elle nous servir d’excuse pour ne pas accomplir telle action ou entreprendre telle recherche ? N’est –elle pas plutôt un moteur qui doit nous pousser à la vaincre et ainsi acquérir une connaissance des choses ? De sorte que l’ignorance ne semble pas pouvoir être prise comme une excuse face à l’urgence d’une action, par exemple. Au contraire, nous devons nous donner les moyens et mettre tout en œuvre pour agir malgré notre ignorance de certaines choses. La portée du sujet est alors morale au sens où nous ne pouvons nous retrancher derrière une certaine ignorance pour éviter tout engagement.

« Pour chacun de nous, sa propre conscience est même la seule réalité dont il puisse avoir une connaissance directe, immédiate, une connaissance qui soit une absolue coïncidence avec son objet, et non un point devue extérieur et relatif : «il y a une réalité au moins que nous saisissons tous du dedans, par intuition et nonpar simple analyse : c'est notre propre conscience dans son écoulement et sa durée ».

Que nous apprend, d'abord, cet effort pour coïncider avec notre propre conscience ? Ce qui nous apparaît d'abord, c'est l'indissociabilité du présent et du passé au sein de notre courant de conscience . Si « conscience signifie d'abord mémoire», c'est qu'on ne peut trouver une ligne de démarcation entre le passé et le présent, donc entre la mémoire et la conscience .

Tout présent conscient suppose une rétention du passé, que ce soit sur le mode du souvenir spirituel ou sur le mode d'un mécanisme sensori-moteur issude l'habitude.

Par exemple, lorsque j'articule un mot, je ne suis conscient du sens de ce mot que si je mesouviens des premières syllabes, lorsque j'articule la dernière.

Il en va de même pour une phrase écoutée ouprononcée : je ne suis conscient de son sens que par le souvenir spirituel des premiers mots.

Il en irait demême du paragraphe, de [oeuvre entière.

Mais la mémoire «peut n'embrasser qu'une faible partie du passé »,comme c'est le cas dans tout présent sensori-moteur, au coeur de l'action mécanique : si mon degré deconscience est faible, en cet automati sme efficace, il n'en reste pas moins que cette conscience suppose mémoire.

En effet, percevoir c'est se souvenir, car la moindre sensation suppose une successiond'ébranlements élémentaires qui se conservent.

De même, pour coordonner efficacement les gestes sous[impulsion de la sensation, il faut bien qu'un mécanisme déjà emmagasiné et conservé soit mobilisé.

Ainsitout présent sensori-moteur d'un être doué de vie et de sensibilité suppose mémoire, donc un certain degréde conscience .

En droit, la mémoire est coextensive à la conscience et la conscience à la vie. L'hypothèse leibnizienne d'une conscience instantanée s'avère contradictoire, ce qui démontre que la mémoire est bien l'essence de la conscience .

Leibniz, ce penseur de la continuité, voyait dans les simples vivants - plantes et matières inorganiques - de l'esprit déjà, mais instantané.

À propos des plantes, parexemple, il parlait de « conscience sourde» ou de « perception simple» non accompagnée de mémoire.

Mais, aux yeux de Bergson , instantanéité et sensibilité ne peuvent aller de pair, puisque la sensation est déjà mémoire.

Il faut donc admettre que si la matière inanimée est «un esprit instantané», elle est insensible : unpur présent instantané serait la pure inconscience d'une matière inerte et insensible, et il faudrait alorsrenoncer à parler d'esprit.

Une perception instantanée, sans mémoire, est impossible, car percevoir, êtresensible, être conscient, c'est toujours un tant soit peu se souvenir.

La conscience ne peut se concevoir sans durée, sans passé survivant dans la mémoire - de manière spirituelle et/ou mécanique - et seconservant en chaque présent, de lui-même.

La mémoire n'est donc pas une fonction de la conscience : elle est la conscience elle-même, comme conservation du passé au présent.

La conscience est par essence mémoire.Si le passé se conserve ainsi, s'il fait boule de neige avec lui-même, alors la conscience ne vit jamais les mêmes états : il suffit que du temps ait passé pour qu'elle se transforme qualitativement et progresse, et,par là, s'ouvre à la nouveauté et à l'avenir.

La conscience est tension.

Et c'est parce qu'elle est rétention du passé qu'elle est tension vers l'avenir. [2) Parce qu'elle est mémoire, la conscience est perpétuelle anticipation.] Ainsi, c'est «en vue de ce qui va être» que notre esprit s'occupe de ce qui est.

Si chacun en revient auxdonnées immédiates de sa conscience et coïncide intuitivement avec le mouvement de sa durée spirituelle, en se faisant contemporain de l'action en train de se faire, il s'aperçoit alors que son courant de conscience est vectoriellement orienté.

Chaque présent ne prend sens qu'en fonction de buts et fins visés.

Or, lapréparation de ce qui sera requiert l'utilisation de ce qui a été, car, pour prévoir et agir, il faut se souvenirdes occurrences passées.

C'est donc parce que la conscience est perpétuelle rétention du passé qu'elle est tension vers l'avenir, c'est-à-dire progrès - du latin progredior, je m'avance vers, je vais de l'avant.

Ainsichaque présent est création d'avenir, préparation de ce qui sera, projection et projet.

Ce qui est, c'esttoujours ce qui se fait sur le mode du projet.C'est pourquoi la conscience est attention, c'est-à-dire concentration spirituelle.

En effet, seule une conscience qui retient le passé et anticipe l'avenir est une conscience attentive.

Cela apparaît clairement dans l'intention signifiante : lorsque j'écoute ou construis un discours, je ne suis vraiment attentif à chacunde ses mots, à chacune de ses phrases, que dans la mesure où je me souviens de ce qui a déjà étéprononcé et où j'attends une totalité sensée à chaque articulation du discours.

«L'attention est uneattente», et il en va de la vie et de l'action comme du discours : chaque présent ne prend sens qu'enfonction de ce que j'attends de sa réalisation.

La vie d'un être conscient peut être pensée comme tension etmouvement orienté vers l'avenir.L'avenir anticipé, en effet «nous tire à lui».

Sa force de traction est une force d'attraction.

C'est parce qu'ilest attrayant, qu'il a pour nous de l'attrait, que l'avenir nous tire, nous fait progresser, aller de l'avant, sanstrêve.

La temporalité propre à la conscience a ceci d'original que le sens du présent ne lui vient pas seulement du passé, mais aussi et surtout de l'avenir.

Ainsi nous sommes sans cesse en mouvement, enprojet, et c'est pourquoi «nous agissons continuellement» : ces projets, ces projections de nous-mêmes,ces buts, nous poussent à entreprendre, à faire pour réaliser.

Pour un vivant conscient, exister, c'est agir etainsi, changer, se mûrir, se créer indéfiniment soi-même, en une durée mélodique et continue.Si la conscience se spécifie par son rapport au passé et à l'avenir, si elle est par essence mémoire et anticipation, projet, comment alors penser la nature de son présent, pénétré de passé qui perdure, et tenduvers l'avenir qui l'attire? N'y a-t-il pas à craindre que son présent en soit dévalorisé? [3) Il n'en est rien, car le présent a une épaisseur qui le fait durer :la conscience , synthèse. »

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