L'existentialisme est un humanisme, Éditions Gallimard, p. 71.
Publié le 22/03/2015
Extrait du document
Kant déclare que la liberté veut elle-même et la liberté des autres. D'accord, mais il estime que le formel et l'universel suffisent pour constituer une morale. Nous pensons, au contraire, que des principes trop abstraits échouent pour définir l'action. Encore une fois, prenez le cas de cet élève ; au nom de quoi, au nom de quelle grande maxime morale pensez-vous qu'il aurait pu décider en toute tranquillité d'esprit d'abandonner sa mère ou de rester avec elle ? Il n'y a aucun moyen de juger. Le contenu est toujours concret, et par conséquent impré¬visible ; il y a toujours invention. La seule chose qui compte, c'est de savoir si l'invention qui se fait, se fait au nom de la liberté.
L'existentialisme est un humanisme, Éditions Gallimard, p. 71.
«
Textes commentés 55
Sartre a défini la morale existentialiste comme celle qui veut « la
liberté pour
la liberté et à travers chaque circonstance particulière.
»
(p.
69) Il y a bien alors une dimension universelle de la morale, puisque
l'exigence
de liberté doit valoir quelle que soit la situation.
Aussi Sartre
semble-t-il bien rejoindre le Kantisme : pour Kant aussi, viser la liberté,
1
c'est viser celle des autres, qui ne sont pas seulement des phénomènes
déterminés empiriquement mais qui sont aussi ce que Kant appelle des
noumènes, c'est-à-dire des êtres capables de s'auto-déterminer.
Toutefois,
la limite de Kant, c'est qu'il
« estime que le formel et l'universel suffisent
pour constituer une morale
» (ligne 2).
Que Sartre entend-il par là ? Il
veut dire que, pour Kant, agir moralement, c'est toujours agir par respect
pour la
forme de la loi, c'est-à-dire pour sa dimension universelle, car si
l'on ôte à la loi tout contenu, il ne reste plus que la forme de l'universel,
autrement dit le fait qu'elle soit valable pour tous.
Si j'agis en effet pour
obtenir un objet ou par souci de mon bonheur personnel, je n'agis pas de
manière désintéressée, mais pour satisfaire mes penchants sensibles.
Le
principe de la morale kantienne, c'est donc
« Agis de telle sorte que la
maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme
principe d'une législation universelle.
»(Critique de la raison pratique,
1, l, § 7) Kant ne nous dit donc pas ce qu'il faut faire, car il ne se préoc
cupe pas du contenu de la loi morale, mais il nous dit qu'il faut agir de
1 telle sorte que ce que je fais puisse valoir universellement.
De fait, c'est justement cela que Sartre reproche à Kant : ce dernier
pense que l'adéquation de ma volonté à un principe formel comme la loi
morale peut suffire à fonder une morale.
Or, c'est oublier que des prin-
1
cipes « trop abstraits » comme les impératifs catégoriques ne suffisent pas
à me dire ce que
je dois faire en telle circonstance précise : si l'on reprend
l'exemple
de cet ancien élève déjà évoqué par Sartre (p.
41-44), qui hésite
entre l'engagement dans la résistance et le devoir filial, aucune loi morale
ne peut l'aider à choisir l'une ou l'autre solution, car dans les deux cas sa
maxime (le principe subjectif de son action) est contraire à l'universalité
de la loi morale -puisque dans
un cas il abandonne sa mère et dans
l'autre il est infidèle à sa patrie et à la liberté.
Il faut donc s'intéresser,
contrairement à ce que fait Kant,
au contenu de l'action, qui« est toujours
concret
», c'est-à-dire particulier : c'est à chacun alors de créer la solution
aux problèmes moraux qui peuvent
se poser..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- L'existentialisme est un humanisme, © Éditions Gallimard, p. 29-30.
- L'existentialisme est un humanisme, © Éditions Gallimard, p. 66-67. Sartre. Commentaire
- L'existentialisme est un humanisme, © Éditions Gallimard, p. 57-59.
- L'existentialisme est un humanisme, © Éditions Gallimard, p. 39-40.
- EXISTENTIALISME EST UN HUMANISME (L’). Jean-Paul Sartre (résumé)