L'homme désirant est-il nécessairement souffrance ?
Publié le 18/08/2012
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Ainsi Hegel dans La Phénoménologie de l’esprit montre dans le passage de la dialectique du maître et de l’esclave, comment l’homme cherche la confirmation de sa valeur dans la reconnaissance par l’autre. Pour Hegel cette reconnaissance ne peut que prendre la forme d’une lutte à mort entre deux consciences. Le vainqueur de cette lutte est celui qui accepte de prendre le risque de la mort, marquant ainsi et de façon radicale l’opposition du désir humain au besoin purement animal de conserver sa vie. Parce que le désir est l’expérience du manque, donc de la négativité, il peut de ce fait impliquer la concurrence entre les sujets désirants, il peut entraîner la haine de l’autre, la satisfaction de l’un provoquant la frustration de l’autre. La satisfaction illimitée des désirs ne peut donc constituer une norme sociale ou morale, car elle met en danger l’organisation rationnelle du social. On peut ici évoquer la figure du tyran dans La République de Platon, livre 8 où le philosophe nous montre comment le tyran loin d’être maître de quoi que ce soit ou de qui que ce soit, n’est qu’esclave de ses désirs : « une âme gouvernée de façon tyrannique fera les moins ce qu’elle veut…mais constamment en traînée par la violence d’un taon furieux, elle débordera de trouble et de regret. « (578a)
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I) Désirer c'est souffrir : le désir humain comme châtiment tragique1) Le désir nous échappe et nous envahit :Le désir nous échappe lorsqu'on essaie de lui assigner un véritable objet.
Un objet qui lui soit propre.
Le désir serait par essence illimité, et sa satisfaction seraittoujours à reprendre.
Il y aurait une démesure essentielle à la nature du désir.
Ses objets sont multiples, changeants et même contradictoires.Je voudrais réussir ma vie mais l'avenir est incertain, je voudrais manger ce gâteau mais aussi rester mince, je voudrais m'engager tout en gardant ma liberté et moninsouciance.Nous voyons dès à présent que le désir ne saurait se satisfaire des objets du besoin, car il dépasse et excède toujours les cadres du besoin.
En ce sens on pourrait direque le désir surdétermine le besoin.
En effet si le besoin trouve son assouvissement dans un objet spécifique qui lui préexiste et le complète, le désir échappe à cettedélimitation.
Comme nous le montre Baudrillard dans son écrit Le système des objets, il n'y a pas de limite à la consommation et le désir s'alimente de cela.Le désir engage l'ensemble de nos rapports à la réalité.Mais la satisfaction de tous les désirs est par définition impossible.La difficulté de la satisfaction du désir avant d'être d'ordre ontologique et métaphysique, est déjà d'ordre pratique et matériel.Le principe de réalité contredit de fait une définition du bonheur qui l'envisagerait comme la satisfaction de tous les désirs (imaginaires ou réels).
Il n'est pas réalistede songer que l'on puisse satisfaire tous ses désirs.
D'un point de vue purement descriptif, la réalité n'est pas immédiatement généreuse et satisfaisante, paradisiaque,et la condition humaine n'est pas celle de l'omnipotence.
Il n'est pas de vie humaine sans expérience de l'insatisfaction.Cependant la difficulté du désir ne repose pas seulement sur cette non-adéquationn de la réalité à nos désirs.
La satisfaction répétée et systématique de tous nos désirsne contribuerait pas pour autant à faire disparaître ou du moins à stopper son élan.
Si l'insatisfaction et la souffrance sont causées par le désir n'est-ce pas parce quecelles-ci siègent au cœur même du désir.
La souffrance, l'inquiétude, définirait l'essence du désir.
Il y aurait une communauté de nature entre ces deux états.Comme nous le montre Leibniz dans les Nouveaux Essais sur l'entendement humain II, 20 : Le désir est comme une soif que l'on ne parviendrait jamais à satisfairedéfinitivement.
Je peux satisfaire ma soif mais il ne s'agit que de cette soif singulière, un verre d'eau ne permettra jamais d'en finir avec La Soif.
De la même manièreun désir peut être satisfait mais cela ne signifie pas que j'en aurais jamais fini avec l'inquiétude.On ne pourra jamais en finir avec le désir parce que la satisfaction est singulière.CF Hegel in Encyclopédie 428« Ainsi le désir est dans sa satisfaction absolument parlant, destructeur, de même que selon son contenu, il est en quête de lui-même, et puisque la satisfaction ne peutse produire que dans ce qui est singulier, le désir s'engendre de lui-même à nouveau de sa propre satisfaction.
»Le désir ne peut jamais être satisfait de manière définitive.
Il nie la réalité de son objet au moment où il l'obtient.
Ce processus de négation fait partie de l'économieinterne et naturelle du désir.
Sans cette négation de la valeur de l'objet obtenu, le désir lui-même risquerait de disparaître.Nous comprenons donc pourquoi son objet peut changer, à peine ai-je réussi à le satisfaire, que mon élan pourra se porter vers autre chose.La satisfaction n'est jamais absolue et permanente et l'exemple du collectionneur en témoigne.
Il n'est jamais comblé car la totalité de la collection n'est par définitionjamais atteinte.
Son désir reste donc toujours fondamentalement insatisfait et sa quête est sans fin.Mais bien que je sache rationnellement que tous mes désirs ne peuvent être assouvis, il n'en demeure pas moins que je continue de désirer.La souffrance de l'insatisfaction et de la frustration est toujours à venir ou présente.
Le plaisir même obtenu ne peut donc être que provisoire.C'est même cette souffrance qui constitue le moteur du désir.
2) Mon désir et le désir des autres :On peut constater que le besoin ne devient un désir spécifiquement humain qu'en passant par la médiation des autres hommes.Si les besoins sont similaires d'un homme à l'autre et renvoient aux nécessités biologiques et physiologiques, le désir, en revanche, engage également mon rapport auxautres.Commençons par remarquer que le désir est triangulaire, je ne me contente pas de désirer un objet, je désire aussi, d'un même mouvement, que ce désir soit reconnupar autrui.
En ce sens il suppose une complexité supplémentaire, le désir ne met pas seulement en jeu un sujet désirant et un objet désiré.
Ce désir doit également êtrereconnu comme étant mon désir.
La question du désir entraîne donc celle de l'intersubjectivité, c'est-à-dire le fait que chaque conscience humaine prenne conscienced'elle-même aussi et toujours dans son rapport à la réalité extérieure et en particulier aux autres consciences.Si le désir n'est pas moins vital en un sens que le simple besoin, c'est parce que sa reconnaissance elle-même l'est aussi.
On pourrait évoquer l'exemple des enfants quidépérissent même lorsque leurs besoins vitaux ou physiologiques sont satisfaits mais qu'ils ne reçoivent pas l'amour et la reconnaissance suffisante.Le désir impose donc cet impératif : il doit être entendu et reconnu par les autres.
Il me soumet donc également à la réponse de l'autre et l'on voit comment cet état defait peut entraîner l'inquiétude, la frustration et la souffrance.
Rien ne me garantit que l'autre va reconnaître mon désir sans parler même de le satisfaire.Ainsi Hegel dans La Phénoménologie de l'esprit montre dans le passage de la dialectique du maître et de l'esclave, comment l'homme cherche la confirmation de savaleur dans la reconnaissance par l'autre.
Pour Hegel cette reconnaissance ne peut que prendre la forme d'une lutte à mort entre deux consciences.
Le vainqueur decette lutte est celui qui accepte de prendre le risque de la mort, marquant ainsi et de façon radicale l'opposition du désir humain au besoin purement animal deconserver sa vie.Parce que le désir est l'expérience du manque, donc de la négativité, il peut de ce fait impliquer la concurrence entre les sujets désirants, il peut entraîner la haine del'autre, la satisfaction de l'un provoquant la frustration de l'autre.La satisfaction illimitée des désirs ne peut donc constituer une norme sociale ou morale, car elle met en danger l'organisation rationnelle du social.On peut ici évoquer la figure du tyran dans La République de Platon, livre 8 où le philosophe nous montre comment le tyran loin d'être maître de quoi que ce soit oude qui que ce soit, n'est qu'esclave de ses désirs : « une âme gouvernée de façon tyrannique fera les moins ce qu'elle veut…mais constamment en traînée par laviolence d'un taon furieux, elle débordera de trouble et de regret.
» (578a)Mais l'expérience du désir n'est pas forcément celle de l'affirmation singulière et douloureuse de la conscience.Il faut ainsi prendre en considération que je désire aussi ce que les autres désirent.
Les autres peuvent me dicter mon désir ou du moins reconnaissons qu'il existe unecommunauté ou une communication possible des désirs : désirer, le ferais-je librement ou bien serait-ce toujours l'expérience de l'aliénation sociale ? Il suffit dequelques observations sociologiques pour constater que nous subissons à ce niveau une pression sociale forte dont nous ne prenons pas forcément la mesure.Qu'il s'agisse d'une incitation à désirer tel ou tel type d'objet ou bien d'une censure sociale, la dimension du désir est collective.Il apparaît de ce fait que le désir nous confronte essentiellement à l'altérité c'est-à-dire au fait que l'autre reste toujours un autre pour moi et que même si nos désirspeuvent être communs ou partagés, le désir n'obtient jamais une satisfaction fusionnelle ou absolue.
Pourtant le désir aliène le sujet qui désire à l'objet.Cette altérité se joue lorsque ce que je désire est un simple objet, puisque nous avons vu, qu'aucun objet ne pouvait pleinement satisfaire mon désir.Le désir peut même entraîner une dénégation de la réalité.
Je ne veux pas tenir compte de ce qu'est la réalité pour continuer à désirer.
Nous voyons ici comment ledésir peut me mettre en conflit avec la réalité et comment celle-ci peut du même coup devenir ennemie.Cette altérité est redoublée lorsque ce que je désire est un semblable.Le désir amoureux en témoigne.
Comme le met en avant Sartre dans son texte L'Etre et le néant : le désir amoureux ou sexuel viserait l'assouvissement de l'autre.Mais la possession de l'autre est impossible.
L'idéal romantique de l'amour serait donc irréaliste.
Pourquoi ? Précisément parce que l'autre existe et qu'il est égalementdésir et liberté.
Il peut de ce fait s'opposer à la réalisation de mon désir, il peut toujours refuser la satisfaction de mon désir.
3) La dimension métaphysique et religieuse du désir :Le désir en tant qu'expérience existentielle des limites de ce qui est possible pour l'homme, en tant qu'épreuve de l'altérité, de la frustration reçoit une dimension.
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