L'historien doit-il laisser parler les faits ?
Publié le 18/06/2012
Extrait du document
...
«
«Comme les faits les plus faciles à établir sont alors les
grands "événements", la traditionnelle histoire politique,
avec ses divers visages, dynastique et guerrière, diploma
tique, parlementaire, etc., retrouve tous ses droits» (ibid.);
seraient ainsi négligés ou considérés comme inessentiels
des faits culturels, économiques, psychologiques, dont
l'importance pourrait passer inaperçue, parce que les
documents sont moins nombreux ou moins directement
accessibles que les Mémoires, Chroniques, etc., poli
tiques.
- Une théorie de la causalité historique en résulte : les
faits politiques permettraient de rendre compte de toute
la réalité historique.
Par exemple, l'historien Seignobos, en 1924, conclut que
la crise mondiale ouverte en 1914 oblige «à reconnaître
SUJET 13
à quel point les phénomènes superficiels de la vie poli
tique dominent les phénomènes profonds de la vie éco-
.
nomique, intellectuelle et sociale» (ibid.).
- Sur le plan des événements politiques, l'explication
positive mettrait en œuvre «une philosophie déterministe
du changement, du devenir humain», puisque «la succes
sion des faits en un récit chronologiquement ordonné [ ...
]
postule des relations simples de cause à conséquence»
(R.
Mandrou, article cité).
• Ainsi, l'historien positiviste qui voudrait n'exposer que
le simple récit des faits, tels qu'une méthode objective
les établit, ne dit pas simplement ce qui s'est passé;
il exprime nécessairement, sans les critiquer, des thèses
philosophiques, celles qui sont dominantes à son époque
ou celles qui lui sont propres.
2.
La philosophie nécessaire? ________ _
Comment choisir des faits significatifs
• Si rigoureuse que soit la méthode, si objective et par
faite que puisse être sa connaissance des faits, l'historien
doit commencer par choisir, parmi tous les faits possibles,
ceux qu'il considérera comme significatifs, par opposition
à ceux qui seront insignifiants.
• Un tel choix est nécessaire : il serait impossible de
tout retenir, le passé est trop riche.
Refuser de choisir,
c'est accepter et entériner d'autres choix, ceux que dicte
l'époque historique dans laquelle s'inscrit l'historien et qui
s'imposent à lui éventuellement à son insu, ou encore ces
choix qui expliquent l'abondance et !'«évidence» de cer
tains documents sur certains faits (par exemple les événe
ments politiques) et l'absence, ou la rareté et l'obscurité
d'autres données, portant sur d'autres faits, dont l'insigni
fiance peut être et a été discutée (par exemple les menta
lités, les faits économiques, etc.).
• Le choix des faits significatifs s'appuie sur des critères,
explicites ou non, qu'aucune «méthode scientifique» ne
peut donner, puisqu'elle les suppose.
• Un exemple, proposé par P.
Valéry :
«On peut raisonnablement penser que la découverte des
propriétés du quinquina est plus importante que tel traité
conclu vers la même époque [à savoir vers 1639] : et, en
effet, en 1932 [date à laquelle écrit Valéry], les consé
quences de cet instrument diplomatique peuvent être
totalement perdues et comme diffuses dans le chaos des
événements, tandis que [ ...
]la quinine fut peut-être indis
pensable à la prospection et à l'occupation de toute la
terre, qui est, à mes yeux, le fait dominant de notre
siècle.» (Œuvres, Pléiade, t.
1, p.
1130.)
Conséquences
• On voit qu'il est impossible d'opposer le savant qui,
«dit-on, reconstitue les faits» et le philosophe qui «les
apprécie»: l'historien exprime par ses choix une certaine
évaluation qui peut être dite philosophique, puisqu'elle
n'est pas constat scientifique, et ne peut l'être.
Comme l'écrit encore R.
Aron : «L'historien, selon la for
mule courante, doit être impartial.
Mais toujours il rattache
un acte à ses causes ou à ses conséquences : réponse
adaptée ou inadaptée, décision efficace ou inefficace [des
acteurs historiques].
En ce sens, il utilise le critère que
suggère l'éthique historique : le succès» (Op.
cit., p.
358).
• On voit qu'il semble impossible de tracer la frontière
qui séparerait une histoire exposant les faits tels qu'ils
se sont passés et une histoire construisant son objet, un
passé jugé significatif.
La synthèse historique
• On oppose souvent à l'établissement des faits - qui
n'impliqueraient aucune thèse philosophique - l'élabo
ration d'une synthèse historique, l'articulation des faits
à l'intérieur d'un ensemble qui permet de les interpréter, 4 7.
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