L'éthique: LA PHILOSOPHIE DU BONHEUR
Publié le 13/05/2016
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pragmatique. Pour Descartes (1596-1650), la morale doit répondre aux mêmes exigences que les autres éléments de son système. Elle doit reposer sur des fondements certains, rendus seuls possibles par une progression rationnelle rigoureuse. Mais cette nécessité entre en conflit avec ses visées pratiques et immédiates : c'est pourquoi Descartes développe, dès Le Discours de la Méthode, l'idée d'une morale par provision -autrement dit une morale provisoire-, soit un ensemble de règles simples destinées à nous aider à adopter une attitude raisonnable en toute situation.
Cette éthique par défaut préconise notamment le conformisme social et la modération, dont l'expérience nous montre qu'ils facilitent l'existence. La morale véritable, quant à elle, constitue l'ultime moment du cartésianisme. Elle fait d'ailleurs l'objet du dernier livre de Descartes, Les Passions de l'âme. Pour le philosophe, les passions -admiration, amour, haine, joie, tristesse-, qui matérialisent l’union de l'âme et du corps, ne sont pas mauvaises en soi. Mais il faut bien connaître leur nature afin de mesurer leur influence et de s'affranchir de leurs possibles conséquences néfastes. Dans la mesure où l'on parvient à leur donner une direction conforme à l'exercice de notre raison, les passions sont bénéfiques. Ainsi, l’éthique cartésienne préconise de délaisser les passions du corps pour leur préférer celles du domaine spirituel, par nature plus à même d'être gouvernées par la raison et, parmi elles, la plus haute de toutes, la passion suprême : l'accomplissement de ce que l'on croit être agréable à Dieu.
«
un premier renversement.
Selon K11nt {1724-1804), seule l'intention peut être
définie comme absolument bonne .
La morale ne saurait en aucun cas résider dans les actions , dont aucune n'est intrinsèquement bonne , puisque tout ce que nous possédons et produisons , y compris dans la sphère de la pensée, peut être utilisé à mauvais escient ou du moins , à terme, se révéler mauvais.
Le bien est donc le domaine de !'•intention pure >~.
De la même manière , la loi morale , que chacun est libre de suivre ou non, est une détermination a priori de notre esprit.
Elle n'a pas de modèle empirique et précède toutes ses représentations sensibles.
Cette loi se présente à la raison sous la forme d 'une exigence inconditionnelle, un devoir, le célèbre «impératif catégorique, kantien , dont le sujet pensant doit s'assurer qu'il souhaiterait que la maxime qui le gouverne soit valable pour tous , à la manière d 'une loi universe lle.
l'impératif catégorique instaure ainsi l'autonomie d 'une volonté humaine libre, puisque génératrice de sa propre loi morale .
LA CONDITION HUMAINE
LEs STOICIENS : UNE tTIIIQUE
catégorie .
À l'inverse, la fortune , les honneurs ou la mort , sur lesquels il n 'a pas de prise , doivent le laisser indifféren~ car tenter d 'agir sur eux provoque des souffrances inutiles .
l'homme doit donc admettre sa finitude e~ pour vivre bien , opérer des choix conformes à sa nature universelle .
Souvent à tort jugé pessimiste , le stoïcisme invite plutôt à une résignation positive: il s'agit pour l'homme en quête de bonheur de connaître et d'accepter sa condition .
SPINOZA: L'HARMONIE n L'htRNirt l'éthique spinoziste a pour point de départ la place de l'homme par rapport au cosmos et à son ordre immuable .
D'après Splnoz11 (1632 -
1677 ), le monde est constitué d 'une seule substance infinie, Dieu ou la nature -c'est ce qu'on appelle une conception moniste du monde- , et c'est la connaissance de cette substance qui est le salut de l'homme.
Dans son tthique, le philosophe décrit les trois étapes du chemin intellectuel qui conduit à la sagesse et à la vertu.
Dans un premier temps, l'homme doit acquérir l'idée de sa nature propre , celle d 'un être fini et singulier .
Il se perçoit ensuite dans cette universelle nécessité qu'est la nature ou Dieu .
l'ultime connaissance ==:,=~=-- -.,..,.---:-,.---l intervient quand il parvient à transfigurer son individualité
et non le plaisir , comme principe du bonheur.
l'homme vertueux est celui qui fait usage de sa raison pour ._.
_____ ....., distinguer ,
d'une part , ce qui dépend de lui -et peut donc faire l'objet d'un jugement moral- e~ d'autre part, ce qui échappe à son contrôle- et pour cette raison n'est ni bon ni mauvais .
Les actions , les pensées ou encore les désirs, appartiennent à la première
et sa finitude pour se concevoir comme partie de cette substance éternelle et infinie .
Celui qui parvient à s'envisager sous cette perspective est heureux, car il sait que ses souffrances et ses peines sont relative s: elles ne sont que les résultats du cours universel de la nature .
La vertu consiste alors à favoriser la tendance fondamentale du sujet à persévérer dans son être.
SCHOPENHAUER: L'tTIIIQUE DU RENONCEMENT Schopenh11uer {1788-1860) élabore son éthique en opposition à la morale rationnelle kantienne .
Pour lui, le monde est gouverné de manière destructrice et incohérente par une force aveugle, absurde , sans raison ni fin: la volonté.
Cette volonté est le mal inhérent à l'exis tence et la cause de toutes les souffrances humaines: l'homme conscient de l'absurdité de sa vie est
un être nécessairement malheureux .
Pour échapper à cette condition et atteindre l'ataraxie , l'homme doit nier tout désir , tout vouloir-vivre , c'est-à-dire se soust raire à tout rapport aux choses.
En se libérant de ce principe destructeur qu'est la volonté, l'homme devient sage et a pitié de ses semblables .
Ce sentiment est précisément celui sur lequel repose la moralité : c'est la pitié , et non les commandements de la raison pratique kantienne , qui incite l'homme à agir moralement.
Philosophe de l'absurde , Schopenhauer propose ainsi une éthique pessimiste , très inspirée de la pensée hindoue : libéré de l 'action nocive de la volonté et de la tyrannie de ses désirs, l'homme vertueux est un ascète qui, telle sage hindou , accède enfin à la quiétude .
SAIITRE: LA UBUrt n L'ENGAGEMENT l'inverse de Schopenhauer, Sllrtre 1980) invite à s 'engager dans
le monde en vue de le transformer .
l'homme est un être condamné à être libre et il est responsable du sens qu'il donne à sa vie.
Conformément à l'assertion qui fonde l 'existentialisme , selon laquelle l'existence précède l'esse nce, l'homme est avant tout un homme qui se construit: ce n 'est qu'au terme de son existence que l'on peut définir ce qu'il est.
Il n 'existe aucune définition a priori de la nature huma ine: l'homme est ce qu'il lai~ dans le monde et face à une situation donnée .
Et même si ce monde est hostile et cause de souffrances , l'homme doit l'affronter tel qu'il e~ et s 'y engager pour le bouleverser et le transformer .
Il doit adopter une attitude résolument active pour le rendre meilleur .
Cette éthique révolutionnaire suppose un engagement total de chaque homme dans l'activité sociale et politique .
De cette man ière, l'homme donne sens à son existence et devient vertueux .
Il est un être libre , responsable de ses actes qui, en s'engageant, engage l'humanité tout entière.
LES CRITIQUES DE L'ÉTHIQUE
LE SCEPTICISME À l'instar de l'épicurisme et du stoïcisme, le scepticisme admet que l 'homme peut atteindre le bonheu r ou l'ataraxie .
Toutefois , il s'oppose à ces éthiques en refusant l'Idée d 'un quelconque principe directeur.
Pour le sceptique , toutes les proposit ions qu'offre la raison sont équivalentes: il n'y a pas lieu de préférer l'une à l'autre .
Le plaisir épicurien et la vertu stoïcienne ne correspondent à rien.
Ce sont
des positions dogmatiques , des affirmations purement arbitraires de la raison , que l'homme doit éviter .
En refusant ces illusion s du dogmatisme et ces faux choix de la raison, il adopte alors une attitude d'Indifférence par rapport à toute chose et à tout problème , et se libère ainsi de toute souffrance .
C'est ce qu'expose Sextus Empiricus (11'-111' siècle) dans ses Hypotyposes pyrrhoniennes .
Selon lui, toutes les théories classiques du bonheur , du bien et du mal, ne sont que des théories arbitraires et vides de sens.
Est sage l'homme qui atteint le bonheur dans une perspective d'«époché>~ , c 'est-à-dire en refusant les certitudes de la raison comme celles de la sensation.
Le scept icisme a marqué l'histoire de la philosophie : Kant et Descartes , notammen~ ont construit leur propre éthique en réponse à cette doctrine.
LA CRmQUE OBIECTIVE DE HEGEL Dans Les Prindpes de la philosophie du droit , ,., (1770- 1831 ) critique la morale , et plus particulièrement la morale du devoir kantienne, qu'il définit comme purement formelle .
Selon lui, la morale de la raison pratique pêche par son subjectivisme : trouvant son fondement dans la raison du sujet pensan~ elle échoue à saisir les exigences d 'ordre supérieur , c'est-à-dire universelles et nécessaires .
Elle débouche ainsi sur une éthique relativiste , sans contenu véritable .
Pour Hegel , la •vie éthique>~ est ancrée dans le social, le politique et l'économique .
À la subjectivité de la loi morale du sujet kantien , soi-disant universelle et rationnelle , il oppose la rationalité objective de la morale d'État.
l'obéissance à la loi est une manifestation objective, et non plus subjective , de l'esprit Seule l'éthique de l a vie sociale incarne de manière implicite et collective la morale véritable.
l'esprit objectif est cette transmutation du monde par l'esprit même , qui donne naissance à toutes les institutions juridiques, morales ou politiques .
LA nmQuE MARXIm M11rx (1818- 1883) et Engels (182o-
1895) ont vivement critiqué la morale en dénonçant son caractère répressif et sa fin supposée: maintenir l'ordre dans une société bourgeoise et un système capitaliste .
Ils dénoncent l'hypocrisie morale
d'un tel système, qui méprise les masses et le prolétar iat sous couvert d 'une morale bourgeoise mensongère .
Selon eux, la bonne conscience bourgeoise n'a qu'un but: masquer la réalité de l 'exploitation de l 'homme par l'homme .
Elle n'est que l'un des instruments qui permet à la bourgeoisie de faire perdurer sa domination sur les pauvres , d'asseoir la légitimité d'une société purem ent capitaliste , tout en se donnant une bonne image d'elle-même.
À cette morale hypocrite , Marx et Engels opposent une morale révolutionnaire prête à se mettre au service des masse s, vertueuse et exigeante dans l'abnégation .
Cette morale révoluti onnaire se veut essentiellement égalitaire et non répressive .
l'éthique soci aliste de Marx et Engels préfigure donc, dans une certaine mesure, l'existentialisme de Sartre: l'engagem ent politique et social doit permettre l'avènement d'un monde nouveau .
LA nmQUE LOGIQUE DE WmGENmiN Dans son Tradotus Jogico-phi/osophicus , le philosophe et logicien Wittgenstein (1889-1951) élabore un système selon lequel toute proposition logique est une tautologie , c'est-à-dire qu'elle reste vraie en vertu de sa forme seule, quelle que soit la valeur des vérités qui la composen~ et ne renvoie à rien d 'autre qu'à elle-même .
Or l'éthique est un système de propositions qui s'apparente à celui de la logique .
Posant leurs concepts -le Beau, le Bien- pour elles-mêmes , les doctrines éthiques sont purement autodésignatives.
Elles ne parlent que d 'elles-mêmes et sont donc vides de sens.
Cela ne revient pas à dire que l'éthique profère des non-sens qu'elle ne « dit» rien , puisqu e «dire )• suppose de «désigner des objets empiriques extérieurs"· Or, le philosophe est formel : «Ce que l'on ne peut pas dire, il faut le taire .
., En mettant en lumière la nature logique de la réflexion éthique , Wittgenstein entend donc démontr er son impossibilité même .
L1THIQUE AWOUID'HUI
Contrairement aux autres branches de la philosophie trad itionnelle, constituées en sciences à part entière ou progressivement tombées en désuétude, l'éthique a conservé sa spécificité .
Mieux, l'accélération du progrès technique , ces cinquante dernières années, l'a remise sur le devant de la scène .
Aujourd'hui, l'éthique est convoquée, par l'intermédiaire des fameux •comités d'éthique• , dans des domaines aussi divers et complexes que la médecine ou l'économie .
Les débats que suscitent l'euthanasie, le clonage humain, le développement durable ou le commerce équitable témoigne~ si besoin est.
de la nécessité impérieuse pour l'homme de réfléchir sur les moyens et les fins de son activité..
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