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L'homme peut il perdre son humanité?

Publié le 02/03/2005

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      Le sujet propose une question paradoxale : à quoi ressemblerait un homme qui aurait perdu son humanité? En quoi se transformerait-il? Le sujet rassemble trois notions, étudions-les rapidement.

Tout d'abord, l'homme. C'est justement son humanité qu'il faudra définir. Ainsi, il faudra réfléchir à la notion de nature. Que signifie, pour un être, avoir une nature? Quels sont les rapports, en cet être, entre ce qui le distingue des autres êtres de même nature, et sa nature même? Peut-on dire que l'on possède une nature, comme l'on possèderait quelque chose que l'on serait susceptible de perdre?

Le sujet, ensuite, est orienté par la question « peut-il..? «. En raison du caractère paradoxal de la question, de la contradiction qu'elle interroge, on peut dire qu'elle désigne seulement la possibilité, la possibilité logique. Est-il logiquement possible, pour un membre de la nature humaine, de perdre de qui le définit, sa nature même, son humanité? Envisager la question sous l'angle moral de la permission serait un contresens : il ne s'agirait plus alors d'une perte, mais d'une élection.

La notion de perte, enfin, est triple. Au sens le plus général, elle désigne, dans le temps, le manque d'un objet ou d'une propriété précédemment possédés. Mais il y a trois pertes, dont les sens sont radicalement distincts. Il y a, tout d'abord, la perte contingente. En raison d'événements contingents, un objet possédé est perdu. On peut élargir cette perte à la soumission à d'autres agents qui nous raviraient ce que l'on perd : ainsi en va-t-il de tel prisonnier, ayant perdu sa dignité en raison de mauvais traitements. Le sens de la perte contingente est la passion, la passivité, la soumission à des conditions non maîtrisée, c'est-à-dire, en ce qui concerne la nature humaine, la finitude. Il y a, ensuite, une perte conditionnée. Ainsi en va-t-il de celui qui perd au jeu, de celui qui risque, qui tente, qui hasarde. Cette perte provient d'une action posée, résolument, mais non voulue inconditionnellement dans ses conséquences : le pari. Il y a, enfin, la perte dans son sens le plus fort, la perte  par déchéance. Elle consiste dans la perte de privilèges, d'honneurs, d'une dignité ou d'une qualité particulières. Ainsi, en va-t-il du responsable que l'on déchoit de ses privilèges en raison d'un manquement à ses devoirs. Cette perte, issue d'une action libre et entièrement voulue, relève du champ moral.

      Dans la mesure où le sujet interroge la possibilité même, pour l'homme, de perdre son humanité, il faudra envisager la perte sous son triple aspect. Ainsi nous sont livrées trois questions : L'homme peut-il se voir ôter son humanité? L'homme peut-il risquer, peut-il jouer son humanité? Et, enfin, l'homme peut-il déchoir de son humanité?

Par ailleurs, pour autant qu'à première vue la logique interdit de concevoir un être qui perdrait sa nature mais demeurerait le même, il faut chercher, si l'on avance que l'homme peut perdre son humanité, comment il peut la perdre. Ainsi, on pourra approfondir la notion de nature et demander ce que signifie pour l'homme d'être selon un humanité qu'il peut perdre. Que signifierait la possibilité même de la perte de l'humanité, pour tout homme? En effet, si l'homme peut perdre son humanité, alors tout homme risque sans cesse cette possibilité, et n'est homme que malgré cette possibilité. Pour comprendre cette signification, il est essentiel de demander s'il s'agit là d'une possibilité donnée à toute nature, ou d'un privilège de la nature humaine. Peut-on aller jusqu'à y voir l'unique privilège de la nature humaine, son unique différence spécifique, vis-à-vis du genre animal, par exemple?

C'est donc, en fin de compte, la notion d'inhumain qu'il faut interroger. On dit que de l'homme qu'il est inhumain. Qu'est-ce qui en l'homme, peut être perdu jusqu'à faire de lui un inhumain? Que signifie, pour l'homme, la possibilité de l'inhumain?

« « - De sorte que, déchu de moi, étranger à moi-même, ce qui s'affirme à ma place, c'est l'étrangeté d'autrui –l'homme comme absolument autre, étranger et inconnu, le dépossédé et l'errant ou, comme le dit René Char,l'homme inimaginable – par la présence duquel passe l'affirmation dune exigence infinie.

[...] « Quand l'homme en est réduit à l'extrême dénuement du besoin, quand il devient « celui qui mange lesépluchures », l'on s'aperçoit qu'il es réduit à lui-même, et l'homme se découvre comme celui qui n'a besoin de riend'autre que le besoin pour, niant ce qui le nie, maintenir le rapport humain dans sa primauté.

Il faut avouer que lebesoin alors change, qu'il se radicalise au sens propre, qu'il n'est plus qu'un besoin aride, sans jouissance, sanscontenu, qu'il est le rapport nu à la vie nue et que le pain que l'on mange répond immédiatement à l'exigence dubesoin, de même que le besoin est immédiatement le besoin de vivre.

[...] « - On peut donc se dire que lorsque, par l'oppression et le malheur, mon rapport avec moi-même se perd ets'altère, faisant de moi cet étranger et cet inconnu dont me sépare la distance infinie et faisant de moi la séparationinfinie elle-même, le besoin devient le besoin radical, sans satisfaction, sans valeur, qui est le rapport nu àl'existence nue, mais devient aussi l'exigence impersonnelle qui porte à elle seule l'avenir, et le sens de toutes lesvaleurs ou, pour parler plus justement, de tous les rapports humains.

» Maurice Blanchot montre que si tout ce qui fait que l'homme est humain peut lui être enlevé, son humanité même nepeut lui être ôtée car elle se retrouve jusque dans la privation des caractères d'humanité.

D'un point de vuepsychologique, elle se présente au sujet dépossédé de lui-même sous la forme de l'étrangeté, de l'étrangèreté.

Deces caractères de l'humain dont l'homme peut être dépossédé, Maurice Blanchot voit le paradigme dans le pouvoirde dire Je, dans l'intimité avec soi-même.

Privé d'une telle identité, l'homme trouve en lui une humanité nue, siuniverselle et rebelle à toute particularisation qu'elle lui est étrangère à lui, l'homme, pour qui être homme signifieêtre soi avec soi.

C'est donc a fond d'un paradoxe, par lequel la négation de l'humanité est elle-même niée, quetrouve l'humanité en celui qui a subi tous les traitements visant à l'en faire déchoir. On peut aussi utiliser ce texte pour traiter un certain nombre de cas limites, où l'homme semble coupé de sonhumanité : la folie, par exemple.

Un autiste semble n'avoir plus rien d'un animal politique.

Mais il faut plutôt dire queson rejet des hommes est encore un geste humain et politique.

On pourra aussi prendre l'exemple de la littératured'Antonin Artaud.

Ses obsessions de destruction du corps humain comme ensemble d'organes, ses cris de révolte, sadéchirure intérieure, tout traduit, jusque dans la folie, « le rapport nu à l'existence nue ». Transition On semble avoir touché ici au fond du problème : l'humanité est telle que, niée, sa négation se nie elle- même en l'homme.

En d'autres termes, l'humanité semble impossible à perdre.

Mais c'est que l'on a étudié ici la perteau sens de la dépossession, d'une dépossession extérieure à l'homme lui-même, qu'elle soit voulue, par exemple parun tortionnaire, ou non, par exemple les circonstances menant à la folie.

Mais qu'en est-il, justement, de cetortionnaire? Ne dit-on pas de certains actes d'une cruauté trop insoutenable qu'ils sont inhumains? Que leursagents, même, sont inhumains? C'est donc le cas de la perte comme déchéance qu'il nous faut à présent considérer.Aussi, nous devons commencer par nous interroger sur ce qui rend possible la perte de l'humanité, comprise commedéchéance morale. II Les conditions de possibilité de la déchéance hors de l'humanité. Jean-Jacques ROUSSEAU Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes « Je ne vois dans tout animal qu'une machine ingénieuse, à qui la nature adonné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu'à uncertain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger.

J'aperçoisprécisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cettedifférence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieuque l'homme concourt aux siennes, en qualité d'agent libre.

L'un choisit ourejette par instinct, et l'autre par un acte de liberté; ce qui fait que la bêtene peut s'écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui seraitavantageux de le faire, et que l'homme s'en écarte souvent à son préjudice.C'est ainsi qu'un pigeon mourrait de faim près d'un bassin rempli des meilleuresviandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de grain, quoique l'un et l'autrepût très bien se nourrir de l'aliment qu'il dédaigne, s'il s'était avisé d'enessayer.

C'est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leurcausent la fièvre et la mort; parce que l'esprit déprave les sens, et que lavolonté parle encore, quand la nature se tait.. »

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