« L'étude de l'histoire littéraire est destinée à remplacer en grande partie la lecture directe des Oeuvres de l'esprit humain. » A cette affirmation de Renan, Lanson répond dans l'avant-propos de son Histoire de la Littérature française : « Je voudrais que cet ouvrage ne fournît pas une dispense de lire les Oeuvres originales, mais une raison de les lire, qu'il éveillât les curiosités au lieu de les éteindre. » Étudier ces deux jugements. ?
Publié le 17/06/2009
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INTRODUCTION. -- Les siècles passés nous ont transmis une production littéraire immense et nos bibliothèques, par suite des progrès de l'imprimerie et de l'extension de la culture, s'accroissent tous les jours. Il y a de quoi se perdre dans cette masse de livres dont les érudits eux mêmes ne peuvent lire qu'une petite partie. Heureusement se multiplient encore plus des études qui fournissent en de brefs condensés ce qu'il faut. savoir de ces ouvrages : pour les nouveautés, les chroniques et les comptes rendus bibliographiques de la presse; pour les oeuvres anciennes, les histoires de la littérature. Mais, sur le rôle de cette dernière sorte d'écrits, on a formulé deux conceptions apparemment opposées qui valent aussi des informations que fournit la presse sur les livres nouveaux : pour RENAN, l'histoire littéraire dispenserait de la lecture directe des oeuvres qu'elle. étudie; pour LANSON, au contraire, elle devrait amener à lire des ouvrages qu'on n'aurait pas lu sans elle. A qui donner raison ? A RENAN ou à LANSON ?
I — ÉTUDE DES DEUX JUGEMENTS ANTITHÉTIQUES
L'histoire littéraire dispense de lire.
A première vue. RENAN semble approuver la pratique, officiellement honnie par le corps professoral, de l'élève qui disserte sur des oeuvres dont il n'a jamais lu une page en utilisant les notes prises au cours du professeur ou les exposés d'un manuel d'histoire de la littérature.
«
s'agira bien souvent, surtout au niveau des études élémentaires, que d'une sorte d'illustration des jugements portéspar l'historien.
Mais à un niveau supérieur de culture, ces jugements ne seront pris que sous bénéfice d'inventaire etil ne sera pas rare que la lecture les réforme.Enfin, ayant déjà une orientation d'esprit particulière et ses goûts personnels, on lit pour faire son choix, on tâtonneà la recherche des auteurs et des oeuvres qui répondent à certaines normes idéales, satisfont certains besoinsesthétiques, intellectuels ou affectifs.
L'histoire littéraire oriente la recherche, mais il faut néanmoins beaucoup detâtonnements et de lectures apparemment inutiles avant de tomber sur l'ouvrage qui constituera pour l'esprit unenourriture substantielle.
II.
- ESSAI DE SYNTHÈSE
L'opposition est plus apparente que réelle.
L'examen des deux textes soumis à notre étude nous l'a déjà montré, ils ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et ondirait que LANSON n'a pas remarqué l'importante réserve de RENAN : « en grande partie ».
En écrivant une Histoirede la littérature qui fut utilisée par toute une génération d'étudiants, il avait sans doute pour but de diriger cesderniers dans leurs lectures ou même, comme il le dit, de les pousser à lire et non de les dispenser de tout contactpersonnel avec les auteurs.
Mais toute direction suppose un choix et, par suite, des éliminations : de l'histoirelittéraire d'un siècle, surnagent dix ou vingt auteurs et une cinquantaine d'oeuvres maîtresses qui méritent uneconnaissance directe.
Pour les autres, il est permis de les ignorer ou il suffit d'en savoir ce que disent les manuelsd'histoire.Pris comme guide du lecteur, un manuel d'histoire littéraire peut être considéré de deux points de vue.
Sous sa facepositive, il met en valeur les ouvrages à lire et par là éveille la curiosité, pousse à la lecture : c'est à ce point devue que se place LANSON.
Sous sa face négative, il dissuade implicitement ou explicitement de s'attarder à desoeuvres de moindre importance actuelle pour la formation de l'esprit : c'est la face que considère RENAN.Ainsi, les deux affirmations que nous avons à apprécier sont plutôt complémentaires, que contradictoires.
Et consiste plutôt dans le but visé.
La différence est moins dans les réflexions soumises à notre étude que dans l'intention de leurs auteurs et dans lebut de l'ouvrage dont elles sont extraites.
Renan vise la formation d'un certain esprit scientifique. — L'avenir de la science, d'où est tirée son affirmation sur le rôle de la littérature, est une sorte de manifeste ou de programme inspiré par la conjoncture politique et lescirconstances de la vie de l'auteur.
Cet ouvrage, publié seulement en 1890, fut écrit durant les derniers mois de1818 et les premiers de 1849, dans le climat résultant de la Révolution de février.
RENAN, qui a quitté le Séminaire d'Issy et a rompu avec l'Église en 1845, a 26 ans.
L'avenir de la science est doncune oeuvre de jeunesse et l'oeuvre d'un jeune auteur qui vient de rejeter son passé en même temps que son paysrejetait certaines institutions traditionnelles.
C'est un acte de foi en la science qui remplace la foi religieuserécemment perdue en même temps qu'une option pour un avenir en rupture avec le passé comme le dit une lettre àEugène BURNOUF (p.
1-5).Le passé, il faut sans doute le connaître et le comprendre : c'est pourquoi RENAN réclame des travaux d'éruditiondans lesquels aucune source de renseignements ne doit être négligée.
Mais c'est parmi les auteurs de notre tempset non parmi ceux du passé qu'il faut chercher des maîtres à penser.
A la suite de la réflexion sur les oeuvrespolémiques de Voltaire, nous lisons :
"La lecture des auteurs du XVIIe siècle est, certes, éminemment utile pour faire connaître l'état intellectuel decette époque.
Je regarde cependant comme à peu près perdu pour l'acquisition des données positives le tempsqu'on donne à la lecture.
Il n'y a là rien à apprendre en fait de vues et d'idées philosophiques, et je ne conçoisguère, je l'avoue, que le résultat d'une éducation complète soit de savoir par coeur La Bruyère, Massillon, Jean-Baptiste Rousseau, Boileau, qui n'ont plus grand-chose à faire avec nous, et qu'un jeune homme puisse avoirterminé ses classes sans connaître Villemain, Guizot, Thiers, Cousin, Quinet, Michelet, Lamartine, Sainte-Beuve.
Nulplus que moi n'admire le XVII,) siècle à sa place dans l'histoire de l'esprit humain; mais je me révolte dès qu'onveut faire de cette pensée lourde et sans critique le modèle de la beauté absolue.
Quel livre, grand Dieu ! quel'Histoire universelle, objet d'une admiration conventionnelle, oeuvre d'un théologien arriéré, pour apprendre ànotre jeunesse libérale la philosophie de l'histoire !" (L'avenir de la science, p.
226-227.)
Comme on le voit, RENAN donne des directives pour la recherche des sources d'idées, valables pour son temps, et ilestime qu'on les trouve chez les contemporains et non chez les auteurs du passé : les premiers doivent être lusdirectement; c'est la lecture des seconds que l'histoire de la littérature pourra dans une grande mesure remplacer.
Lanson vise la formation du goût et la culture.
— Professeur de lettres dans l'enseignement secondaire, puis à.
»
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