« L'histoire ne peut nous indiquer ce qu'il faut faire». Dans quelle mesure ce propos du penseur autrichien Karl POPPER peut-il correspondre à votre lecture du thème «Penser l'histoire» dans les oeuvres au programme?
Publié le 15/01/2013
Extrait du document
La question du point de vue de l'historien est à ce niveau très déterminante. Corneille
prend le soin de déléguer sa voix à la scène dramatique pour déclamer à sa place la raison d'Etat. C'est,
semble t-il, dire son adhésion par une apparente neutralité. Par contre, Chateaubriand et Marxfont montre
d'une forte implication. Avec eux, «l'analyse« de l'histoire touche à la diatribe. Si le juge d'instruction,
censé rendre la vérité telle qu'elle est, se double de procureur général, le récepteur ne peut que prendre
du recul sous risque d'induction en erreur. Mais l'étude des implications de tout bord, qu'elles soient
modérées neutres ou tranchées, serait la seule capable de nous aider à voir clair dans le processus
historique.
La perspective comparatiste est, en plus, nécessaire pour la validation de nos conclusions historiques. Il
ne suffirait pas de comparer la manière de «penser l'histoire« chez des auteurs appartenant aux époques
ancienne, moderne ou même post moderne; mais aussi à voir les différentes attitudes de deux historiens
à l'égard d'un même événement. En effet, la Révolution, étant parmi les grands événements des temps
modernes, est loin de remporter l'adhésion de tous. Un Hugo ou un Michelet ne sauraient être un E.
Burke ou en encore un Chateaubriand. Le récepteur est ainsi appelé à non s'aligner sur une position au
détriment d'une autre; mais à faire preuve d'indépendance d'esprit.
«
pour juste reproduire l'héritage glorieux de son oncle.
Il s'agit là de la reproduction d'un précédent
historique jugé comme référence, donc comme modèle, et que Horace, à l'image de Romulus, pousse
jusqu'au fratricide.
Mais le héros cornélien se limite juste à s'imposer comme l'unique sauveur de la cité et
accepte de se réduire au statut du simple instrument tandis
que le premier va jusqu'au bout de son projet où la cuisante défaite de Sedan fait correspondance à la
débâcle de Waterloo.
L'intérêt individuel ne peut ici servir d'inspiration pour le récepteur de l'histoire;
surtout si ce dernier est aussi un acteur censé agir au profit de sa communauté.
Il est donc légitime d'adhérer au propos de K.
Popper car une action qui répond juste à ses circonstances
ne peut faire l'objet de transposition ou de projection sur le présent.
C'est manquer de sens pratique et
faire preuve d'inefficacité politique que d'aller à l'encontre d'un tel constat.
Si l'histoire comme action «ne
peut» nous servir de modèle, est-il possible qu'elle le soit comme vérité réinventée sous forme de récit
L'histoire n'est que le produit des humains parfois impliqués dans les faits relatés d'où l'exclusion de toute
impartialité absolue.
De ce fait, la nature relative de la vérité historique nous invite automatiquement à la
prendre en distance.
Comme version personnelle des événements, l'histoire peut ne pas être digne de foi.
Chateaubriand, tout
comme K.
Popper, nous invite à la vigilance.
«Prenons garde à l'histoire» lance le premier.
Une telle
conception découle en fait de cette rencontre ambiguë entre le destin collectif et le moi.
Chez Marx,
l'historien est aussi habité par l'activiste et l'idéologue communiste.
De ce fait, le moi amplifié ou
l'idéologie défendue risquent de voiler la vérité.
Le présent ne peut donc se construire en se référant à
une fausse monnaiesous peine de délit de falsification.
En plus de cette donnée subjective, le processus historique est l'espace de l'imprévisibilité.
En effet, tout
indique au seuil du dénouement qu'Horace fera l'objet d'une consécration sans précédent quand tombe,
contre toute attente, le fratricide.
Mais, là encore, ce rebondissement relève juste du dramatique car la
faute joue ici de prologue à l'absolution et à la bénédiction finale où le héros entre en harmonie définitive
avec l'ordre.
Cette part d'imprédictible prend l'allure, chez Chateaubriand, d'une conscience à base de
décalage entre le vouloir et le faire.
A ce niveau, on peut noter le fossé existant chez les aristocrates
entre la grande volonté de restaurer l'Ancien Régime et leur action mitigée devant Thionville.
La victoire
électorale inattendue de Louis Bonaparte et son coup de force de 1851, le pouvoir qui tombe dans «la
bouche» des républicains purs consacrent encore l'ironie de l'histoire comme autre forme d'imprévu dans
le processus historique.
L'action inattendue et fortuite pourrait-elle aspirer à figurer comme pilier fondateur
du présent ou encore moins de l'avenir ?
Cette nature imprévisible du fait historique fonde par la même occasion sa dimension sélective.
A ce titre,
la symbolique
du dénouement chez Corneille est révélatrice.
Le roi Tulle invite en effet les rescapés de l'action tragique
que sont Horace, Valère et Sabine à une harmonie et une réconciliation nationale où l'oubli l'emporte sur
la mémoire.
Un tel choix semble nous mettre devant une histoire de dépassement qui cache plus qu'elle
ne montre la douleur; mais dans le but de regarder ensemble vers l'avenir.
Chez Chateaubriand, le choix
des faits est certes guidé par son ton pamphlétaire; mais la visée est de mettre les parties en conflit
devant leur responsabilité historique en vue de ne plus reproduire les mêmes erreurs.
L'oubli, comme une
forme de non histoire, permet paradoxalement de relancer le processus historique.
Ce qui paraît être ici
un trou de mémoire, donc un obstacle d'inspiration, pourrait en fait servir de modèle aux acteurs de
l'histoire..
»
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