Les premières inégalités (Discours sur l'Origine de l'Inégalité) - ROUSSEAU
Publié le 02/04/2011
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1re § Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique; en un mot, tant qu'ils ne 66 s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce indépendant : mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. 2re § La métallurgie et l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c'est l'or et l'argent ; mais pour le philosophe, ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain ...
3re § Dès qu'il fallut des hommes pour fondre et forger le fer, il fallut d'autres hommes pour nourrir ceux-là. Plus le nombre des ouvriers vint à se multiplier, moins il y eut de mains employées à fournir à la subsistance commune, sans qu'il y eût moins de bouches pour la consommer; et, comme il fallut aux uns des denrées en échange de leur fer, les autres trouvèrent enfin le secret d'employer le fer à la multiplication des denrées. De là naquirent d'un côté le labourage et l'agriculture, et de l'autre l'art de travailler les métaux et d'en multiplier les usages.
L'Académie de Dijon avait couronné le Discours sur les Sciences et les Arts le 9 juillet 1750. Trois ans plus tard, en novembre 1753, elle proposa pour son prix de morale le sujet suivant : « Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle ? « Rousseau décida d'aller méditer sur ce sujet en allant séjourner, avec Thérèse Levasseur, dans les solitudes, propices au recueillement, de la forêt de Saint-Germain. Le discours fut terminé en avril 1754; mais l'Académie, jugeant sans doute que les idées exprimées par Rousseau étaient trop audacieuses, ne lui accorda pas le prix. L'œuvre comprenait trois parties : • dans la première, Rousseau s'efforçait de déterminer ce qu'est l'homme à l'état de nature; • dans la seconde, il essayait d'expliquer par quel enchaînement et sous quelles influences cet état de nature s'était transformé pour donner naissance à l'idée de propriété et aux premières inégalités;
«
1° Déterminer ce qu'a pu être l'homme naturel.
2° Montrer comment et pourquoi se sont créées des inégalités que le temps a peu à peu consacrées.
Ce texte permet de voir comment il a envisagé ces deux problèmes et essayé de les résoudre.
Premier problème : l'homme naturel.
Les onze premières lignes résument toute la première partie du Discours : c'est l'évocation de cet être théorique :l'homme naturel, que Rousseau a essayé d'évoquer en remontant le cours des âges.
Il le situe dans son cadre,vivant dans des cabanes grossièrement construites, vêtu de peaux, ne connaissant d'autres outils que des épines,des arêtes ou des pierres tranchantes, d'autres armes que des arcs et des flèches, d'autre parure que des plumeset des coquillages, tirant sa subsistance de la chasse et de la pêche, déjà sensible à la beauté (grossiersinstruments de musique) mais, par dessus tout libre, sain, bon et heureux.
Rousseau a précisé lui-même, dans sa première partie, le sens de ces quatre adjectifs qui sont, à ses yeux, lestraits distinctifs de l'espèce humaine dans l'état de nature.
Dans cet état en effet :
• l'homme est libre, parce qu'il ne connaît d'autres contraintes que celles des forces naturelles ;
• il est sain parce que les maladies et les infirmités ne sont que le fruit de la civilisation et de la corruption desmœurs ;
• il est bon parce que sa vie n'offre à son innocence aucune occasion de mal faire et parce qu'il porte en lui la pitié,germe de toute moralité, qui, modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de soi-même, concourt à laconservation mutuelle de toute l'espèce ;
• il est heureux parce qu'un être libre dont l'âme est en paix et le corps en santé ne peut connaître la misère etparce que son seul instinct
trouve ce qu'il lui faut pour vivre (ainsi s'explique la restriction du texte : ils vécurent...
heureux, autant qu'ilspouvaient l'être par leur nature).
On ne saurait pourtant supposer que les hommes de la nature aient 85 vécu longtemps isolément.
Bien que, selonRousseau, la nature ait pris peu de soin à rapprocher les hommes par des besoins mutuels et peu préparé leursociabilité, des groupes se formèrent peu à peu et ils virent l'avantage qu'il y avait pour eux à vivre ainsi plusrapprochés les uns des autres.
On vit alors apparaître un embryon de société, un état intermédiaire entre labrutalité primitive et l'inégalité actuelle.
Mais, à l'origine, avant la constitution de ces groupes, ce ne fut qu'uncommerce indépendant, c'est-à-dire des relations d'égal à égal et assez lâches où chacun gardait sa liberté et neconnaissait de la vie que les douceurs.
L'homme sauvage, dira Rousseau dans une note de son Discours, quand il adîné, est en paix avec toute la nature et l'ami de tous ses semblables.
Tel est le tableau idyllique de l'homme des premiers âges que Rousseau nous donne dans son Discours sur l'origine del'Inégalité.
Il avait déjà esquissé cette peinture dans son Discours sur les Sciences et les Arts, mais il la complètedans son second Discours et y ajoute des considérations sur les raisons de son bonheur.
Que vaut cette peinture etsur quelles preuves se fonde-t-elle ?
Valeur de cette peinture.
Dans sa Préface, Rousseau a indiqué la difficulté de la tâche qu'il entreprenait car il s'agissait de démêler ce qu'il y ad'originaire et d'artificiel dans la nature actuelle de l'homme.
Pour y parvenir, deux méthodes s'offraient à lui :
• Ou bien faire appel à des hypothèses rationnelles1 et essayer de reconstituer l'homme primitif par desraisonnements capables de discerner et de déduire ce qu'il a dû être, en éliminant ce qui est l'œuvre de la vie civile,c'est-à-dire de la Société.
• Ou bien faire appel aux faits et édifier une construction historique pour déterminer ce qu'il a été, en tenantcompte d'une part des études scientifiques sur des événements dont on a retrouvé la trace, d'autre part des récitsdes voyageurs qui nous renseignent sur la vie des sauvages que n'a pas encore corrompus la civilisation.
Théoriquement, Rousseau a renoncé à la seconde méthode : il a prétendu laisser les faits de côté et formeruniquement des conjectures tirées de la seule nature de l'homme.
C'était se ranger du côté des philosophes qui,comme Diderot (Pensées sur l'interprétation de la nature), Condillac (Essai sur l'origine des connaissanceshumaines), Grotius (Droit de la Guerre et de la Paix), ou Puffendorf (Droit de la nature et des gens), avaient essayéde déterminer, par la seule voie de la déduction et du raisonnement, les diverses étapes qui avaient amené l'hommede la barbarie à la civilisation.
Pratiquement pourtant, et contrairement à ce qu'il affirme, Rousseau s'est solidementdocumenté auprès de ceux qui, comme Buffon, avaient étudié la vie de la Terre et des premiers hommesscientifiquement, en partant de documents matériels.
Il a lu également des ouvrages de voyageurs, comme l'Histoiregénérale des Antilles du Père du Tertre, qui nous ont fait connaître la vie des sauvages d'Amérique.
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