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Les romantiques voyaient dans l'affectivité le facteur essentiel du travail créateur. Pourtant, Diderot nous dit : « Les grands poètes, les grands acteurs, et peut-être en général tous les grands imitateurs de la nature sont les êtres les moins sensibles. » Que pensez-vous de cette opposition ?

Publié le 10/10/2009

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CONSEILS PRELIMINAIRES    1. Le sujet exige une certaine culture, une connaissance assez approfondie des théories esthétiques du XVIIIe et du XIXe siècles, connaissance qui d'ailleurs ne dépasse pas les possibilités d'un bon élève. Il reste préférable, pour ne pas s'engager dans un contre sens à propos de la formule de Diderot, d'avoir lu le «Paradoxe sur le Comédien«.  2. Pourtant, il convient d'éviter les développements purement littéraires. Le sujet précise que la question posée reste le rôle de l'affectivité dans le travail créateur et Diderot restreint encore le problème en indiquant qu'il faut entendre l'expression « travail créateur « dans le sens esthétique (poètes, acteurs, artistes).    L'œuvre du génie et même celle du talent, parce qu'elle a le pouvoir même de la vie, parce qu'elle émeut et inspire des idées, procure au profane — ou à celui qui se croit tel, un étonnement quasi religieux, un respect. Il est tenté de penser que l'homme qui a cet étrange pouvoir est quelque chose de plus qu'un homme, ou même quelque chose d'autre. Le mot « génie « renvoie d'ailleurs au concept d'un être intermédiaire, quelqu'un de moins puissant qu'un dieu, mais de plus valable qu'un homme.  Cette tentation se retrouve jusque dans la critique littéraire et elle est compréhensible dans une certaine mesure. Le critique tente d'expliquer pourquoi telle œuvre touche à partir des lectures de l'auteur par exemple, ou de sa vie ou de ses origines. Mais beaucoup d'autres hommes, beaucoup d'autres auteurs ont eu une vie aussi agitée, beaucoup ont lu les mêmes livres sans atteindre à cette clarté, à cette persuasion que nous admirons chez Balzac ou Tolstoï. Alors le critique s'en tire lui aussi, par le mot « génie « qui constate une supériorité mais ne l'explique pas. Les littératures françaises qu'on utilise dans les classes, à côté d'explications historiques et utiles, abondent en constats de ce genre qui se bornent en quelque sorte à tenir compte de ce qui est inexplicable.  Ce caractère mystérieux de l'œuvre d'art a permis à certains théoriciens de l'esthétique de renvoyer le génie créateur à l'affectivité qui, par définition, est le pouvoir irrationnel et inexplicable. Nous retrouvons en particulier des positions de ce genre à l'époque préromantique et romantique, en France, en Angleterre ou en Allemagne. Le mouvement littéraire du « Sturm und Drang « (tempête et élan) se réfère aux puissances irrationnelles du rêve et de la folie ; en France, Lamartine indique dans divers commentaires joints à ses méditations qu'il a écrit telle ou telle pièce de vers comme sous la dictée, le visage couvert de larmes. Et Musset écrit le vers célèbre :  « Ah, frappe-toi le cœur ; c'est là qu'est le génie. «

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« Ces mots ont une grande importance.

Tout d'abord Diderot indique clairement qu'à son avis on ne saurait être ungrand artiste sans imiter la nature.

Donc l'imagination créatrice pour lui ne crée pas de toutes pièces, à partir derien, mais elle crée à partir du réel, elle est une « imitation créatrice », elle n'est invention, création que parcequ'elle commence par imiter.

De plus, la formule employée par Diderot pose la nécessité d'un contrôle, d'unehiérarchie des valeurs qui ne peut venir que de l'intelligence.

En effet, si créer, c'est imiter la nature, la création nepeut plus être considérée comme une extase où l'artiste laisse parler en lui une voix dont il se borne à transcrire lestransports.

Imiter, et bien imiter est d'abord un travail.

Il faut comprendre, et pour comprendre, savoir.

Exposant leproblème à propos du comédien, Diderot éclaircit l'apparent «paradoxe».

A la rigueur, le hasard peut inspirer àl'artiste tel trait qui touche et emporte d'adhésion : mais une émotion durable, qui persiste tout au long d'une œuvred'une certaine envergure ne saurait être obtenue par chance.

Cette nécessité de la lucidité, du contrôle serasouvent reprise par la suite, en particulier sur le plan de l'effort technique.

A propos de « la Jeune Parque » Valéry,par exemple, déclare qu'un dieu nous donne pour rien le premier vers, mais que les suivants sont l'œuvre du travail.Il faut remarquer que la réflexion de Diderot va beaucoup plus loin.

Elle ne se borne pas à insister sur la nécessité del'effort, de l'application aux problèmes propres au métier d'artiste, elle insiste aussi sur l'intelligence et lacompréhension que l'artiste doit réserver à la nature qu'il imite, car la nature est vaste et multiple.

L'artiste doitchoisir avec circonspection les objets de sa peinture et les choisir de telle façon qu'ils ne cessent de signifierl'ensemble.

Il devra choisir ceux qu'il peut peindre (en fonction de ses possibilités propres et élargir ces possibilitésen augmentant sa culture, et aussi par l'acquisition d'une expérience humaine toujours plus large).

Il choisira aussiceux qu'il doit peindre, compte tenu du fait que l'artiste, précisément parce qu'il retient l'attention, convainc etpersuade, a un rôle social à jouer.

Ainsi Diderot, à la fin de sa vie, explique à Helvétius que bon gré mal gré, il n'apas toujours écrit les livres qu'il aurait voulu écrire, mais de plus en plus écrit ceux qu'il fallait écrire, les livres quelégitimement pouvaient attendre de lui ceux qui avaient placé en lui leur confiance.

Aussi bien, nous pouvons, dansune perspective historique, situer Diderot dans la grande tradition du réalisme français qui au siècle suivanttriomphera avec Balzac et Stendhal.

Diderot est réaliste non seulement parce que son esthétique s'oriente vers leréalisme et le professe clairement, non seulement parce que ses personnages vivent et semblent sans cesse tirés dela réalité mais aussi et surtout parce que tous les problèmes précis de son époque l'ont concerné et qu'il n'a refuséde participer à aucune des grandes luttes de son temps.

Il a accepté sans hésitation toutes les charges de safonction d'intellectuel et a lutté contre l'arbitraire pour l'avènement d'une liberté que les perspectives de sonépoque, d'ailleurs, ne lui permettaient pas d'apercevoir clairement. La position romantique et la critique anticipée qu'en fait Diderot nous permettent d'esquisser le schéma de ce quepourrait être l'imagination créatrice.Il a été de tradition, dans les études de Taine ou de Ribot par exemple, de la définir par des « constellationsassociatives », des regroupements d'images ou de sensations dont on tentait de retrouver des exemples dans telleou telle œuvre d'art.Peut-être est-il préférable, avant de disputer des formes que peut prendre le pouvoir créateur, de rappeler sasignification et son objet, comme le fait Diderot.

L'imagination créatrice est une faculté dont l'homme dispose àl'exclusion de tout autre animal.

Cette faculté n'est pas et ne peut pas être un don gratuit, la disposition d'une «finalité sans fin », mais au contraire elle prend sa source dans la vie de l'homme et y aboutit.

Elle est imitation de lanature, en donnant à ces mots leur sens le plus vaste.Sur le plan psychologique, comment la création peut-elle être imitation ? Ces deux mots semblent contradictoires.En réalité, ils ne le sont pas.

L'acte de l'intelligence ne consiste pas à substituer au réel des éléments abstraits qu'ilne contient pas ou qui lui sont absolument étrangers, mais à « restructurer » les éléments fournis par les organes «analyseurs et synthétiques » de nos sens en des formes, des synthèses plus cohérentes, plus claires et qui rendentmieux compte du réel.

Ainsi s'éclaire le paradoxe apparent qui s'était peu à peu dégagé de notre analyse et suivantlequel il ne saurait naître rien de nouveau qu'à partir de l'ancien.

L'imagination est créatrice précisément parcequ'elle dégage de l'usuel des éléments qui nous permettent une compréhension plus profonde du monde, une maîtriseplus complète du réel, — compréhension et maîtrise qui sont nouvelles.Sans doute l'affectivité joue-t-elle un rôle très grand dans ces « restructurations ».

C'est en effet à partir de sesbesoins que l'homme oriente son action dans le monde.

Mais le besoin, les tendances, les instincts restent despuissances obscures qui ne sauraient nous permettre une investigation valable, ni une « imitation de la nature » ausens où Diderot entend ces mots.

Il importe donc que les créateurs apprennent à devenir les êtres les moinssensibles.

L'expression de Diderot, sur ce point, est d'ailleurs ambiguë.

Il est peu probable que l'auteur du « Neveude Rameau » et de la « Lettre sur les aveugles », œuvres frémissantes de sensibilité, d'ironie et d'indignation fassele procès de la sensibilité.

Il semble vouloir dire seulement que la seule sensibilité qui « porte », qui a des chancesd'éveiller celle du lecteur est une sensibilité que l'artiste a su maîtriser et qui évite la sensiblerie.

L'intérêt de cetteconception est multiple : le rôle du travail, du métier, qu'on aurait tendance à oublier un peu quand il est questiond'art, est rappelé avec force.

L'artiste est pour ainsi dire ramené à sa dimension humaine.

En tant qu'homme, il esttenu de ne point se perdre en vaines fictions et doit « imiter la nature », c'est-à-dire parler des choses quiintéressent les hommes.

Et il ne peut parvenir à être vraiment un artiste que dans la mesure où il est vraiment unhomme, c'est-à-dire où il comprend lucidement le monde qui est le sien.

Il doit « être là » et être « au monde ».Ces divergences théoriques sur le travail créateur s'expliquent d'abord par la complexité des problèmes qui setrouvent posés.

Mais plus encore, elles renvoient à des courants de pensée et à des époques qui dans l'art et dansla création ne pouvaient et ne voulaient voir que tel élément ou tel aspect du problème.Pour le premier romantisme, celui des années 1819-1822 en France, par exemple, l'art a la mission sinon de nousfaire oublier le monde, du moins de constituer une protestation contre lui.

Le poète du mal du siècle comme l'indiqueThibaudet, est un « épigone » ; il arrive trop tard sur terre, au moment où l'épopée napoléonienne n'est plus qu'unsouvenir et où la révolution, cette montagne, n'a accouché que de la souris «bourgeoisie».

Le créateur éprouve la. »

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