Les rapports nécessaires dérivant de la nature des choses - MONTESQUIEU
Publié le 06/01/2020
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Au seuil de L’Esprit des lois, Montesquieu définit la loi en termes de rapport, de structure constante et réglée. Il s'agira pour lui de rapporter ces lois aux principes des différents gouvernements, au physique des pays, aux climats, aux mœurs, à la religion, au commerce... Plus rien n’est sans raison, pas même les décrets de Dieu.
Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ; et, dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois, la divinité a ses lois, le monde matériel a ses lois, les intelligences supérieures à l’homme ont leurs lois, les bêtes ont leurs lois, l’homme a ses lois.
Ceux qui ont dit qu’une fatalité aveugle a produit tous les effets que nous voyons dans le monde, ont dit une grande absurdité : car quelle plus grande absurdité qu’une fatalité aveugle qui aurait produit des êtres intelligents ?
Il y a donc une raison primitive ; et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les différents êtres, et les rapports de ces divers êtres entre eux.
Dieu a du rapport avec l’univers, comme créateur et comme conservateur ; les lois selon lesquelles il a créé sont celles selon lesquelles il conserve : il agit selon ces règles, parce qu’il les connaît ; il les connaît, parce qu’il les a faites ; il les a faites, parce qu’elles ont du rapport avec sa sagesse et sa puissance.
Comme nous voyons que le monde, formé par le mouvement de la matière, et privé d’intelligence, subsiste toujours, il faut que ses mouvements aient des lois invariables; et, si l’on pouvait imaginer un autre monde que celui-ci, il aurait des règles constantes, ou il serait détruit.
Ainsi la création, qui paraît être un acte arbitraire, suppose des règles aussi invariables que la fatalité des athées. Il serait absurde de dire que le créateur, sans ces règles, pourrait gouverner le monde, puisque le monde ne subsisterait pas sans elles.
Ces règles sont un rapport constamment établi. Entre un corps mu et un autre corps mu, c’est suivant les rapports de la masse et de la vitesse que tous les mouvements sont reçus, augmentés, diminués, perdus ; chaque diversité est uniformité, chaque changement est constance.
Les êtres particuliers peuvent avoir des lois qu’ils ont faites : mais ils en ont aussi qu’ils n’ont pas faites. Avant qu’il y eût des
«
êtres intelligents, ils étaient possibles ; ils avaient donc des rap
ports possibles, et par conséquent des lois possibles.
Avant qu'il
y eût des lois faites, il y avait des rapports de justice possibles.
Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de
cercle, tous les rayons n'étaient pas égaux.
MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, Livre 1, chap.
1, GF n°325, pp.
123-4.
POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE
Lorsqu'il parle de lois, Montesquieu ne formule pas de
normes, ne souligne pas l'acte d'une volonté, il décrit « les
rapports nécessaires qui dérivent de la nature des
choses ».
Il restitue une logique, il explore des structures, il
met à jour un ordre.
Le règne de la loi est universel, mais il
est de l'ordre de la description, plutôt que de la prescrip
tion.
La « raison primitive » elle-même n'agit pas en dehors
du dispositif universel des lois.
Avec ce concept de loi,
Montesquieu réduit l'arbitraire aussi bien dans l'acte créa
teur que dans les actions humaines{« J'ai d'abord examiné
les hommes; et j'ai cru que, dans cette infinie diversité de
lois et de mœurs, ils n'étaient pas uniquement conduits par
leurs fantaisies», Préface).
Montesquieu se place donc,
comme Cicéron {voir texte 6), dans la perspective du droit
naturel.
Il y ajoute un caractère de nécessité purement
géométrique, qui apparaît dans la comparaison finale du
texte, au détriment de ce que pouvait avoir de providentiel
le gouvernement de l'univers.
Mais Montesquieu est plus
pessimiste que Cicéron : « comme être intelligent,
[l'homme] viole sans cesse les lois que Dieu a établies, et
change celles qu'il établit lui-même ...
sujet à l'ignorance et
à l'erreur ...
sujet à mille passions » (Livre 1, 1 ).
C'est pour
quoi il a besoin de lois positives, afin de se rétablir par
l'emploi de sa raison dans un état de paix, qui est pour
Montesquieu la première loi naturelle.
Dès lors, « la loi, en
général, est la raison humaine, en tant qu'elle gouverne
tous les peuples de la terre; et les lois politiques et civiles
de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où
s'applique cette raison humaine » (1, Ill)..
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