L'existentialisme est un humanisme, © Éditions Gallimard, p. 39-40.
Publié le 22/03/2015
Extrait du document
Dostoïevsky avait écrit : « si Dieu n'existait pas, tout serait permis «. C'est là le point de départ de l'existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et par conséquent l'homme est délaissé, parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s'accrocher. Il ne trouve d'abord pas d'excuses. Si, en effet, l'existence précède l'essence, on ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit, il n'y a pas de déterminisme, l'homme est libre, l'homme est liberté. Si, d'autre part, Dieu n'existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi, nous n'avons ni derrière nous ni devant nous, dans le domaine numineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est condamné à être libre. Condamné, parce qu'il ne s'est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu'une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait.
L'existentialisme est un humanisme, © Éditions Gallimard, p. 39-40.
«
Textes commentés 47
Ce passage explicite la notion de « délaissement », empruntée là aussi
à Heidegger.
Sartre part d'une citation de Dostoïevski tirée des
Frères
Karamazav : « si Dieu n'existe pas, tout est permis.
» Ce qui signifie que
s'il n'y a pas de fondement transcendant ou divin aux valeurs, bref si les
valeurs n'ont leur origine que dans l'homme, alors rien
ne vient garantir
qu'on les respectera : tout semble bien permis, puisque rien n'est plus
sacré et que ce que l'homme s'impose comme valeur, il peut très bien
le
renverser.
Sartre prend Dostoïevski au pied de la lettre et fait de sa
proposition le
«point de départ de l'existentialisme» (lignes 1-2) : étant
donné qu'il n'y a pas de Dieu et donc aucune
valeur« inscrite dans un ciel
intelligible
» (p.
38), alors l'homme peut effectivement tout faire, sans
aucune limite
« ni en lui », c'est-à-dire dans une nature humaine, « ni hors
de lui
», c'est-à-dire dans des commandements ou des impératifs qui lui
viendraient d'un Être supérieur.
Il est alors
« délaissé», c'est-à-dire qu'il
est laissé seul avec
le poids de sa responsabilité et de son angoisse, sans
aucune Valeur objective à laquelle se fixer.
Si donc l'homme est « délaissé » et qu'il peut faire tout ce qui est en
son pouvoir, alors
« l'homme est liberté » (ligne 6), et cette liberté est
infinie : il n'y a pas de normes qui viendraient, depuis
«le monde
numineux des
valeurs», c'est-à-dire le monde intelligible (de noumenon :
ce qui est pensable, en grec) de Platon ou des chrétiens, lui dicter sa
conduite.
S'il agit, il
ne peut rien alléguer qui viendrait minorer sa
responsabilité, car ce serait rechuter dans le déterminisme, autrement dit
l'idée que toute chose a des causes antécédentes et que ce sont ces causes
qui
la déterminent à être ou à produire des actes.
Il faut dire au contraire
que l'homme est libre, c'est-à-dire qu'il échappe au déterminisme naturel,
et mieux : qu'il est
«condamné à être libre.
» (ligne 10) L'expression
semble paradoxale, puisque l'état de liberté (qui suppose choix) semble
incompatible avec l'idée d'une
« condamnation », qui est subie : or, si
l'homme est totalement libre de ses choix, il n'est pas libre de ne pas
choisir ou d'aliéner sa liberté.
C'est qu'il n'est pas le fondement de sa
propre existence : il est
«jeté au monde » (autre existential heideggerien :
l'être-jeté-dans-le-monde), sans raison, ce qui renvoie à l'aspect
totalement contingent de l'existence humaine.
Cette contingence est
nécessaire, ce qui interdit à l'homme d'éluder sa responsabilité..
»
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