L’ÊTRE HUMAIN DOIT-IL CHERCHER À DOMINER LA NATURE ?
Publié le 25/04/2022
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L’ÊTRE HUMAIN DOIT-IL CHERCHER À DOMINER LA NATURE ?
D’un côté, puisque la nature est une entité dangereuse, voire hostile à l’homme, il paraît légitime de considérer que l’être humain doit, par
l’usage d’outils et de machines, utiliser ses connaissances et ses moyens technologiques pour dominer la nature et la soumettre à ses propres
fins.
Mais d’un autre côté cette attitude n’est pas sans dangers.
Elle conduit à l’exploitation, voire à la surexploitation, des ressources
naturelles ; et elle réduit la nature à un ensemble de ressources à exploiter – ce qui appauvri notre rapport à la nature.
I.
Dominer la nature constitue pour l’homme une nécessité et une obligation :
A/ La domination de la nature permet à l’homme d’assurer sa survie
A : La nature est hostile à l’être humain, ou a tout le moins elle s’est montrée avare avec lui : elle ne l’a pas dôté de tous les instrument
nécessaires à sa survie.
L’homme n’aurait ainsi pas pu survivre sans tous les outils et artefacts qu’il a fabriqués tout au long de son histoire.
C’est donc pour compenser sa faiblesse initiale face à la nature, que l’homme a dû devenir un être technicien (un « toolmaking animal »
selon l’expression de Benjamin Franklin), et dominer cette nature hostile qui lui faisait face.
C’est pour ne pas être dominé par elle que
l’homme doit chercher à la dominer.
E : Dans le mythe de Prométhée, on raconte que les hommes étaient – suite à l’oubli d’Epiméthée dans la distribution des qualités aux
différentes créatures – les plus faibles de toutes les créatures, puisqu’ils ne possédaient aucun moyen de survie.
Comme on peut le lire dans le
Protagoras : l’homme est nu, sans chaussures, ni couvertures, ni armes.
» Prométhée a alors offert aux hommes le feu et l’inventivité
technique, qu’il a volés aux dieux, et qui va rendre les hommes semblables aux dieux.
Grâce à ce don, les hommes ont pu se défendre contre
la nature et assurer leur survie.
B/ C’est même un impératif moral que de soumettre la nature à nos besoins
A : De plus, la nature contient des ressources naturelles qui ne sont pas immédiatement accessibles à l’être humain.
A nouveau, la nature ne
semble pas avoir en vue le confort de l’espèce humaine : elle ne nous livre ses secrets que sous la torture de l’expérimentation, ainsi que le
comprendront les pères de la science moderne à partir des 16 e et 17e siècle.
Il a donc fallu à l’homme dominer la nature pour pouvoir la
connaître, et en retour la soumettre à nos besoins – ce qui revient à s’en rendre « comme maître et possesseur », pour reprendre le célèbre mot
de Descartes dans son Discours de la méthode.
E : Les Mayas ont par exemple inventé de nouvelles variétés de plantes (comme le maïs) pour qu’elles correspondent exactement à leurs
besoins.
Aujourd’hui, les progrès dans le domaine de la génétique permettent de mettre au point des OGM (organismes génétiquement
modifiés) plus résistants à certaines maladies ou pouvant être cultivés dans des lieux hostiles.
Mais cette domination de la nature ne peut-elle pas se retourner contre l’homme ?
II.
La domination de la nature est porteuse de dangers pour l’homme lui-même
A/ La technique grâce à laquelle l’homme domine la nature semble lui échapper :
A : En cherchant à dominer la nature, l’être humain risque de déclencher des processus qu’il ne peut plus maîtriser – comme le montre
toujours le risque de l’incident nucléaire.
D’autant que l’appât du gain et la quête de profit risquent de pousser les êtres humains dans une
course en avant à l’invention technologique dont on ne voit pas ce qui pourrait l’arrêter… On peut ainsi se demander si l’homme a encore le
contrôle du progrès technique : ce dernier semble devenu autonome, il obéit à sa logique propre – comme on le dit parfois : « on n’arrête pas
le progrès » !
E : Dans le mythe grec, Prométhée vole à Zeus, le roi des dieux, le fau sacré, pour le donner aux hommes.
On pourrait interpréter ce mythe
en disant que la puissance technique qui est donnée aux hommes n’est pas tout à fait à leur mesure : c’est une puissance divine, qui les
dépasse, et qu’ils ne sont donc pas toujours en mesure de maîtriser.
La figure du Prométhée enchaîné en haut du Caucase nous avertit ainsi
des risques qu’il y a à vouloir dominer à tout prix la nature.
B/ L’exploitation des ressources naturelles suppose aussi l’exploitation de l’homme :
A : De plus, le projet prométhéen mobilise toute les forces sociales au service de son ambition de dominer la nature : elle requiert une
organisation sociale en vue de cette finalité.
C’est ainsi que l’exploitation de la nature implique également une exploitation de l’homme luimême, qui va travailler pour produire – mais dont le travail lui-même va de plus en plus être réduit au rang d’une simple marchandise.
C’est
ce que Karl Marx dénonçait au 19e siècle : la société industrielle réduit l’ouvrier à un simple rouage de la machine – il est déshumanisé, ou
encore « aliéné ».
E : Dans le film Les temps modernes, le personnage de Charlot (Charlie Chaplin) travaille dans une usine ultra automatisée, et accomplit des
tâches mécaniques, jusqu’à devenir lui-même une simple extension de la machine, un robot.
L’usine l’a dépouillé de son sens critique,
autrement dit de son humanité : le travail à la chaîne dépossède le travailleur de lui-même et de son travail.
Comment repenser alors nos rapports avec la nature ?
III.
La domination de la nature ne constitue pas une obligation : il faut repenser nos rapports avec la nature.
A/ Le rapport de domination n’est pas le seul concevable.
A : Nos sociétés occidentales semblent s’être lancées dans un vaste projet de domination de la nature qui risque de se retourner contre elles.
Mais, à côté de cette vision « prométhéenne » du rapport de l’homme à la nature, on peut aussi distingue une vision que Pierre Hadot a
nommée « orphique » de ce même rapport.
Cette dernière ne considérera pas la nature comme hostile, mais plutôt comme un mystère auquel
l’homme peut peu à peu être initié.
Il s’agira ici alors de respecter la nature et ses secrets, sans chercher à la vaincre et à la dominer par tous
les moyens.
E : Ainsi, l’ingénieur et savant de la Renaissance Léonard de Vinci, célèbre pour ses inventions mécaniques, s’est aussi efforcé de
comprendre la nature et d’en dévoiler les secrets grâce à ses dessins préparatoires et ses esquisses – adoptant ainsi une attitude d’observation
respectueuse et admirative de la nature.
S’il songe à construire une machine volante, il commence par observer et dessiner le vol des oiseaux
pour en comprendre le fonctionnement.
B/ Vers un respect de la nature…
A : On peut ainsi envisager une attitude plus respectueuse de la nature, qui ne considère plus cette dernière comme un simple fond à
exploiter, dépouillée de toute dignité.
Car, comme le soulignait le philosophe allemand Hans Jonas dans son Principe de responsabilité
(1979) : « un appel muet qu’on préserve son intégrité semble émaner de la plénitude du monde de la vie, là où elle est menacée »! Ainsi,
l’être humain ferait partie d’un Tout qui a une valeur propre : Il a une responsabilité envers la nature et envers les génération futures.
E : Imaginons ainsi le dernier homme sur Terre, dont la seule certitude est qu’il est le dernier représentant de son espèce : aurait-il le droit,
moralement parlant, d’éliminer méthodiquement toutes les autres espèces avant sa propre disparition ? Vraisemblablement non… Cette
expérience de pensée, imaginée par le philosophe néo-zélandais Richard Routley montre ainsi que la nature semble ne pas avoir qu’une
valeur instrumentale (c’est-à-dire en fonction de son utilité pour l’être humain), mais peut-être bien une valeur intrinsèque (indépendament
de son utilité pour nous)..
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