L'expérience de la beauté passe-t-elle nécessairement par l'oeuvre d'art ?
Publié le 23/01/2004
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L'appréhension immédiate de ce qui est beau, de ce qui suscite en nous spontanément admiration et enthousiasme avant toute réflexion, doit-elle avoir inévitablement pour intermédiaire un ensemble de matériaux et de signes qu'un esprit créateur a organisé pour produire la beauté ? En d'autres termes, ne trouve-t-on le beau que dans l'oeuvre d'art ? Cette restriction paraît excessive et la nature, comme notre vie, semblent contenir une beauté dont nous pouvons faire l'expérience.
Le beau artistique est-il supérieur ou non au beau naturel ou « existentiel «? Si l'expérience de la beauté consiste en la saisie d'une unité et d'une forme, en l'appréhension d'une perfection esthétique donnant lieu à une satisfaction universelle, ne doit-on inclure que l'oeuvre d'art pour la saisie globale du beau ?
- A. L'expérience de la beauté passe nécessairement par l'oeuvre d'art.
- La beauté artistique est supérieure à la beauté naturelle. - L'oeuvre d'art comme forme raisonnée de la beauté.
- B. L'expérience de la beauté passe aussi par la nature.
- Une expérience de l'intuition. - La beauté libre.
- C. L'expérience de la beauté passe par la mise en forme de toute la vie.
- L'art n'équivaut pas toujours aux beaux-arts. - L'expérience de la beauté comme façon de s'élever contre les laideurs de l'existence.
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L'expérience de la beauté ne passe-t-elle pas aussi par la contemplation de la nature ? Ne nous faut-il pas élargir lasaisie de la splendeur et de la juste proportion ? Certes l'art semble triompher par rapport au côté caduc etpérissable de la vie et de la nature ; mais ces dernières peuvent-elles bien être écartées ?
• L'expérience de la beauté libre passe aussi par la nature : Comment l'expérience de la beauté ne prendrait-elle pasaussi comme moyen terme et comme intermédiaire pour se réaliser la nature ?Cette dernière ne saurait se situer en dehors du domaine de l'esthétique.
La beauté des fleurs, la luxuriance de lavégétation méditerranéenne, la grandeur imposante du Grand Canyon, l'éclat de la mer et du soleil ne peuvent-ilsdonner à l'esprit une occasion d'éprouver l'accord de l'imagination et de l'entendement ? Le sentiment esthétiqueréalise une harmonie imprévue entre les concepts et les images, l'intelligible et le sensible.Qu'est-ce exactement que l'expérience de la beauté.
On peut concevoir la beauté comme une perfection esthétiquerenfermant le principe d'une satisfaction subjectivement universelle.
La beauté, comme nous le dit Kant, c'est ce quiplaît aux sens dans l'intuition et précisément pour cette raison peut être l'objet d'une satisfaction universelle.L'expérience de la beauté ne correspond-elle pas à une satisfaction universelle et désintéressée ? Ce qui signifie queles beaux-arts, les oeuvres d'art, tout comme la nature sont à même de nous révéler la beauté, qu'il n'y a pas deraison de les exclure de l'analyse.Ceci est particulièrement net à propos de ce que Kant appelle beauté libre, c'est-à-dire qui n'est astreinte à aucunefonction extérieure au beau lui-même.
Cette beauté libre est pure ; elle n'est pas liée à l'utile.
Il n'y a en elle aucunaspect fonctionnel.
Or ce type de beauté fondamental et pur se révèle à travers la nature et ne passe passeulement par l'oeuvre d'art. « Il y a deux espèces de beauté : la beauté libre [...] ou la beauté qui n'estqu'adhérente.
La première ne présuppose aucun concept de ce que doit êtrel'objet [...] Les fleurs sont de libres beautés de la nature.
Quelle chose unefleur doit être, il n'y a guère que le botaniste qui le sache, et même lui, qui yreconnaît les organes de fécondation de la plante, il ne tient pas compte decette fin de la nature quand il en juge selon son goût.
» (Kant, Critique de lafaculté de juger).
De même, note Kant, de nombreux oiseaux, le colibri oul'oiseau de paradis, mais aussi une multitude de coquillages marins sont desbeautés en soi, libres, non liées à l'utile, des sortes de beautés pures, neservant à rien, en quelque sorte : elles plaisent librement et pour elles-mêmes.Ainsi, nous pouvons faire l'expérience de la beauté pure, libre, inutile parl'entremise de la nature, qui donne ici à voir un jugement de goût pur.
Lesfleurs sont des beautés libres de la nature par l'harmonie de leurs parties,sans que s'y glisse l'idée de Futilité.Toutefois, n'est-il pas maintenant nécessaire de généralisera la morale etmême à toute l'existence l'expérience de la beauté, que l'on ne sauraitrestreindre à la seule sphère de l'art.
Dès lors, ne peut-on, avec Nietzsche,poser la question suivante : contrairement au préjugé habituel qui en faitl'essentiel de l'art, l'oeuvre d'art proprement dite n'est-elle pas secondaire ?Ne faut-il pas prendre en compte la beauté de toute la vie ?
• L'expérience de la beauté passe par la mise en forme de toute la vie : il ne faut pas nécessairement identifier artet beaux-arts et identifier l'expérience de la beauté avec celle de l'oeuvre d'art.
Ce qui importe, n'est-ce pasl'esthétisation de toute l'existence, la réalisation d'une certaine forme d'ordre et d'unité, qui transcende la sphèreétroite de l'oeuvre d'art ? L'expérience de la beauté passe par la vie.
De quoi, en effet, s'agit-il ? De créer, danstoute la vie, des formes de civilité et d'ordre qui permettent de dissimuler ou d'occulter toutes les laideurs del'existence, qui doit être totalement anoblie.
Dans cette perspective, l'expérience de la beauté dépasse infiniment lechamp restreint de l'oeuvre d'art : « L'art des oeuvres d'art n'est qu'accessoire [...] Mais on a l'habitude,aujourd'hui, de commencer l'art par la fin ; on se suspend à sa queue, avec l'idée que l'art des oeuvres d'art est leprincipal et que c'est en partant de cet art que la vie doit être améliorée et transformée.
Fous que nous sommes !Si nous commençons le repas par le dessert, goûtant à un plat sucré après l'autre, quoi d'étonnant si nous nousgâtons l'estomac et même l'appétit pour le bon festin, fortifiant et nourrissant, à quoi l'art nous convie ? ».
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