L'homme peut-il apprendre à penser ?
Publié le 09/04/2009
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L’homme, à partir de sa naissance, apprend à réaliser un certain nombre de fonctions, comme marcher, courir : il développe ainsi une faculté d’apprentissage. Pouvons-nous considérer pour autant toutes les fonctionnalités humaines sur ce plan ? Ainsi, la pensée peut-elle être prise en compte comme une fonction de ce type ? ou ne faut-il pas lui accorder une certaine spécificité, compte tenu notamment de son caractère abstrait et polysémique ? En ce sens, est-il réellement possible d’apprendre à penser ? Si l’on adopte le simple sens lié au contenu de pensée, alors la question ne se pose pas. Mais, si l’on prend en considération la variété sémantique, la question cesse alors d’être provocante. En ce cas, le verbe pouvoir ne suggère-t-il pas l’existence d’entraves ? ou le mot apprendre permet-il d’ouvrir sur des moyens qui dégageraient l’homme des obstacles ? Tout d’abord, il convient de voir dans quelle mesure cette question peut nous paraître étrange. En effet, le verbe penser revêt plusieurs significations, qui amènent à concevoir cette activité de façons différentes : il s’agit de former dans son esprit, de réfléchir et raisonner, et de juger. Dans le même temps, l’action de penser est, en partie, abstraite et donc, difficile à appréhender. Autant il est facile d’apprendre à marcher pour un enfant qui coordonne ses gestes, et d’apprendre une leçon, en s’appuyant seulement sur le sens transitif du verbe, autant il semble beaucoup plus complexe d’élaborer une pensée, même si l’homme dispose, à sa naissance, de tout l’équipement psychophysiologique. La question est alors de savoir si la pensée se situe déjà dans l’équipement, comme des jambes pour apprendre à marcher, ou si, quelque chose comparable aux jambes, et présent dans l’équipement va permettre l’apprentissage de la pensée. Par ailleurs, la pensée se définit comme un mouvement très rapide et subtil, venant se joindre aux évidences de la perception. Comment définir alors ce mouvement sans l’immobiliser ?
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Le point de départ est bien la sensation, puis la réflexion.
Par exemple, en considérant la relation existant entretemps et temporalité, l'on se rend compte que notre conscience apprend à comprendre, à penser le temps.Si l'on admet que l'homme peut apprendre à penser, est-ce pour autant nécessairement bénéfique ? Rousseauconsidère que l'homme se distingue par sa perfectibilité, liée à sa capacité de penser : c'est une « faculté qui, àl'aide des circonstances, développe toutes les autres » (Discours su l'origine de l'inégalité entre les hommes) : ils'agit, en ce cas, d'apprendre à penser pour un individu, de même que pour l'humanité.
Par là même, cetapprentissage prend une dimension historique.
Celle-ci peut entraîner des dégradations dans un cadre socialdéterminé.Ainsi, certains régimes ont mal utilisé cet apprentissage de la pensée, en le dévoyant complètement, et ensouhaitant créer un « homme nouveau ».
C'est le cas des totalitarismes développés en Europe dans la premièremoitié du XXème siècle : fascismes, stalinisme, décrit par Orwell dans son œuvre 1984.
Winston, le protagoniste, estainsi amené à adopter la pensée dite juste, au prix d'énormes souffrances, et le régime imaginé par l'auteur n'hésitepas à faire appel à la Novlangue pour conditionner la population.
C'est la notion péjorative de maître à penserpoussée à l'extrême.
Mais ces régimes insistent seulement su la notion d'apprentissage.
En fait, ils ne remettent pasdu tout en question ce qui nous permet de penser, ils s'en servent.Cependant, de façon plus positive, l'homme peut être amené à changer sa pensée, à essayer d'apprendre à penserautrement.
Ainsi, il peut réussir à se séparer de ses préjugés en effectuant le travail de jugement, qui estnécessaire pour fonder sa connaissance.
Il peut également parvenir à comprendre en partie son inconscient, par lerecours à la psychanalyse et ainsi, limiter les obstacles qui en découlent.
Cela rejoint l'idée de l'artiste qui nousouvre les yeux : nous devons d'abord changer notre façon de penser pour développer une pensée différente, et ce,par divers moyens.Il faut, en effet, prendre en compte, que, même si l'idéal est d'amener à ce que l'homme puisse penser de façonautonome, il a, le plus souvent, besoin de méthodes.
Ainsi, Socrate, avec la maïeutique, ou art d'accoucher lesesprits, veut amener chacun à une réflexion personnelle : la question initiale, puis la question préalable qu'il pose,ont pour rôle d'aider son interlocuteur à comprendre et à penser par lui-même.
Au cours d'un dialogue avec Gorgias,Socrate demande à ce professeur de rhétorique de lui définir la nature de son art, et il montre que chaque définitionproposée par son interlocuteur ne fonctionne pas.
Gorgias, conduit par la maïeutique de Socrate, finit par secontredire lui-même, en aboutissant à une aporie.
Il n'a pas nécessairement appris à penser autrement, mais il a aumoins remis en question sa pensée préalable.Cette utilisation du dialogue se confirme par le rôle que joue le langage dans notre apprentissage de la pensée :pour Merleau-Ponty, nous affinons notre pensée par les mots.
En ce sens, parler signifie communiquer une penséequi n'est pas préexistante, mais qui se construit au fur et à mesure qu'elle s'exprime.
En outre, en apprenant unelangue, l'on apprend par là même à penser différemment, à s'ouvrir vers d'autres découpages conceptuels.
Ainsi,entre l'anglais et le français, la façon d'appréhender un sentiment de crainte diverge, avec les deux expressions,ayant recours à des images différentes : « to be unable to say poo to a goose », traduisible par être une poulemouillée.
Cela étant, toute pensée doit-elle nécessairement passer par la parole, ou existe-t-il d'autres moyens dela concevoir ?D'une façon plus large, il importe alors de souligner le rôle fondamental que joue l'éducation.
Celle-ci a pour objectifde permettre à chaque esprit d'accéder à l'autonomie, de faire un usage propre de ses facultés, avec unaboutissement selon Kant, « le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations ».
Cette éducationcrée un lien particulier qui se forme entre le maître et l'élève, la notion de maître étant ici définie au sens noble duterme.
Depuis Rousseau et son ouvrage L'Emile, la relation entre éducation et pédagogie est mise en valeur.L'activité éducative doit être avant tout celle de l'élève, et non plus seulement celle de son guide, pour former unjeune en devenir.
De plus en plus, dans les systèmes éducatifs contemporains, l'élève est mis en situation de formersa propre pensée, même si le guide doit rester fondamental, ne serait-ce qu pour être remis en question.
Cela étant,comment conçoit-on cette éducation sur le plan des contenus, si l'on veut qu'elle amène l'homme à penser par lui-même ? En ce sens, doit-on considérer comme Pascal qu'il existe deux types de connaissances : celles quidépendent des livres et qu'on ne peut pas faire évoluer, et celles qui dépendent de la raison, et pour lesquelles lapensée par soi-même est possible ? Ou toutes les connaissances peuvent-elles être en mouvement ?
Par conséquent, s'il apparaît difficile que penser au sens fort puisse réellement s'apprendre, en revanche, apprendreà penser, dans un sens particulier de la formule, à savoir former son propre jugement, semble possible.
Mais pour yparvenir, il faut disposer d'un certain nombre de conditions, liées en partie aux sociétés dans lesquelles on vit..
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