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L'habitude est-elle un instrument de servitude ou un moyen de libération ?

Publié le 29/03/2004

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Ainsi l'habitude possède-t-elle, dans ce cas au moins, une nature dynamique, continuellement en transformation. Peut-on la considérer, dès lors, comme un mécanisme pur ? A vrai dire, c'est une chose de considérer l'habitude dans son acquisition, c'en est une autre que d'examiner le déroulement même d'un acte acquis grâce à l'habitude. Or cet acte est le plus souvent fort complexe. Jouer du piano, c'est posséder une vélocité des doigts qui est telle dans la mesure où elle n'emprunte rien à l'attention consciente. C'est un mouvement automatique, autonome et qui, à première vue, semble indépendant de notre volonté. Là est le problème : savoir si ce mécanisme (si mécanisme il y a) fait de nous des automates ou si grâce à lui nous pouvons accéder à une puissance d'action plus étendue, plus diligente sur le monde et sur nous-mêmes. Mais, dans cette hypothèse, n'y a-t-il pas contradiction à considérer l'habitude comme un processus d'acquisition dynamique, évoluant sans cesse vers Un optimum ou vers une désagrégation, et en même temps comme un acte purement mécanique ? Car comment un tel mécanisme pourrait-il agir sur lui-même et aller ainsi en se modifiant sans cesse ? Il faut d'abord remarquer que toute habitude est généralement subordonnée à une fin.

« Il faut d'abord remarquer que toute habitude est généralement subordonnée à une fin.

Lorsque je rentre chez moi,par un chemin que je connais bien, je n'ai nul besoin de réfléchir pour ne pas me tromper ; je n'ai besoin qued'observer sans un effort d'attention soutenu : tel magasin, tel croisement agissent sur ma conduite non pas parune valeur représentative dont j'essaierais de déchiffrer la signification, mais par une valeur purement signalétique.Ces signaux aiguillent ma route en créant en moi de véritables réflexes.

Mais d'autre part, ils ne prennent de sensque parce qu'ils sont situés les uns par rapport aux autres dans un ordre rigoureux : cet ordre donne à mon acte sasignification d'ensemble : « Je rentre chez moi ».Kant définissait la finalité comme « l'existence d'un tout qui produit celle deses parties » : c'est bien ce que rend précisément possible l'habitude.

Lorsqueje parcours pour la première fois un chemin, je m'oriente sur des points derepère.

J'identifie peu à peu ma route en m'efforçant de comprendrel'ensemble à partir des différents éléments : « Je dois prendre la première rueà gauche ; là, je verrai une poste ; alors je tournerai à droite...

» Chaquepoint de repère joue un rôle représentatif.

Il faut que je reconnaisse ce que jene connais que par ouï-dire.

Je pars des éléments pour arriver à la totalité.L'habitude au contraire me permet dans cet exemple, de m'orienter, de mesituer immédiatement par rapport à l'ensemble du chemin à parcourir.

Le signaltient sa signification non seulement du fait qu'il m'indique où je suis en cemoment mais surtout parce qu'il est le signal d'un autre signal.

Je dominel'ensemble de mon acte un peu comme l'aiguilleur, du haut de sa cabinevitrée, domine les voies de la gare.

Il en va de même avec des automatismesextrêmement plus déliés et semblant faire une part quasi-totale à un simplemécanisme aveugle : ainsi le jeu du pianiste qui implique un déroulementextrêmement rapide de mouvements kinesthésiques.

Y a-t-il encore contrôle,régulation de l'ensemble de ces mouvements ? Il le faut bien, car alorscomment expliquerait-on que le virtuose puisse moduler, nuancer à l'extrêmeson exécution ? On sait d'autre part qu'un organiste exercé est capable,après une heure de travail, de se servir d'un orgue qu'il ne connaît pas etdont les claviers sont plus ou moins nombreux, les jeux autrement disposésque ceux de son instrument coutumier.

Il faut bien alors admettre que l'habitude constitue ici encore autre chosequ'un pur mécanisme qui s'installerait en nous et même malgré nous, et qui constituerait une sorte de « possession».

Elle apparaît tout au contraire, non seulement comme une action « plus économique », mais encore comme ce quirend possible un véritable pouvoir de synthèse permettant de dominer les divers moments du temps ; elle est parconséquent indispensable à la création artistique.

Elle n'est cependant pas condition suffisante.

On ditindifféremment d'un peintre, d'un compositeur ou d'un musicien qu'ils possèdent de la virtuosité, de la technique oudu métier ; mais cela n'implique pas qu'ils aient du génie.

Il y aurait là plutôt une sorte d'ersatz du génie.

Celamontre assez que même dans ce cas l'habitude ne joue pas, bien au contraire, un rôle d'inhibition.

Seule varie enquelque sorte la a qualité » du contrôle.On peut dire, par conséquent, que l'habitude est véritablement un ce moyen » permettant à l'homme de vaincrecertaines contraintes.

Et l'on a raison, au moins dans des cas semblables, d'employer le mot : a moyen ».

Toutmoyen suppose une fin en vue de laquelle il est adapté et si l'habitude était ce mécanisme aveugle que l'on se plaîtparfois à imaginer, elle serait, un peu comme l'instinct chez les animaux inférieurs, à elle-même sa propre fin.Pour cela, il ne suffit pas qu'elle permette de dominer une situation et une seule ; il faut qu'elle puisse avoir lasouplesse qu'exige la multitude de situations en face desquelles l'homme se trouve quotidiennement placé.

Il fautdonc qu'elle soit douée d'une certaine plasticité.

L'habitude sera en quelque sorte une habitude d'habitudes ; ou, sil'on préfère, un apprentissage qui doit pouvoir faciliter d'autres apprentissages de nature voisine.

C'est ce que nousavons justement constaté à propos de l'organiste.

Un autre exemple nous permettra de mieux apprécier encorecette plasticité : un amputé du bras droit apprend à écrire de la main gauche avec beaucoup plus de facilité qu'unsimple analphabète de la main droite.

Il y a donc dans ce cas une sorte de transfert de l'habitude qui passe d'unbras à l'autre.

Il faut donc bien admettre une fois de plus que loin d'être un automatisme fermé sur lui-même,l'habitude constitue un tout organisé, qui se forme, se déforme, s'adapte aux situations les plus diverses et qui,rendant possible la maîtrise de l'homme sur lui-même, permet une action précise, efficace et intelligente. * * *Il n'est toutefois pas douteux que l'habitude nous rend parfois victimes d'elle-même ; et c'est dans ce cas qu'elleressemble le plus à un mécanisme faisant de nous à certains moments de véritables automates, mais toujours desautomates mal réglés.Je prends tel autobus parce que j'ai l'habitude de le prendre chaque matin ; mais justement ce matin je devais merendre à un autre endroit.

Je me suis donc trompé et me sens trahi par mon habitude.

Des exemples de ce genrepourraient être multipliés à l'infini.

Peut-on les attribuer à une force étrangère à nous-mêmes ? Il faut remarquerd'abord que le bon sens attribue le plus souvent ces lapsus à la distraction.

De fait, l'explication est apparemmentvalable : je n'ai pas réfléchi au sens de mon acte, mais toutefois jusqu'à un certain point j'ai pensé que je devais merendre au lieu habituel de mon travail.

Mais à qui la faute ? Ai-je le droit de m'opposer à mes habitudes et de dire : «c'est l'habitude qui m'a ce poussé » à oublier la course que je devais faire ? »Si l'on examine des cas pathologiques comme ceux que nous présente l'apraxie proprioceptive (qui est un troubledes centres supérieurs et non une paralysie) on retrouve en plus accusé les mêmes phénomènes de « distraction ».Un apraxique proprioceptif (à la différence de l'apraxique extéroceptif) reconnaît bien les objets et n'est donc pasagnosique mais il devient incapable de s'en servir : « Un apraxique, écrit Guillaume, tient sa plume avec le poingfermé ; ou tient la cuiller ou le couteau comme une plume...

frotte une allumette contre la bougie et non contre le. »

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