l'homme peut-il perdre son humanité ?
Publié le 24/11/2005
Extrait du document
«
« - De sorte que, déchu de moi, étranger à moi-même, ce qui s'affirme à ma place, c'est l'étrangeté d'autrui –l'homme comme absolument autre, étranger et inconnu, le dépossédé et l'errant ou, comme le dit René Char,l'homme inimaginable – par la présence duquel passe l'affirmation dune exigence infinie.
[...]
« Quand l'homme en est réduit à l'extrême dénuement du besoin, quand il devient « celui qui mange lesépluchures », l'on s'aperçoit qu'il es réduit à lui-même, et l'homme se découvre comme celui qui n'a besoin de riend'autre que le besoin pour, niant ce qui le nie, maintenir le rapport humain dans sa primauté.
Il faut avouer que lebesoin alors change, qu'il se radicalise au sens propre, qu'il n'est plus qu'un besoin aride, sans jouissance, sanscontenu, qu'il est le rapport nu à la vie nue et que le pain que l'on mange répond immédiatement à l'exigence dubesoin, de même que le besoin est immédiatement le besoin de vivre.
[...]
« - On peut donc se dire que lorsque, par l'oppression et le malheur, mon rapport avec moi-même se perd ets'altère, faisant de moi cet étranger et cet inconnu dont me sépare la distance infinie et faisant de moi la séparationinfinie elle-même, le besoin devient le besoin radical, sans satisfaction, sans valeur, qui est le rapport nu àl'existence nue, mais devient aussi l'exigence impersonnelle qui porte à elle seule l'avenir, et le sens de toutes lesvaleurs ou, pour parler plus justement, de tous les rapports humains.
»
Maurice Blanchot montre qu si tout ce qui fait que l'homme est humain peut lui être enlevé, son humanité même nepeut lui être ôtée car elle se retrouve jusque dans la privation des caractères d'humanité.
D'un point de vuepsychologique, elle se présente au sujet dépossédé de lui-même sous la forme de l'étrangeté, de l'étrangèreté.
Deces caractères de l'humain dont l'homme peut être dépossédé, Maurice Blanchot voit le paradigme dans le pouvoirde dire Je, dans l'intimité avec soi-même.
Privé d'une telle identité, l'homme trouve en lui une humanité nue, siuniverselle et rebelle à toute particularisation qu'elle lui est étrangère à lui, l'homme, pour qui être homme signifieêtre soi avec soi.
C'est donc a fond d'un paradoxe, par lequel la négation de l'humanité est elle-même niée, quetrouve l'humanité en celui qui a subi tous les traitements visant à l'en faire déchoir.
On peut aussi utiliser ce texte pour traiter un certain nombre de cas limites, où l'homme semble coupé de sonhumanité : la folie, par exemple.
Un autiste semble n'avoir plus rien d'un animal politique.
Mais il faut plutôt dire queson rejet des hommes est encore un geste humain et politique.
On pourra aussi prendre l'exemple de la littératured'Antonin Artaud.
Ses obsessions de destruction du corps humain comme ensemble d'organes, ses cris de révolte, sadéchirure intérieure, tout traduit, jusque dans la folie, « le rapport nu à l'existence nue ».
Transition On semble avoir touché ici au fond du problème : l'humanité est telle que, niée, sa négation se nie elle- même en l'homme.
En d'autres termes, l'humanité semble impossible à perdre.
Mais c'est que l'on a étudié ici la perteau sens de la dépossession, d'une dépossession extérieure à l'homme lui-même, qu'elle soit voulue, par exemple parun tortionnaire, ou non, par exemple les circonstances menant à la folie.
Mais qu'en est-il, justement, de cetortionnaire? Ne dit-on pas de certains actes d'une cruauté trop insoutenable qu'ils sont inhumains? Que leursagents, même, sont inhumains? C'est donc le cas de la perte comme déchéance qu'il nous faut à présent considérer.Aussi, nous devons commencer par nous interroger sur ce qui rend possible la perte de l'humanité, comprise commedéchéance morale.
II Les conditions de possibilité de la déchéance hors de l'humanité.
Jean-Jacques ROUSSEAU Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
« Je ne vois dans tout animal qu'une machine ingénieuse, à qui la nature adonné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu'à uncertain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger.
J'aperçoisprécisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cettedifférence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieuque l'homme concourt aux siennes, en qualité d'agent libre.
L'un choisit ourejette par instinct, et l'autre par un acte de liberté; ce qui fait que la bêtene peut s'écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui seraitavantageux de le faire, et que l'homme s'en écarte souvent à son préjudice.C'est ainsi qu'un pigeon mourrait de faim près d'un bassin rempli des meilleuresviandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de grain, quoique l'un et l'autrepût très bien se nourrir de l'aliment qu'il dédaigne, s'il s'était avisé d'enessayer.
C'est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leurcausent la fièvre et la mort; parce que l'esprit déprave les sens, et que lavolonté parle encore, quand la nature se tait.
Tout animal a des idées puisqu'il a des sens, il combine même sesidées jusqu'à un certain point, et l'homme ne diffère à cet égard de la bêteque du plus au moins.
Quelques philosophes ont même avancé qu'il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête; ce n'est donc pas tant l'entendement quifait parmi les animaux la distinction spécifique de l'homme que sa qualité d'agent libre.
La nature commande à toutanimal, et la bête obéit.
L'homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d'acquiescer, ou de résister;et c'est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme: car la physiqueexplique en quelque manière le mécanisme des sens et la formation des idées; mais dans la puissance de vouloir ou.
»
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