Les peuples heureux ont-ils une Histoire ?
Publié le 14/11/2005
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• Bien déterminer s'il s'agit d' « histoire « au sens de recherche historique, d'historiographie {Historié en allemand) ou d'histoire au sens de la « réalité historique « (Geschichte en allemand). Dans le cas où l'on retiendrait ces deux sens : d'une part bien les distinguer; d'autre part rechercher lequel de ces deux sens serait le plus significatif quant au sujet proposé. • L'histoire comme non-lieu du bonheur. Voir notamment Leçons sur la philosophie de l'histoire de Hegel (Vrin), p. 100 : « Les pages de bonheur sont, dans l'histoire, des pages blanches. « • Il est sans doute plus facile de commencer la réflexion sur les « implicites « du sujet en partant d'une interrogation sur la conception de l'histoire incluse dans la citation. On peut en particulier commencer par se demander ce qui, dans ce qu'on appelle « l'histoire « (selon ses différentes conceptions et ses différents « domaines «), peut être lié ou non à la question du bonheur. • Ne pas manquer, en retour, de tenter de délimiter la conception du bonheur impliquée dans cette maxime; ce qui conduira à un nouvel affinement de la réflexion engagée pour « l'histoire «. • Ces différentes délimitations (mettant par là même en évidence d'autres appréhensions de l'histoire et du bonheur) devraient permettre de « discuter « de façon quelque peu fondée non la maxime elle-même mais « la conception de l'histoire et du bonheur impliquée par cette maxime «.
«
« tout ce qui nous entoure peut être considéré comme un exemple du dialectique » (Hegel, La Science de laLogique, Vrin, p.
514), le plus bel exemple demeure aux yeux de Hegel celui de la Trinité.
La dialectique parle en unesuite de propositions spéculatives.
Pour savoir de quoi il s'agit, souvenons-nous qu'une proposition consisted'ordinaire dans l'adjonction externe d'un prédicat (ou attribut) à un sujet.
Par exemple le ciel est bleu.
Laproposition spéculative est essentiellement mouvement, mouvement du sujet vers le prédicat, mais aussi « choc enretour » du prédicat sur le sujet tel que ce dernier devienne autre puisque son essence est à présent le prédicat.L'histoire, telle qu'elle s'inscrit au sein de la dimension dialectique ne relève plus de l'historien mais bel et bien duphilosophe.L'Esprit du monde est progrès dans la mesure où en se niant, il se conserve et s'élève.
Ce progrès ne doit pas êtreconfondu avec un pur et simple accroissement quantitatif.
L'Esprit est dans son être « actuosité » (Aktuosität), cequi revient à dire que « son être est le procès (ou processus) absolu » (R.H.
p.
97).
Le mot allemand « Prozess » seretrouve souvent sous la plume de Hegel ou de Marx.
Dans une note du Capital (livre I) qui figure dans la traductionfrançaise mais pas dans le texte allemand, Marx présente ainsi le mot à ses lecteurs : « Le mot « procès » quiexprime un développement considéré dans l'ensemble de ses conditions réelles appartient depuis longtemps à lalangue scientifique de l'Europe.
En France on l'a d'abord introduit d'une manière timide sous sa forme latine —processus.
Puis il s'est glissé, dépouillé de ce déguisement pédantesque, dans les livres de chimie, physiologie, etc.et dans quelques oeuvres de métaphysique.
Il finira par obtenir ses lettres de grande naturalisation.
Remarquons enpassant que les Allemands, comme les Français, dans le langage ordinaire, emploient le mot « procès » dans sonsens juridique » (note 1 du chap.
VII du livre I).
Les présentations étant faites, faisons plus ample connaissanceavec la notion hégélienne de procès.
Soit par exemple l'être et le néant.
Si je parle, sans plus, de leur unité, je meborne à mettre en avant une unité immobile en faisant abstraction de l'unité véritable.
Si en revanche je faisapparaître en quoi « le devenir est l'expression vraie du résultat de l'être et du néant, en tant qu'il est leur unité »(Science de la Logique, p.
354), je n'ai plus à faire à une unité sans vie mais à une unité dialectique, celle dont lanégativité constitue le moteur.Le plus souvent lorsque nous contemplons le spectacle que nous offre le cours de l'histoire, nous ne voyons d'abordque ruines et malheurs, injustices et passions.
Ladouleur qui s'empare de nous est alors telle qu'afin de la supporter, nous invoquons le poids de la fatalité (« c'est ledestin »).
Et bientôt nous nous replions sur notre propre existence, sur notre « sentiment de la vie » (R.H., p.
103,trad.
mod.).
Pourtant, c'est là que se pose avec force la question « de savoir pour qui, à quelle ,fin ces immensessacrifices ont été accomplis » (p.
103).
Nous voici au coeur du sujet.
Comparons avec Hegel l'histoire du monde àune tapisserie.
Celle-ci se présente comme un ensemble composé d'une trame et de fils, en d'autres termes de deuxprincipes qui sont l'Idée elle-même et la passion humaine.
« L'Idée en tant que telle est la réalité, les passions sontle bras avec lequel elle s'étend.
Ce sont les deux extrêmes ; ce qui les relie au milieu, où les deux marchentensemble, c'est la liberté éthique (sittliche) » (p.
106).
L'adjectif éthique doit ici être compris au sens de laSittlichkeit, de la moralité objective ou sociale dont Hegel parle longuement dans les Principes de la philosophie dudroit (1).
Cette liberté éthique se réalise au plus haut point chez un peuple dans l'État qui apparaît donc comme lelieu de rencontre, mais aussi comme « l'unité objective » (p.
149) de la fin et des moyens.
Précisons cela en suivantHegel dans son analyse du rôle des passions humaines dans l'histoire.
D'emblée, il ne se place pas sur un terrainmoral.
Il entend par passion un intérêt bien particulier propre à l'homme qui fait appel à une concentration desforces et de la volonté sur un point déterminé.
C'est ainsi que « rien de grand dans le monde ne s'est accompli sanspassion » (p.
108).
En poursuivant leur intérêt, les peuples comme les individus sont en réalité les moyens de laréalisation de l'Esprit ou de l'Idée.
N'oublions pas en effet que « la raison gouverne le monde et par conséquent agouverné et gouverne l'histoire du monde » (p.
110).
Et c'est là que nous pouvons comprendre en quoi le point devue du bonheur demeure nécessairement une aune insuffisante pour mesurer l'histoire ainsi conçue.
Les moissons del'histoire ne poussent pas sur le sol du bonheur parce que celle-ci est dans son fond dialectique et que la dialectiquedont le moteur est la négativité procure la satisfaction (Befriedigung) mais non point le bonheur (Gluck).
Si noustraduisions littéralement le texte allemand du sujet qui nous est proposé, cela donnerait : « mais l'histoire n'est pasle sol (ou le terrain : Boden) pour le bonheur (Gluck).
Les périodes de bonheur (Die Zeiten des Glückes) y sont despages blanches ».
Nous constatons donc que Hegel, en toute rigueur, ne parle pas de la félicité, concept qui n'estpas l'exact synonyme de bonheur.
L'opposition majeure est entre le bonheur et la satisfaction (ou réconciliation ouencore apaisement : Befriedigung), terme qui relève du troisième moment de la dialectique hégélienne.
L'histoiren'est pas et ne peut pas être aux yeux de Hegel pourvoyeuse de bonheur.
Celui-ci en effet réside dans un rapportharmonieux à soi-même.
Le bonheur se situe essentiellement dans la sphère de la vie privée.
Dans le cas deshommes historiques, on ne peut parler de bonheur car il s'agit pour eux « de la satisfaction de buts qui dépassentles intérêts particuliers » (p.
116).
Les grands hommes donnent pour but ou pour contenu à leur passion, qui en tantque telle, est subjective et formelle, l'universel lui-même.
Ce sont des héros qu'il ne faut pas confondre avec desimples aventuriers.
Il ne suffit pas en effet qu'une action soit en dehors des normes existantes pour être justifiée.En eux s'est révélée la nécessité même du temps.
Pareille existence ne peut être heureuse.
Hegel insiste sur cepoint en citant des noms : Alexandre, César, Napoléon.
Mais attention, cela ne veut pas dire que c'est parce qu'ilsont été malheureux qu'ils sont grands comme affectent de le croire les jaloux.
Les vues psychologiques et lesreproches moraux ne sont pas ici de mise.Mais si César, par exemple, une fois le but atteint, périt.
l'universel quant à lui poursuit sa marche.
Entre les moyenset la fin, le particulier et l'universel, la passion et la raison, la disproportion est flagrante.
C'est donc nécessairementle premier élément qui est sacrifié au profit du second.
« Ce n'est pas l'Idée qui s'expose au conflit, au combat et audanger ; elle se tient en arrière hors de toute attaque et de tout dommage et envoie au combat le particulier de lapassion pour s'y consumer.
On peut appeler ruse de la raison le fait qu'elle laisse agir à sa place les passions ensorte que c'est seulement le moyen par lequel elle parvient à l'existence qui éprouve des pertes et subit desdommages » (p.
129).
Aussi, en ce qui concerne la raison, la ruse n'est pas comme d'ordinaire le contraire ou mêmele complément de la force.
« La raison est aussi rusée que puissante » (Logique, p.
614).
Pour Hegel, c'est.
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