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L'homme peut-il se contenter de travailler en vue du seul gain ?

Publié le 17/01/2022

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Et d'ailleurs, le seul gain, l'unique profit en lui-même nous permettent de vivre, d'entretenir notre existence et notre force de travail. Donc, le gain est denrée précieuse puisqu'il me permet d'exister. Oui, je puis travailler pour le seul gain, et indépendamment d'une autre finalité, puisque le gain assure la survie de l'existence.Toutefois, on peut faire ici deux remarques. Tout d'abord, si l'on travaille en vue du seul gain, il est bien vrai que l'on introduit dans sa vie un projet raisonnable, que l'on évacue une force violente, irrationnelle, liée au désir, à la mort, etc.. Mais travailler pour le seul argent, n'est-ce pas alors travailler pour l'accès à la raison et au projet raisonnable ? L'argent lui-même se trouve finalisé par rapport à quelque chose d autre, qui est la rationalité.D'autre part, si l'homme se contente de travailler en vue du seul gain, ne se trouve-t-il pas arraché, par certains aspects, à la réflexion et à la pensée ? Quand le travail est subordonné au seul profit, l'homme n'est-il pas conduit, comme l'a bien montré Nietzsche, à être privé de méditation, de réflexion ?

Le gain est-il l'unique motivation du travail ? Ne travaille-t-on qu'en vue d'un salaire ? Le travail n'est-il qu'un moyen d'enrichissement ou peut-il être également une fin en soi ? Le travail est-il, pour l'Individu, un élément quasi externe de la personnalité ou bien une forme et une structure constitutives de nous-mêmes ? Une donnée coextensive au sujet ou bien un accident ? une substance ou un épiphénomène ?

« B.

Travailler pour s'humaniser. Travailler pour le seul argent ? pour le seul profit ? À la réflexion, cette position paraît bien réductrice, et bienpartielle.

Elle ne prend nullement en compte les données de l'anthropologie, la signification du travail dansl'élaboration de la personnalité humaine.

En vérité, on ne saurait travailler pour le seul profit ; au contraire, peut-être bien nous faut-il travailler...

pour travailler, c'est-à-dire pour nous édifier véritablement.

Ici, le travail acquiertune autre signification : il devient une construction de formes signifiantes, une édification de nous-mêmes unegenèse de la personnalité.L'homme ne saurait se contenter de travailler en vue du seul gain.

Qu'est-ce qui, en effet, le rend véritablementheureux ? C'est la contemplation objective de lui-même dans le monde.

Quand l'homme aperçoit, dans les chosesobjectives, sa propre conscience extériorisée, il expérimente une forme de liberté qui l'arrache à son immédiatetébiologique.

Il accède à la véritable humanité.

L'homme est, en effet, un être pensant.

Or, en travaillant et enchangeant les choses extérieures, il retrouve sa pensée dans le monde.

Il ôte aux choses leur caractèrefarouchement étranger et les marque du sceau de la pensée.

Travailler pour le seul gain ? Non point, mais pourcontempler la pensée inscrite dans les choses.

C'est ce que Hegel nous a magnifiquement montré, en particulierdans La Phénoménologie de l'Esprit.

L'homme, en transformant la nature et les choses, se construit et se réalise lui-même.

Il façonne la nature à son image et accède ainsi à la liberté.

Dès lors, travaille-t-il en vue du seul gain ? Nonpoint, mais pour se retrouver libre, dans un réel, qui le reflète.

C'est par le travail que l'homme se réalise en tantqu'homme et se définit : il est la structure même de la réalité humaine, non point un accident qui se surajoute à elle. « L'homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu'il estpoussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui lui estdonné immédiatement, dans ce qui s'offre à lui extérieurement.

Il y parvienten changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de son intérioritéet dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations.

» (Hegel,Esthétique, Textes choisis, PUF, p.

22).

L'homme ne saurait donc secontenter de travailler en vue du seul gain puisque son besoin le plus profondconsiste à prendre conscience du monde extérieur et à en faire un objet danslequel il se reconnaisse lui-même.Mais il faut aller plus loin : l'homme doit travailler parce que l'action et letravail le libèrent de la mort.

Donc, il faut travailler pour changer les chosesextérieures, les maîtriser, contempler sa conscience objectivée et, dès lors,nous libérer de l'angoisse de mort.

Travailler, non point pour le seul gain, maispour que la face sombre et opaque de la mort soit mise à distance.

Ce quel'on peut montrer de deux façons.Tout d'abord, notons, avec Hegel, qu'en s'extériorisant, la consciencecontemple avec satisfaction son être pour-soi objectivé.

Ainsi, elle surmontel'angoisse de la mort.

L'homme qui travaille s'affranchit ainsi de cette idéenégative qu'est la mort.

II faut travailler pour chasser l'idée de la mort.

C'esten travaillant qu'on s'affranchit de la terreur asservissante qu'inspire l'idée dela mort.En second lieu, on peut souligner, avec Hannah Arendt, que l'action est thaumaturgique : elle arrête la course inexorable vers la mort parce qu'elle introduit du neuf.

Sans l'action et letravail, l'homme serait jeté tête baissée dans le délabrement, dans l'entropie naturelle.

Agir et travailler, c'est fairesurgir un élément neuf qui brise le mouvement précipité vers la mort.

Travailler pour le seul gain ? Que non point ! Ils'agit d'arrêter l'effroyable mouvement du temps, de commencer du neuf par notre propre initiative.

Travailler, ensomme, pour introduire une brèche dans le deuxième principe de la thermodynamique (de Carnot et Clausius), quinous dit que tout est voué à l'entropie.

« Laissées à elles-mêmes, les affaires humaines ne peuvent qu'obéir à la loide la mortalité, la loi la plus sûre, la seule loi certaine d'une vie passée entre naissance et mort.

C'est la facultéd'agir qui interfère avec cette loi parce qu'elle interrompt l'automatisme inexorable de la vie quotidienne [...] La viede l'homme se précipitant vers la mort entraînerait inévitablement à la ruine, à la destruction, tout ce qui esthumain, n'était la faculté d'interrompre ce cours et de commencer du neuf.

» (H.

Arendt, Condition de l'hommemoderne, p.

313).

Ainsi, nous travaillons, au plus profond de nous-mêmes, parce que nous ne sommes pas nés pourmourir, mais pour innover.

Thaumaturgique, notre travail nous arrache à la mort.

Nous ne travaillons pas pour lesimple gain, mais pour faire échec à l'entropie, du moins tant que ceci est en notre pouvoir.Il reste, néanmoins, un dernier élément à prendre en compte : celui qui se rattache au travail purement créatif, celuides artistes et contemplatifs de toutes sortes.

Est-ce en vue du seul gain qu'ils travaillent ? Ils s'élèvent, plus quetout autre homme, à un élément spéculatif décisif.

Il faut pousser à son terme l'analyse anthropologique du travail. C.

Travailler pour la joie. N'est-il pas un signe nous avertissant que notre destination suprême est atteinte, que l'épanouissement suprêmeest réalisé, que la vie la plus profonde a gagné ? Nous savons que ce signe est la joie, cet état de satisfactionretentissant dans tout le champ de la conscience.

Or, l'homme véritablement créateur travaille, en définitive, pour lajoie.

Loin d'être subordonné au profit, son travail est finalisé par cette dernière.

Le gain de tous les gains, n'est-cepas, en définitive, la joie ? Que signifie le travail, sinon l'acte orienté en vue de la joie ?. »

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