l'homme injuste peut-il etre heureux ?
Publié le 27/02/2005
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Analyse du sujet :
- La thèse à discuter est explicitement Socratique : il s'agit de questionner la coïncidence que Socrate soutient à de nombreuses reprises dans les dialogues de Platon (en particulier dans le Gorgias, mais aussi dans La République, Le Sophiste …) entre justice et bonheur.
- Or cet amalgame ne va pas de soi parce que : 1- l'injustice n'est pas synonyme de malheur 2- il se peut tout aussi bien que la justice rende malheureux (exemple : la mort de Socrate provoquée par son zèle à l'égard du juste en soi).
- Du coup, il faudra bien préciser le sens du « peut-il « : est-ce là une simple possibilité de fait (l'homme injuste dispose des moyens d'être heureux ?) ou bien d'une possibilité de droit, davantage théorique (à supposer que l'injustice rende heureux, est-il pour autant légitime d'en user pour atteindre le bonheur ? l'homme injuste mérite-t-il son bonheur ?)
Problématique : y a-t-il un lien indéfectible entre bonheur et justice de sorte qu'un homme injuste ne peut pas être heureux ou bien l'injustice peut-elle apporter des satisfactions telles que l'homme juste serait condamné au malheur ? Comment comprendre ce qui est réellement ce bien qui nous fait agir (le bonheur) : est-il relatif à nos désirs et à leur satisfaction ou bien est-il un concept rationnel impliquant de savoir ce qui est juste pour l'atteindre dans nos actions ?
«
b) Plaisir et bonheur sont deux choses distinctes Tout plaisir n'est pas un bien.
Selon Platon, le bien = intelligible, alors que le plaisir = sensible .
Le premier, de par sa nature ne change pas et est durable ; aussi lui seul rend heureux puisque le bonheur = état durable de satisfaction ; le second est instable, relatif et ponctuel.
Aussi l'injustice qui est méconnaissance du bien provoque tout au plus de l'agrément, mais non pas du bonheur véritable . Transition : Ø Cette distinction opérée entre bien apparent (plaisir de satisfaire un désir immédiat) et bien réel (connaissance de ce qui est bien en soi, indépendamment de mes désirs), Socrate dégage finalement que non seulement un hommeinjuste ne peut pas être heureux, qu'il passe à côté du bonheur, mais que, de surcroît, il est malheureux. Ø Autrement dit, après avoir montré que la justice est gage de bonheur, on peut achever la démonstration en montrant que l'injustice est le pire des maux : le « bonheur » qu'elle favorise est un malheur camouflé par le plaisir de l'instant.
Dans le long terme, un homme injuste est condamné au malheur. 3- L'INJUSTICE EST UN MAL TEL QU 'IL VAUT MIEUX ENCORE LA SUBIR QUE DE LA COMMETTRE Socrate va donc ainsi jusqu'à soutenir qu'un homme injuste est plus malheureux que sa victime.
En effet l'injustice commise est pire que l'injustice subie puisqu'elleprésuppose, comme on l'a vu l'ignorance du bien.
Or parce qu'il est meilleur en toute chose de savoir que d'ignorer, l'injustice est bel et bien un mal : mal agir rend malheureux non pas au sens où cela causerait du déplaisir ou de la douleur, mais ausens où l'injustice est laide : le plus grand dommage est de commettre un injustice et d'être soi-même injuste dans la mesure où cela revient à être responsable d'une disharmonie au sein de la communauté , mais aussi à introduire du désordre en soi-même (= subvertir la hiérarchie des parties de l'âme exposée dans La République : injustice consiste à ôter tout contrôle à la raison au bénéfice de la partie désirante qui devrait luiêtre soumise).
Finalement, à la question de savoir comment agir et comment être heureux, la réponse sera différente selon que l'on privilégie le plan des affects ou celui de larationalité : d'un point de vue sensible, il est évident que commettre l'injustice ne provoquant aucun désagrément ne rend pas malheureux ; mais envisagée du point devue de la rationalité, c'est-à-dire d'un point de vue où plaisir et douleur ne sont que des moyens en vue d'une fin, il convient de reconnaître que l'injustice, occultant le rapport à la raison (connaissance du bien qui seul à valeur de fin), rend malheureux au sens où elle provoque la ruine de l'harmonie, de la mesure propre àtoute action utile et belle. C'est dans le « Gorgias » de Platon que l'on trouve exposé le paradoxe socratique : « Nul n'est méchant volontairement ».
Cette thèse surprenante de prime abord doit être reliée aux deux autres : « Commettre l'injustice est pire que la subir » ; « Quand on est coupable il est pire de n'être pas puni que de l'être ».
L'injustice est un vice, une maladie de l'âme, c'est pourquoi, nul ne peut vraiment la vouloir (on ne peut vouloir être malade), et lapunition, qui est comparable à la médecine, est bénéfique à celui qui la subit.L'attitude commune face à la justice est résumée par Polos dans « Gorgias » et Glaucon au livre 2 de la « République ».
Les hommes souhaiteraient être tout-puissants et pouvoir commettre n'importe quelle injustice pour satisfaire leurs désirs.
Il vaut donc mieux, selon eux, commettre l'injustice que la subir.
Cependant, commesubir l'injustice cause plus de dommage que la commettre de bien, les hommes se sont mis d'accord pour faire deslois en vue de leur commune conservation.
Nous ne sommes donc justes, en vérité, que par peur du châtiment.
Sinous pouvions être injustes en toute impunité, comme Gygès qui possède un anneau le rendant invisible, nous agirions comme lui : nous ne reculerions devant aucune infamie pour nous emparer du pouvoir, devenir tyran.
Bref,nous serions injustes pour satisfaire nos désirs.Platon réfute inlassablement cette thèse, cette hypocrisie qui consiste à ne vouloir que l'apparence de la justice, l'impunité, pour pouvoir accomplir n'importe quelle injustice.Le nerf de l'argument consiste à montrer que, en réalité, « Commettre l'injustice est pire que la subir ».
C'est par une ignorance du bien réel que les hommes souhaitent pouvoir être injustes.
Parce que nous confondons le bienapparent (le plaisir, la satisfaction immédiate des désirs les plus déréglés) avec le bien réel, la santé de l'âme.
Nouscroyons vouloir commettre l'injustice, alors que c'est impossible, que « nul n'est méchant volontairement », parce que nous voulons.
Etre injuste est faire son malheur en croyant se faire plaisir.L'antagonisme entre le point de vue habituel et la position de Socrate est magnifiquement exposé par le débat entre Calliclès et Socrate , dans le « Gorgias ».
Calliclès prétend : « Voici, si l'on veut vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer .
» Socrate pense, lui, que l'accès au bonheur, au Bien, « cela veut dire être raisonnable, se dominer, commander aux plaisirs et aux passions qui résident en soi-même ». Pour tenter de réfuter Calliclès , Socrate lui montrera que son idéal de mode de vie ressemble bien à une « passoire ».
L'intempérance consiste à accumuler des plaisirs qui n'ont aucune consistance, à ne pas savoir se mesurer, se satisfaire, mais au contraire à être habité par des désirs tels que pour les combler il faut « s'infliger les plus dures peines ».
L'erreur fondamentale de Calliclès est de confondre l'agréable et le bon, de confondre la démesure des désirs déréglés et irrationnels avec l'équilibre de la satisfaction véritable.C'est que l'injustice est une maladie de l'âme, et plus précisément encore la subversion d'un ordre.
Le magnifique.
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