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Lettre à Christophe de Beaumont (1762).

Publié le 23/03/2015

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Le principe fondamental de toute morale, sur lequel j'ai raisonné dans tous mes écrits, et que j'ai développé dans ce dernier [Émile] avec toute la clarté dont j'étais capable, est que l'homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l'ordre ; qu'il n'y a point de perversité originelle dans le coeur humain, et que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits. J'ai fait voir que l'unique passion qui naisse avec l'homme, savoir l'amour de soi, est une passion indifférente en elle-même au bien et au mal ; qu'elle ne devient bonne ou mauvaise que par accident et selon les circonstances dans lesquelles elle se développe. J'ai montré que tous les vices qu'on impute au coeur humain ne lui sont point naturels ; j'ai dit la manière dont ils naissent ; j'en ai, pour ainsi dire, suivi la généalogie, et j'ai fait voir comment, par l'altération successive de leur bonté originelle, les hommes deviennent enfin ce qu'ils sont. 1..1

Quand enfin tous les intérêts particuliers s'entrechoquent, quand l'amour de soi mis en fermentation devient amour-propre, que l'opinion, rendant l'uni¬vers entier nécessaire à chaque homme, les rend tous ennemis nés les uns des autres et fait que nul ne trouve son bien que dans le mat d'autrui, alors la conscience, plus faible que les passions exaltées, est étouffée par elles et ne reste plus dans la bouche des hommes qu'un mot pour se tromper mutuellement. Chacun feint alors de vouloir sacrifier ses intérêts à ceux du public, et tous mentent. Nul ne veut le bien public que quand il s'accorde avec le sien ; aussi cet accord est-il l'objet du vrai politique qui cherche à rendre les peuples heureux et bons. Mais c'est ici que je commence à parler une langue étrangère, aussi peu connue des lecteurs que de vous.

Voilà, Monseigneur, le troisième et dernier terme, au-delà duquel rien ne reste à faire, et voilà comment, l'homme étant bon, les hommes deviennent méchants. C'est à chercher comment il faudrait s'y prendre pour les empê¬cher de devenir tels que j'ai consacré mon livre. Je n'ai pas affirmé que dans l'ordre actuel la chose fût absolument possible ; mais j'ai bien affirmé et j'affirme encore qu'il n'y a pour en venir à bout d'autres moyens que ceux que j'ai proposés.

Lettre à Christophe de Beaumont (1762).

 

« Textes commentés 41 Dans cette lettre, qui constitue moins une apologie personnelle qu'un excellent résumé de la problématique philosophique de Rousseau, l'auteur de l'Émile réplique au mandement de l'archevêque de Paris, Mgr Chr.

de Beaumont, par lequel le prélat avait condamné l'ouvrage.

Imprimé à Amsterdam, interdit d'entrée en France et confisqué par la police dans le royaume, dénoncé à la Sorbonne et condamné à être lacéré par un arrêt du Parlement de Paris (9 juin 1762), le livre sera brûlé le 11 juin à Paris.

À Genève, seront brûlés aussi bien l'Émile que le Contrat social et Rousseau sera décrété de prise de corps dans les deux pays.

Le 28 août paraît le Mandement de l'archevêque de Paris condamnant l'Émile, et la réponse de Rousseau sera datée du 18 novembre suivant.

La lettre de Rousseau met en évidence une thèse fondamentale de sa philoso­ phie qui la fait déclarer athée, hérétique ou impie par les autorités religieuses : son refus de la méchanceté de l'homme, de la « perversité originelle dans le cœur humain », en un mot de ce qu'on appelle le péché originel.

Il y a des remèdes à la dépravation de l'homme, à l'altération de sa bonté originelle : politiques, comme Rousseau s'efforce de le démontrer dans le Contrat social, moraux ou éducatifs, comme il le développe dans l'Émile, « traité de la bonté originelle de l'homme» (Rousseau juge de Jean-Jacques, dialogue troisième).

Théologiquement, Rousseau peut être taxé d'hérésie pélagienne, doctrine optimiste minimisant le péché humain et comptant sur les actions bonnes pour assurer le salut.

Cette hérésie, combattue par Augustin, théoricien de la fameuse doctrine du « péché originel » a été condamnée par le concile d'Éphèse de 431.

Philosophiquement, elle signifie que l'injustice et le désordre établi dont Rousseau, après Hobbes et après certains pères de l'Église, offre la vision tragique que l'on sait, ne sont pas le dernier mot de l'histoire.

Mais cette thèse implique surtout que l'homme peut compter sur ses propres forces pour trouver le chemin, sinon du salut, du moins du progrès et de la justice, et qu'il n'est pas indispensable de se fier exclusivement à Dieu et aux pouvoirs en place.

L'idée, politiquement, comporte des implications à la fois humanistes (au sens de la confiance dans les pouvoirs de l'homme) donc révolutionnaires, ou du moins émancipatrices : l'homme peut trouver la justice et redevenir bon, «vertueux», faire son salut par les propres moyens, il peut ainsi s'affranchir de toutes les tutelles religieuses, politiques, sociales et morales.

L'ordre établi se sent dès lors menacé, et si Rousseau conteste l'idée réformée d'un salut par la foi opposé au salut par les œuvres, il retrouve aussi certains accents protestants dans le défi lancé par la Réforme, Luther puis Calvin, aux autorités théologiques et politiques en place.. »

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