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L'histoire est bien connue de ce mathématicien qui, au sortir de la représentation d'une pièce de théâtre, s'écria : «Mais qu'est-ce que cela prouve ?» Et il est d'usage de s'indigner de sa naïveté... Vous vous demanderez si ce point de vue est aussi naïf qu'il peut paraître et si, en un certain sens, une oeuvre littéraire n'a pas elle aussi à prouver.

Publié le 30/01/2011

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histoire

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« sens conservateur (Bourget) ou dans un sens progressiste (Diderot) ? 3 Vérité, Beauté, Liberté.

En fait la littérature doit conserver à l'égard d'une thèse précise un recul suffisant pour sauvegarder sa Beauté, qui est essentiellement Liberté.

On sait que l'art se développe assez mal sur commande, naîttrès difficilement dans les périodes de contrainte, sous les régimes totalitaires, etc.

Or il ne faut pas non plus qu'unevérité à prouver soit une contrainte : la littérature doit craindre aussi la Vérité quand celle-ci se fait tyrannique à l'excès, quand l'art risque de n'être plus cet exercice gai et gratuit qu'il est d'abord ; des enfants qui s'amusent à guignol seraient alors plus près de l'art : le théâtre par exemple est né d'abord parce que des gens aimaient à sedéguiser et que le déguisement est une expression de la Liberté (et non de la Vérité !).

C'est ce qui explique lesthéories de Kant définissant l'art comme une finalité sans fin, c'est-à-dire comme une forme qui joue à atteindre unbut, mais ne l'atteint jamais vraiment.

C'est pourquoi également un Gautier élabore - un peu naïvement parce qu'ilen prend prétexte pour exclure toute utilité et toute vérité de l'art — sa théorie de l'Art pour l'Art : «L'Art, c'est laliberté, le luxe, l'efflorescence, c'est l'épanouissement de l'âme dans l'oisiveté» (cette dernière idée est plusdiscutable, mais le principe est bon : l'oeuvre littéraire, comme Sartre le dit, est une générosité, un libre don del'auteur au lecteur, un «luxe» dit Gautier, d'une façon un peu équivoque).

C'est dans un esprit analogue queBaudelaire dénonce, il est vrai pour la seule poésie, les hérésies qui, en soumettant la poésie au Vrai, au Coeur, àl'Enseignement, lui interdiraient d'être pure. Ainsi, à notre mathématicien, répondons d'abord : «Cela ne prouve rien, et justement c'est pour cela que c'est de lalittérature !» H Mais l'oeuvre littéraire est un acte L'inconvénient de ce plaidoyer pour la littérature est néanmoins de la mutiler quelque peu.

Certes, il était dangereuxde suivre notre adversaire sur le terrain où il voulait nous entraîner ; il a été bon de rappeler que la littérature est délectation, finesse, souples nuances de vérités entrevues, gratuité, libre bondissement, jeu ; l'objection denotre mathématicien relève typiquement de cet esprit d'une honnêteté un peu naïve qui veut tirer de tout unbénéfice intellectuel précis, comme d'un repas un certain nombre de calories ! Néanmoins ne pourrait-on défendrel'art littéraire en faisant observer que «cela prouve quelque chose» et même peut-être plus que ne le croyait lacritique traditionnelle ? Pendant longtemps en effet on n'a pas regardé les oeuvres comme des actes et desvolontés de convaincre et on a prêté une attention trop exclusive aux beautés formelles, à la musique d'un vers ouau pathétique du cri d'une héroïne.

C'était oublier que les morts ont été vivants et que ce sont peut-être leurspassions de vivants, leurs plaidoyers de vivants qui ont provoqué de leur temps le choc suffisant pour leur assurerl'immortalité. Précaution restrictive La poésie est hors du débat : ce serait un grave contresens que de demander à la poésie de prouver (sauf dans lecas un peu particulier de la poésie satirique ou épique), car le poète est celui qui justement renonce à se servir desmots pour convaincre et préfère les manier pour leur beauté, leur sonorité, leur charme intrinsèque.

Mais oùjustement la question se pose, c'est pour la prose : la prose est acte, que ce soit celle de Monsieur Jourdaindemandant ses pantoufles à Nicole (Le Bourgeois Gentilhomme, acte II, sc.

4), ou celle de Bossuet invitant les courtisans à se convertir .

Et justement le mathématicien n'a peut-être pas tort de demander aux oeuvres littéraires de prouver.

Essayons donc de montrer que, plus qu'on ne le croit sans doute, la grande oeuvre littéraire prouve. 1 L'oeuvre littéraire, comme réponse aux problèmes d'une époque et d'un milieu.

Tout d'abord elle est une réponse aux problèmes d'un temps et d'un milieu : s'il y a quelque naïveté dans la critique issue de Sainte-Beuve oude Taine, qui cherchent à expliquer l'oeuvre par la vie, le milieu, les circonstances, etc., du moins cette critique a- t-elle eu le mérite de nous rappeler qu'un écrivain est un homme comme les autres qui tente de répondre auxquestions que se posait son temps.

Certes il aurait pu les fuir, mais, outre que cela même aurait été une réponse,d'autres arts que la littérature (la musique, la peinture, même la poésie) permettent mieux cette fuite.

Comme lemontre Sartre, si l'écrivain a choisi la prose (ou les vers dans les genres didactiques ou dramatiques, vers qui nerelèvent pas tout à fait des mêmes lois que les vers lyriques), c'est qu'il entend agir.

Nos mots sont nos actes, pourl'écrivain comme pour nous tous.

Corneille, Pascal auraient pu choisir de se taire sur le problème de la grâce,problème qui était un aspect de celui de la liberté humaine ; mais en écrivant Polyeucte ou Les Provinciales ils ont voulu prouver, l'un les possibilités de la liberté, l'autre les difficultés de la liberté.

Polyeucte entend bien prouver que par la grâce un dépassement incessant est promis à l'homme et Racine, dans Phèdre, prouve inversement les limites de notre liberté et notre profonde faiblesse.

On le voit par les exemples précédents, les trois auteurs que nousvenons de citer sont préoccupés de justifier une certaine attitude par rapport à la liberté humaine, attitude quimettait en jeu toute leur vie et qui était une réponse à un problème du temps. 2 Ces preuves ont-elles une valeur éternelle ? Mais, dira-t-on, n' est-ce pas là justement l'élément de caducité de ces oeuvres ? Nous ne nous intéressons plus au fond même du débat : par exemple ces discussions sur la grâcesemblent bien lointaines à beaucoup et nous retenons surtout les beautés formelles, psychologiques, humaines dontces débats ont été l'occasion.

En d'autres termes on nous concédera peut-être que la plupart des grands écrivainsont entendu prouver quelque chose, mais on nous fera remarquer que cette preuve ne constitue pas l'essence de lalittérature, car s'il n'y avait dans Polyeucte qu'une preuve plus ou moins bien administrée relativement au problème de la grâce, on ne lirait plus Polyeucte.

Nous sommes bien d'accord sans doute pour admettre que nous ne continuons pas à nous intéresser à toutes les argumentations, si passionnées soient-elles, sur le problème de la. »

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