l'histoire n'est-elle qu'une suite d'événements ?
Publié le 20/11/2005
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a. Comment expliquer le désordre apparent des évènements, et l'ordre pourtant qui semble se détacher de l'ensemble ? On pourrait évoquer le thème du destin, l'idée qu'une force non humaine détermine à l'avance le cours des évènements, et contre laquelle l'homme est impuissant. C'est la conception de l'Antiquité, où l'homme n'est que le jouet d'une histoire qui le dépasse. Par ailleurs, la tradition judéo-chrétienne évoque la providence divine, selon laquelle une puissance personnelle oriente l'histoire humaine vers le progrès et lui donne signification. Mais on voit que l'histoire offre un spectacle désolant à travers les hommes qui ne cessent de poursuivre aveuglément leurs intérêts propres.
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- a) Il apparaît que les sciences exactes se bornent à constater des faits et à formuler des lois. Elles refusent de se prononcer sur un hypothétique «sens« des choses. Dans un souci d'objectivité tout positiviste, certains historiens, observant que les faits historiques sont uniques et qu'en conséquence on ne saurait dégager de lois en histoire, ont voulu ramener la science historique à de pures annales, une simple suite de faits d'où serait naturellement exclu, comme en science physique, tout sens.
- b) Toutefois, on peut se demander, avec Husserl, de quelle utilité l'histoire sera-t-elle pour l'homme si elle ne peut dépasser une objectivité de ce type, si elle « n'a rien de plus à nous apprendre que le fait que toutes les formes du monde de l'esprit, toutes les normes qui donnèrent à chaque époque aux hommes leur tenue, se forment comme des ondes fugitives et, comme elles, à nouveau se défont, qu'il en a toujours été ainsi et qu'il en sera toujours ainsi, que toujours à nouveau la raison se changera en déraison et toujours les bienfaits en fléaux ?« (La Crise des sciences européennes, I, 2).
- c) C'est pourquoi la question se pose de savoir s'il faut nous résigner à voir dans l'histoire une suite chaotique et absurde d'événements, ou si nous pouvons lui attribuer un sens.
«
"L'Histoire est la réalisation de l'idée de liberté." HEGEL
La formule exacte qui figure dans les « Leçons sur la philosophie de l'histoire »(1837) est : « L'histoire universelle présente le développement de laconscience qu'a l'esprit de la liberté, et de la réalisation produite par une telleconscience.
»Dans ce texte formé de notes de cours, Hegel signe la première grandephilosophie de l'histoire, en prétendant montrer que l'ensemble du passéhumain n'est pas livré au hasard, mais présente une rationalité et unenécessité que l'on peut ressaisir.Progressant dans la voie ouverte par Kant, Hegel propose une sorte derévolution en faisant de l'histoire un des objets centraux de la philosophie.Aristote affirmait dans la « Poétique » : « La poésie est plus philosophique etplus noble que la chronique.
» En effet, selon lui, alors que l'auteurdramatique construit une intrigue cohérente et logique, l'historien décrit cequi se passe effectivement, et qui semble livré à la contingence.
Contre cettevision traditionnelle, Hegel, plus encore que Kant, tente de saisir l'histoirecomme digne de l'étude philosophique, c'est-à-dire comme rationnelle.Hegel affirme d'entrée de jeu : « La seule idée qu'apporte la philosophie estcette simple idée que la raison gouverne le monde, et que par suite l'histoireuniverselle est rationnelle.
» La scène du monde ne présente pas un chaosd'événements livrés au hasard et au caprice ; elle est rationnelle, ce qui signifie aussi que les événements, les guerres, etc.
sont gouvernés par la nécessité.
« De l'étude de l'histoireuniverselle même doit résulter que tout s'y est passé rationnellement, qu'elle a été la marche rationnelle, nécessairede l'esprit universel.
»Cette nécessité est pour Hegel le développement de la conscience de la liberté et sa réalisation au sein de l'Etat.
«L'histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté, progrès dont nous avons à reconnaître lanécessité.
»Qu'est-ce à dire ? Ce qui caractérise l'homme, l'esprit, est la liberté.
L'histoire est le temps nécessaire pour que,d'une part l'homme prenne conscience de cette liberté, pour que l'esprit parvienne à la connaissance que : «L'homme en tant qu'homme est libre », et que, d'autre part, cette connaissance se concrétise dans le monde, sedonne la forme politique qui lui correspond.
Ainsi Hegel propose-t-il une périodisation de l'histoire humaine, où l'Idéede liberté, présente dès le départ, se déploie, s'éprouve et se réalise.« Les Orientaux ne savent pas encore que l'esprit ou l'homme en tant que tel est en soi libre ; parce qu'ils ne lesavent pas, ils ne le sont pas ; ils savent uniquement qu'un seul est libre […] Cet unique n'est donc qu'un despoteet non un homme libre.
»Cela signifie d'une part que l'Idée de liberté, même sous forme unilatérale et frustre (un seul est libre), est présentedès le départ, mais, de plus, que la conscience détermine l'être : ne pas se savoir libre, c'est ne pas pouvoir l'être,et qu'enfin à toute conscience de la liberté correspond une forme politique adéquate, ici le despotisme.Selon le déploiement de la conscience de la liberté, chez un autre peuple se manifestera une phase plus haut, plusdéveloppée de l'Idée de liberté.« Chez les Grecs s'est d'abord levée la conscience de la liberté, c'est pourquoi ils furent libres, mais eux, aussi bienque les Romains, savaient seulement que quelques-uns sont libres, non l'homme en tant que tel.
Cela même Platon &Aristote ne le savaient pas ; c'est pourquoi […] les Grecs ont eu des esclaves desquels dépendaient leur vie maisleur belle liberté.
»Cette phrase implique d'autres conséquences, aussi essentielles.
La philosophie est fille de son temps.
Ainsi mêmedes philosophes aussi prestigieux que Platon et Aristote ne pouvaient « sauter par-dessus leur temps » etcomprendre que l'homme en tant qu'homme est libre.La philosophie ne fait que tirer au clair, rationaliser, comprendre la nécessité et les failles de ce qui est.
On nesaurait condamner plus fermement le mépris du présent et les créations d'Utopie.
mais on commence aussi àcomprendre ce qui fait passer d'une phrase à une autre de l'histoire : c'est la contradiction qui se manifeste dans laconscience que les hommes ont de la liberté, et par suite, dans la forme étatique qui en résulte.
Ainsi la belle libertégrecque, cette forme unique qu'est la « polis » se voit dépendante des esclaves, c'est-à-dire de son contraire : laservilité.En fin c'est dans le christianisme qu'émerge la conscience que « l'homme en tant qu'homme est libre, que la libertéuniverselle constitue sa nature propre ».
Cependant cette connaissance reste d'abord confinée dans la sphèreintime de la religion (par exemple l'esclavage ne disparaît pas).
La tâche politique moderne est de transformer cetteconscience en réalité, c'est-à-dire de la prendre pour fondement de l'ordre juridique et étatique (comme laRévolution française a tenté de le faire, en ^laçant la liberté et l'égalité pour fondements de son régime).
Ainsi, «Cette application du principe aux affaires du monde, la transformation et la pénétration par lui de la condition dumonde, voilà le long processus qui constitue l'histoire elle-même.
»
On comprend dès lors, en partie, pourquoi « L'histoire présente le développement de la conscience qu'a l'esprit, etde la réalisation produite par une telle conscience.
»On peut déduire de tout cela deux points centraux.• D'abord, la philosophie de Hegel est idéaliste.
Non pas au sens trivial (selon lequel serait idéaliste celui qui auraitdes idéaux) ; bien au contraire, cet idéalisme est méprisé et dénigré par Hegel.
Mais au sens vrai : c'est laconscience qui est première et qui détermine l'être.
L'idée de liberté est première et la tâche historique est d'abordle déploiement de sa forme initiale et unilatérale jusqu'à sa vérité, ensuite sa réalisation concrète dans le monde..
»
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