L'État Doit-Il Se Soucier De La Vertu De Ses Citoyens ?
Publié le 21/01/2013
Extrait du document
L’on vient alors à penser une difficulté à laquelle l’Etat peut se heurter, et dont il doit se soucier. Il doit y
avoir une cohérence entre ces flûtistes et ces fabricants de flûte. L’enjeu est non seulement la légitimité
de l’Etat, mais également le souci de puissance de l’Etat. Celui-ci ne doit donc en aucun cas se heurter,
ou aller à l’encontre des vertus et même des vices de ses citoyens. En ce que la vertu et le vice sont des
habitudes, des règles de vie, des valeurs, elles sont des moeurs. Ces mêmes moeurs doivent se refléter
sur les lois, et être en concordance. Montesquieu écrit dans ses Considérations sur les causes de la
grandeur des Romains et de leur décadence, au chapitre 11 : « Choquez leurs coutumes, c’est toujours
une marque de mépris «. Si l’Etat ne se soucie pas de ces moeurs, elles sont effectivement méprisées.
Leur importance est considérée comme faible voire nulle. Ceci n’a pour effet que de créer une distance
ou une disharmonie entre le corps gouvernant et le corps gouverné. En perdant sa fonction
représentative, le gouvernant perd également sa légitimité. D’un autre côté, les moeurs sont le principe
dynamique de tout acte. Toute volonté est conditionnée par la sphère privée, par cette articulation de
règles et de valeurs que sont les moeurs. Dans de l’esprit des Lois au chapitre I, Montesquieu écrit que
les lois « sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses «.
«
la vertu, qu’en est-il du cas où le crime deviendrait vice ? L’acte criminel, particulier, singulier, deviendrait
une tendance, un comportement habituel à produire des actes criminels.
Alors que le criminel peut se
repentir, regretter, espérer pouvoir réparer son crime et s’en donner les moyens, le cas du « vicieux » est
beaucoup plus problématique.
Il n’a pas à se repentir d’un acte particulier, mais d’un comportement,
d’une habitude, d’une personnalité.
A partir de là, il ne faut pas oublier que le vice est certes l’habitude à
faire le mal, pour ainsi dire, mais surtout l’habitude à vouloir faire le mal.
Non seulement il est difficile de
remettre en question des habitudes, toute une personnalité, mais la difficulté accroît encore s’il s’agit
d’empêcher quelqu’un à toujours vouloir faire le mal.
De plus, la probabilité de récidive n’est pas la même
entre un criminel et un « vicieux ».
Si le criminel peut récidiver, sa récidive est contingente, le « vicieux »
quant à lui récidivera nécessairement.
Avec de tels éléments, on tombe très vite dans une diabolisation
de l’individu considéré comme vicieux.
C’est un adversaire, quelqu’un qui va nécessairement, et même
naturellement, contre les gens qui veulent le bien.
Il est donc une terrible menace, puisqu’il est
fondamentalement mauvais.
On tombe très vite dans une superstition violente, où l’on chercherait à
expliquer cela, à chercher l’origine du mal ainsi que ses symptômes.
Certains groupes ou communautés
sont alors stigmatisées.
Historiquement,
on peut parler des prostituées, des homosexuels et des fous pendant le « grand enfermement » du XVIIe,
les juifs pendant la Shoah, ou encore les communistes traqués par la commission de McCarthy dans les
années 50.
Si l’Etat accorde sa force dans cette stigmatisation, les individus concernés sont déchus de
leurs droits civiques et tout simplement exclus des gens « normaux ».
Dans les Origines du totalitarisme,
livre I : l’Antisémitisme, III Les juifs et la société, III Entre le vice et le crime, Hannah Arendt explique que
si être juif était considéré comme un crime, il a ensuite été considéré comme un vice pendant les
évènements de la seconde guerre mondiale.
Le judaïsme devient ainsi la judéité.
Si être juif est un crime,
alors le concerné peut encore se reconvertir.
Mais si être juif est un vice, cette condition n’offre aucun
échappatoire.
En somme, si l’Etat mène une politique d’exclusion à partir de ce qui est considéré comme
vicieux, il manque à son devoir de justice et de morale.
Qu’il s’agisse de considérer le crime comme vice ou le vice comme crime, l’Etat ne doit pas prêter son
pouvoir à ces considérations.
Il ne doit ni punir le vice comme s’il punissait un crime, ni suivre une logique
d’exclusion du vice.
Dans les deux cas, l’on a cherché à bannir le vice en faveur de la vertu.
L’Etat doit
peut -être alors forcer la vertu, ou utiliser son pouvoir pour créer de la vertu sans pour autant réprimer le
vice.
Peut-être doit-il simplement favoriser ou récompenser la vertu
de ses citoyens.
Peut-être doit-il inciter ou forcer ses citoyens à être vertueux.
Pourquoi ? D’une part
parce que les citoyens seuls manquent de vertu, d’autre part parce que la vertu est utile.
La vertu peut
avoir l’effet de réparer des inégalités.
Prenons comme exemple le don.
Dans la mesure où le don est le
fait d’offrir sans contrepartie, il est vertueux.
C’est à la foi un don de soi, ainsi qu’un exemple pour les
autres.
Le geste est gratuit, et l’auteur n’a donc pas à espérer une compensation ou un retour.
Pour
compenser certaines inégalités économiques, l’on peut penser au don.
L’Etat pourrait motiver ces dons.
Soit en allégeant leur coût.
Par exemple en France, un certain pourcentage du montant du don est
déductible de l’impôt sur le revenu.
L’Etat peut également forcer ce don, le rendre obligatoire, tant qu’il
s’agit au final de réparer une injustice ou une inégalité.
L’impôt permet non seulement de financer
certaines institutions, mais aussi d’appauvrir une partie des citoyens en faveur d’une autre, et donc de
diminuer une inégalité économique et sociale.
C’est une charité contrainte.
Néanmoins on ne peut
contraindre au don, ou alors le terme de « don » cesserait de pouvoir être employé.
L’initiative
personnelle qui est à la fois dans la vertu et dans le don est totalement niée.
Robert Nozick, dans
Anarchie, Etat et Utopie, développe la théorie de l’habilitation, théorie des droits de propriété qui se
décline sur trois principes.
Selon les deux premiers principes, la propriété
obtenue justement peut être librement transférée.
Ce faisant, l’Etat ne peut pas légitimement s’approprier
les propriétés et les droits d’un particulier.
Il y a violation des droits.
L’Etat ne doit pas jouer avec les droits.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- La patrie ne peut subsister sans la liberté, ni la liberté sans la vertu, ni la vertu sans les citoyens ; vous aurez tout si vous formez des citoyens ; sans cela vous n'aurez que de méchants esclaves, à commencer par les chefs de l'État.
- L'argent est plus vil que l'or, et l'or que la vertu
- vertu et Montaigne texte
- Mémoire sur la vertu
- Microcosme et Délie, objet de plus haute vertu