Lettres écrites de la montagne, huitième lettre. Commentaire d'un extrait de Rousseau
Publié le 24/03/2015
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On a beau vouloir confondre l'indépendance et la liberté. Ces deux choses sont si différentes que même elles s'excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu'il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d'autres, et cela ne s'appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d'autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c'est obéir. Vos magistrats savent cela mieux que personne, eux qui, comme Othon, n'omettent rien de servile pour commander`l. Je ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n'a droit d'opposer de la résistance ; dans la liberté commune, nul n'a droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie liberté n'est jamais destructive d'elle-même. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car, comme qu'on s'y prenne2, tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée.
Il n'y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu'un est au-dessus des lois : dans l'état même de nature l'homme n'est libre qu'à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres, non les arbitres, ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme mais l'organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain.
Vous avez des lois bonnes et sages, soit en elles-mêmes, soit par cela seul que ce sont des lois. Toute condition imposée à chacun par tous ne peut être onéreuse à personne, et la pire des lois vaut encore mieux que le meilleur maître ; car tout maître a des préférences, et la loi n'en a jamais.
Lettres écrites de la montagne, huitième lettre.
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Textes commentés 51
« Par quel art inconcevable a-t-on pu trouver le moyen d'assujettir les hommes
pour les rendre libres
? Ces prodiges sont l'ouvrage de la loi.
C'est à la loi
seule que les hommes doivent la justice et la liberté
», écrit Rousseau dans le
Discours sur l'économie politique.
Une fois de plus, Rousseau procède par affirmations paradoxales et formule le
problème sous la forme d'une apparente contradiction.
La loi est contrainte,
sujétion, et l'on a peine à croire qu'elle puisse par là garantir la liberté.
La
solution de Rousseau à cette apparente absurdité est que la liberté naturelle,
celle que nous revendiquons lorsque la pression sociale et les institutions
commune nous semblent nuire excessivement à nos intérêts (payer des
impôts, être puni d'une amende suite à une infraction ...
), est autodestructrice,
ainsi que Hobbes l'a montré dans les chapitres XIII à XVII du
Léviathan.
En
effet,
si l'on admet que les hommes sont égaux et que chaque homme a droit
naturellement à toute chose qu'il peut atteindre, ma liberté se heurte inévita
blement à celle d'autrui et la situation naturelle de l'homme, quand il exerce
son droit naturel et fait usage de sa liberté, aboutit inévitablement à la
«guerre de chacun contre chacun».
La solution de Hobbes, pour garantir la
paix, était l'aliénation, le renoncement total
à la liberté et au droit naturel.
Pour
Rousseau, la loi consiste en ce que
« nul ne perd de sa liberté que ce qui
peut nuire
à celle d'un autre », en sorte que je conserve une liberté qui peut
être compatible avec celle de tout autre individu.
Le bien commun, c'est mon
intérêt particulier en tant qu'il est aussi l'intérêt de chacun.
En second lieu et
par corollaire, la loi
« rétablit dans le droit l'égalité naturelle entre les
hommes
» (Discours sur l'économie politique).
La loi est l'expression de la
volonté générale, ce qui a pour conséquence que non seulement
je peux
exercer cette liberté dans le sens de mon bien propre, mais que
je bénéficie de
l'appui de toutes les autres libertés communes et que j'ai plus de force pour
préserver mes droits.
Ainsi, à l'état de nature,
je possède un bien (argent,
immeuble, terrain, meuble, bétail, machines, bijou, arme, femme) aussi
longtemps que j'ai assez de force pour le garder et le préserver des atteintes ou
des attaques d'autrui : nul n'est là pour justifier ma possession, et mon
« droit
périt quand la force cesse
» (Contrat social, I, 3).
Au contraire, dans l'état
civil, ma possession est reconnue, dans le cadre des lois, par tout le corps
social, devenant ainsi une
propriété, quelque chose qui m'est attribué en
propre et dont
je puis user à ma guise.
Mais en outre, et du même coup, ma
personne et mes biens sont défendus et protégés de toute la force commune,
évidemment plus puissante que mes seules forces ou ressources individuelles.
Autre
exemple: à l'état de nature, je n'ai que mes forces pour me défendre..
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