« L'habitude est une manière d'être permanente, contractée par suite d'un changement, à l'égard de ce changement même qui lui a donné naissance. » (Ravaisson).
Publié le 16/03/2011
Extrait du document
(Le terme de changement est un mot vague, car un changement peut être aussi bien volontaire qu'involontaire. Que faut-il entendre par l'expression « par suite d'un changement, à l'égard de ce changement même?... « Cela signifie que l'acte nouveau devient facile à supporter, ou à accomplir. Cf. la distinction entre habitude passive et habitude active.) « L'habitude, dit encore Ravaisson, est entre la volonté et la nature, et c'est un moyen terme mobile, une limite qui se déplace sans cesse, et qui avance par un progrès insensible d'une extrémité à l'autre. «
«
« D'un autre côté, à mesure que dans le mouvement l'effort s'efface, et que l'action devient plus libre et plusprompte, à mesure aussi elle devient une tendance, un penchant qui n'attend plus le commandement de la volonté,qui le prévient, qui souvent même se dérobe sans retour à la volonté et à la conscience...
»
(Ainsi se rétablit Y unité : les habitudes passives aboutissent à un besoin, les habitudes actives aboutissent à unetendance).
« Ainsi dans la sensibilité, dans l'activité se développe également par la continuité ou la répétition, une séried'activités obscures qui prévient de plus en plus ici le vouloir, et là l'impression des objets extérieurs...
Ainsi lacontinuité ou la répétition abaissent la sensibilité, exaltent la motilité, mais par une seule et même cause, ledéveloppement d'une spontanéité irréfléchie, qui pénètre et s'établit de plus en plus dans la passivité del'organisation, en dehors, au-dessous de la région de la volonté, de la personnalité et de la conscience...
La loi del'habitude ne s'explique que par le développement d'une spontanéité active tout à la fois et également différente dela fatalité mécanique et de la liberté réflexive.
(Par spontanéité active, Ravaisson ne désigne pas une activité libre à la manière de la volonté, mais une formed'activité intermédiaire entre le mécanique et la pensée libre.)
En résumé : la sensation qui se répète s'affaiblit, parce qu'elle n'est plus un changement brusque, mais un élémentde notre existence intérieure; elle devient, par la même raison, un besoin de plus en plus impérieux et qui veut êtresatisfait.
L'action qui se répète s'accomplit avec une facilité croissante, parce qu'elle devient une faculté spéciale,une puissance nouvelle, qui d'elle-même entre en jeu et réalise son objet.
Pour Ravaisson, bref, l'habitude est uneseconde nature, une nature acquise.
Cette idée est contestable; nous avons critiqué dans le cours la formule pascalienne « L'habitude est une secondenature ».
Nous avons vu que l'habitude ne donne pas à proprement parler naissance à des besoins.
Nous l'avons dit: la tendance peut créer l'habitude; l'habitude se borne à spécifier la tendance, mais ne peut la créer.
C Troisième degré de profondeur : Portée métaphysique de la théorie de Ravaisson.
La réfutation de la théorie de Ravaisson sur la nature de l'habitude nous obligera à faire des réserves sur lesconséquences métaphysiques qu'il en tire.
Thèse de Ravaisson : l'habitude est une force émanée de la force que nous sommes et qui n'en diffère pas; ellevient donc de la conscience et de la volonté, mais elle va vers la spontanéité inconsciente.
Elle part de l'esprit, maiselle s'en éloigne, pour se rapprocher du monde d'action de la nature; et s'il en est ainsi, nous sommes invités àpénétrer, grâce à l'habitude, dans les profondeurs de la vie instinctive à la lumière de la conscience.
L'habitudedevient donc une méthode pour explorer la nature.
Quelle est la différence entre l'habitude, tendance acquise etl'instinct, tendance primitive? Comme l'habitude, l'instinct est une tendance vers une .fin, sans volonté niconscience distinctes; l'instinct est moins réfléchi, plus irrésistible, plus infaillible, mais l'habitude se rapproche de laspontanéité parfaite de l'instinct.
Entre nature et habitude, la différence n'est que de degré, et de degré peut êtretrès réduit.
L'habitude, c'est presque la nature.
Pour connaître la nature extérieure, observons l'habitude, en particulier l'habitude volontaire qui nous est intérieure.Dans l'habitude, on va de la volonté vers l'instinct.
Nous comprenons alors que la nature mécanique est l'émanationde l'esprit.
La nature n'est pas première,
elle est un affaiblissement de l'esprit premier; l'habitude est mobile : elle se rapproche insensiblement de la nature.La nature est la limite du mouvement de décroissance de la conscience dans l'habitude.
L'habitude ne décroît pas aucontraire, elle s'enracine : mais elle perd ses caractères initiaux, il y a donc dégradation.
L'habitude offre uneméthode pour l'approximation du rapport, réel en soi, mais incommensurable par l'entendement, c'est-à-direincompréhensibfe, de la nature et de la volonté.
« En descendant par degrés des plus claires régions de la conscience, l'habitude porte avec elle la lumière dans lesprofondeurs et dans la sombre nuit de la nature.
»
Dans cette continuité qui, par degrés insensibles, conduit de l'esprit à la nature, Ravaisson trouve une preuve del'unité de l'Être.
Les partisans du mécanisme prétendent dériver du physique le spirituel lui-même, réduire à lanécessité matérielle tout ordre, toute harmonie qui sembleraient impliquer par leur direction une finalité.
Ravaissonse place au point de vue opposé : dans la dégradation successive de notre activité qui, partie de l'effort et de laréflexion, semble retourner à la sûreté de l'instinct par l'habitude, il trouve le moyen terme qui unit les deuxextrêmes, opposés d'abord, de la nature et de l'esprit.
Le mécanisme n'est plus le primitif, mais le dérivé; il exprime,comme par une sorte de symbolisme, l'activité spirituelle arrêtée, figée dans une forme où elle s'est emprisonnée; iln'exclut pas la finalité, il en est la première et la plus simple application.
Le mécanisme n'est pas plus distinct de lafinalité que le langage n'est distinct de la pensée qu'il exprime : le mot est nécessaire à l'idée, mais il n'existe quepar et pour l'idée; ainsi le but ne peut être atteint que par le mouvement, mais le mouvement n'existe que par etpour le but à atteindre.
Supprimer la direction, c'est supprimer le mouvement, supprimer la finalité, c'est doncsupprimer les mécanismes..
»
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