Les Nouvelles Technologies, risques et fécondités Elles sont partout et savent tout faire. Cerveau de substitution, levure de la modernité, énergie ultime mais en mouvement des personnes branchées : nul n’y échappe. Signe des temps et peut être de son impitoyable témoin qu’est la bedaine envahissante, devant elles, le « que du muscle « est non seulement illusoire, il est aussi périmé. Car elles tiennent toutes leurs promesses, même celles des autres. Certains en ont rêvé, elles, elles l’ont fait. Avec elles, avec les Nouvelles Technologies donc, c’est déjà demain. Et ceux qui sentent se lever un vent mauvais n’ont même plus à refaire leurs calculs, les Nouvelles Technologies l’ont déjà fait. Parce qu’elles le valent bien ? Mais nous valent-elles ? Entourés par elles, de l’ordinateur à l’hôpital, de l’OGM à l’hospice, il nous devient difficile de remettre en cause leur omnipotence sans donner l’impression de les ostraciser... Dire que tout est parfait dans le meilleur des mondes serait peu plausible. Feraient-elles exception ? La diffusion des Nouvelles Technologies dans notre société ne doit pas nous contraindre à l’absence de débat sur leurs impacts, leurs bénéfices et leurs limites. Faut-il tout accepter, vaille que vaille, ou tout brûler autant Savonarole que Talibans de notre temps ? Comment faire le tri, comment discerner, comment donc prendre du recul ? Comment être sûr qu'elles, elles ne mentent pas? Il convient sans doute de commencer par se rappeler ce qui fait la spécificité de l’Homme dans son univers et ainsi on comprendra sous quel prisme ont doit envisager les Nouvelles Technologies. Etre vivant, l’homme est matière et esprit, producteur tant de matériel que d’immatériel, individu mais chaînon d’une société. Sa conscience est le plus souvent apte à distinguer en lui ces différentes caractéristiques et à en reconnaître les deux pôles principaux, la vie physique et la vie spirituelle, l’une enrichissant l’autre dans un cadre optimal. Or, « c’est en usant seulement de la vie... qu’on apprend à concevoir l’union de l’âme et du corps. Les choses qui appartiennent à cette union se connaissent très clairement par les sens 1«. Bien des jeux vidéo, films en trois dimensions et autres avatars n’ont sans doute qu’à aller se rhabiller en écoutant cette admonestation de Descartes. Pour André Mondoux (université de Montréal) aussi, il s’agit ici de bien comprendre ce qui signe le propre du développement de l’homme : «l’homme est une entité inachevée dont le mode d’être exige qu’elle se complète en s’extériorisant par le biais d’un rapport d’altérité «. 2 Cette définition signe probablement une grande limite des Nouvelles Technologies de l’information et de la communication (NTIC) qui, malgré leurs palettes graphiques, leurs mémoires vives et leurs octets au kilo sont davantage bateaux ivres, expériences artificielles et mirages à la pelle que ressac de la vie, qu’expression authentique de nos âmes, que dépassement fondateur de notre destin. La puissance des Nouvelles Technologies nous transforme plus en spectateurs rendus hyper individualistes qu’en acteurs des phénomènes de communication de l’information et des excitations ; 1 Lettre à la Princesse Elisabeth de Bohème, 28 juin 1643 2 Emancipation et aliénation à l’heure du surdéterminisme technique, le cas du service internet Facebook, in Gaëtan Tremblay, « L’émancipation hier et aujourd’hui, PUQ Montréal, 2009 1 elle généralise le phénomène de procuration (on vit et ressent des émotions par intermédiaires) comme acte normal de vie, repoussant cette union de l’âme et du corps que Descartes appelle de ses vœux pour authentiquement participer de la vie. Peut-on faire en 2010 comme si les Nouvelles Technologies n’existaient pas ? Peut-on passer outre leur formidable pouvoir de séduction ? Pour Serge Tisseron3 si « les enfants des années 70 étaient les enfants de Marx et du Coca Cola, ceux d’aujourd’hui seront ceux des copains et des nouveaux média «. A ce qui ressemble à un constat fataliste, Arthur Charles Clarke répond, « plus les moyens de diffusion se font merveilleux, plus barbare, atterrant et choquant est leur contenu «4. S’il ne fallait qu’un exemple, citons le cas du jeu vidéo GTA où la réussite se mesure en braquages, meurtres et rails de cocaïne... Internet, sans se réduire à ce genre d’exemple, en fourmille pourtant. Devant le foisonnement d’images et de produits, les Nouvelles Technologies donnent le tournis. Mais qui sont-elles vraiment ? Le centre de recherches pour le développement international du Canada les définit comme « les progrès récents dans les systèmes assistés par ordinateurs et certains types de biotechnologies. C’est un secteur où le mode de production dépend du stockage, de l’extraction et l’application des connaissances de l’information «5. Il convient donc de ne pas limiter les Nouvelles Technologies aux NTIC même si ces dernières en sont probablement les plus emblématiques. Cela est d’autant plus vrai qu’étymologiquement, les technologies désignent le discours, la science de la technique. Tout discours sur les Nouvelles Technologies doit donc passer par une appréhension de la science, de la technique et de l'Homme qui les emploie en son monde, son avenir et son passé. Les développements récents et de plus en plus rapides de la technologie ont en fait abouti à une confusion de la science avec son objet : la technologie se comprend de plus en plus que par l’objet auquel elle a aboutit ; elle est de moins en moins science, de moins en moins discipline et de plus en plus objet. Avons-nous dès lors encore les moyens de l’appréhender, de la comprendre ? Est-elle encore moteur, discipline, de notre développement ? Alors que la puissance des Nouvelles Technologies pouvait laisser supposer une meilleure maîtrise de notre avenir, enfin extrait de nos contingences humaines, leur évolution contemporaine, avec une complexité pas toujours bien maîtrisée peut ajouter de la confusion : la puissance de la machine ne se transfère pas automatiquement à l’homme, espèce désormais un peu sonnée, souvent trébuchante, espèce à protéger. En filigrane, les Nouvelles Technologies posent aussi donc la question du statut et donc de la liberté de l’Homme. Vis-à-vis des NTIC et de leur revendication au lien social, il est sans doute intéressant de citer la définition de Miguel Benasayag pour qui « ma liberté n’est...pas ce qui s’arrête là où commence celle d’autrui. Au contraire, elle commence par la libération d’autrui et à travers lui. «6 Est-ce donc ce contact, cette liberté authentiques que les NTIC favorisent ? Une chose est cependant à peu près sûre: la masse d’information que ces Nouvelles Technologies nous amènent n’est pas toujours synonyme de paix. Comme l’explique Gabriel Vahanian, « au fur et à mesure que le monde rapetisse, l’homme se fait de plus en plus nomade «7. Devant son 3 L’enfant au risque du virtuel, Dunod (2006) 4 2001 L’odyssée de l’espace, 1968 5 http://www.idrc.ca/fr/ev-29525-201-1-DO_TOPIC.html 6 Les Passions Tristes, La Découverte, janvier 2006 7 La mort de Dieu, La culture de notre ère post-chrétienne, Paris, Buchet-Chastel 1962 2 ordinateur, l’homme bouge sans quitter son siège : il s’agite, il se démène pour gouter aux fruits de plus en plus banals d’un monde de plus en plus cartographié par d’autres intelligences que la sienne. Et quand de nouveaux engins de locomotion sophistiqués rendus possibles par ces Nouvelles Technologies le font sortir, c’est en s’affranchissant certes pas des distances mais du temps (on voyage de plus en plus vite tant et si bien que certains font l’éloge, par réaction, de la lenteur), une composante pourtant essentielle de son développement et de sa nature. Est-ce l’homme nouveau que les Nouvelles Technologies ont fait ainsi naître ? Où est-ce la nef des fous qui le balade sans boussole ni bosse d’une intelligence vraiment maîtrisée ? Les Nouvelles Technologies sont donc-t-elles un prolongement de l’homme ? Oui, car au cœur des Nouvelles Technologies résonne un certain appel du large, un appel à aller plus loin, au-delà de nos horizons, en bref une exigence de mouvement et de dépassement (I). Oui encore, car le potentiel de démesure magnifié, intensifié, véritablement accru par ces Nouvelles Technologies ressemble à des risques qu’il faut combattre tout comme l’homme doit savoir lutter contre ses erreurs (II). Oui enfin, car au fond, une certaine mesure de l’homme, c’est naturellement une forme de démesure qui existe déjà, les Nouvelles Technologies ne faisant que traduire cet état de fait (III). C’est donc bien dans l’Homme qu’il faut chercher le crible qui évalue l’impact des Nouvelles Technologies. 3 Résumé I) Si les Nouvelles Technologies élargissent les horizons de l’Homme... A) Les Nouvelles Technologies donnent à l’Homme les moyens de développer ses propres richesses intérieures. 1) Ledéveloppementdelaconnaissancehumaine 2) Cettemiseàdispositiondedavantagedesavoirsdéclencheunestimulationsansfin. 3) L’ouvertureàl’abstractionvialevirtuel B) Les Nouvelles Technologies offrent une extériorisation de nos compétences pour élargir notre avenir 1) La domination de la nature par l’Homme 2) Capitaliser sur le collectif de nos expériences 3) Une planification des processus en vue d’une meilleure performance C) MaislesNouvellesTechnologiesfavorisentunrapportcomplexeaveclavéritéscientifique 1) Lesjeuxdelamesurerationnelleetdelaperceptionémotionnelle 2) Lebalancierentreréalité,véritéetfalsification 3) Leyoyoentreéchangeetusage:lecombatdesvaleurs II)... Les Nouvelles Technologies élargissent aussi les capacités de l’Homme à creuser son anéantissement dans la démesure A) Les Nouvelles Technologies comme refus des contingences naturelles de l’Homme 1) Le primat de l’utilitarisme ou le refus de l’acte gratuit 2) L’impératif d’immédiateté ou le refus de la transmission mûrie 3) La volonté de totalisation ou le refus de la connaissance partielle B) Les Nouvelles Technologies, ferment d’un système cannibalisant 1) L’insensibilité des Nouvelles Technologies aux freins extérieurs 4 2) Le mythe du développement perpétuel ou la fuite en avant obligatoire 3) La complexité accidentogène des Nouvelles Technologies C) Le choix de l’image désincarnée III) 1) 2) 3) De la manipulation de l’image à l’image manipulante : les bases du narcissisme Une culture mortifère de l’objet technologique La fascination amorale de l’objet technologique Et pourtant, cette tendance à la démesure ne se trouve-t-elle pas dans le cœur de chaque Homme ? A) Un reflet de l’inachèvement humain 1) Le non tarissement de la soif de savoir 2) La confiance dans l’objet fixé 3) La fructification des talents en devenir B) Lasanctiondevaleurssupérieuresnontechnologiques 1) La résistance du vivant 2) La résistance sociale 3) La résistance irrationnelle C) LesNouvellesTechnologies,échodel’Hommeendevenir 1) L’échange : du neurone à la toile 2) Le jeu virtuel n’a rien inventé 3) L’influence du possible sur le réel Liste des principaux auteurs cités 5 Résumé Les Nouvelles Technologies font tellement partie de notre environnement que prendre de la distance vis-à-vis d’elle est devenu chose malaisée. Cela ressemble à une remise en question des progrès qu’elles ont mis à notre disposition. Pourtant, prendre du recul face à notre quotidien et aux Nouvelles Technologies qui le peuplent, ce n’est pas de la réflexion théorique mais bien un regard sur nos choix de vie. Mais le véritable acteur initial des Nouvelles Technologies, c’est bien l’Homme qui a pris la décision d’élargir son horizon en faisant de son savoir un capital en soi. Il est donc logique que toute technologie soit liée à la culture. Il y a ici un phénomène d’accumulation de richesse parti d’un approfondissement de nos capacités et des plus values rencontrées lors de leur mise en commun. Elles témoignent donc d’une certaine vision de l’Homme sur son environnement, d’un certain désir de se prendre en main et de faire fructifier ses talents via des objets qui les concentrent et synthétisent. Les capacités des Nouvelles Technologies à évoluer ne sont pas neutres. Elles montrent une ambivalence vis-à-vis des premiers phénomènes de recherche scientifique. Cette ambivalence se poursuit car elles ont aussi la capacité à faire évoluer l’Homme. C’est là que le besoin d’une réflexion éthique se fait ressentir. Il y va de l’épanouissement de l’Homme et de sa cohésion en société. Or, c’est cette volonté de dominer son destin et ses contingences qui signe aussi une volonté d’y échapper. Cette liberté non bornée sombre alors dans la démesure et rate ses buts qu’elle a dépassés depuis longtemps, occupée à voler à tire d’aile. Le primat de l’utilitarisme et de l’immédiateté ne fait pas bâtir sa maison, sa famille, son destin sur le roc. Le risque d’une fuite en avant est grand avec son lot de frustrations qu’on n’arrive pas à gérer car on les estime inconvenantes. En réalité, les Nouvelles Technologies sont aussi des révélateurs de l’Homme, de ses désirs et de ses déviations. Malgré leurs pulsions, elles ne sont pas toutes puissantes. Si l’Homme en est conscient, il peut redescendre sur Terre, sans pour autant croire que les Nouvelles Technologies ne sont qu’un simple outil. Il y a toujours en elle un but. Comme l’Homme. On ne peut donc limiter notre regard sur les Nouvelles Technologies à un simple fatalisme davantage occupé à gérer les dégâts ou à un optimisme béat résolument soucieux de les ignorer. Car les Nouvelles Technologies ne sont pas une fin en soi. Cette distinction philosophique de base est salutaire : elle aide à opérer l’indispensable tri et à bien voir que le débat ne se résume pas à une opposition entre technophiles et technophobes, entre Anciens et Modernes. 6 I) Si les Nouvelles Technologies élargissent les horizons de l’Homme... Les Nouvelles Technologies impressionnent par leur puissance de calcul et leur capacité de mobilisation de ressources et d’information. C’est probablement au moins la marque de la diffusion de l’ordinateur qui « n’est pas une machine à écrire qui envoie des télégrammes ou présente joliment un programme de colloque. C’est une logistique puissante de traitement informationnel, de management de l’information et de la connaissance, de veille scientifique, technologique, concurrentielle, stratégique...«8 A l’échelle de l’humanité, un tel concentré est évidemment récent et fera probablement date. Leurs diffusions tous azimuts l’attestent déjà. Pour autant, la question des Nouvelles Technologies s’inscrit dans le débat plus large de la technique et du développement de la science. Comme l’explique Gérard Chazal9, certes, on trouve bien des esprits pour ne plus croire que « le progrès technique entraîne automatiquement le bien être matériel et le progrès de l’humanité. « Mais alors, « certains cultivent la nostalgie d’un monde moins technicisé, oubliant d’ailleurs souvent quelles furent les conditions de vie difficiles des ancêtres «. Car en effet, avec les Nouvelles Technologies, l’homme devient encore plus capable de faire fructifier ses propres atouts (A), moyen d’assurer davantage sa domination sur le monde extérieur (B) mais aussi d’approfondir une certaine vérité scientifique (C) qui reste encore complexe. A) Les Nouvelles Technologies donnent à l’Homme les moyens de développer ses propres richesses intérieures. L’Homme a tellement employé au cours de son histoire le mot nouveau que celui-ci en est devenu quelque peu suspect. Avec un peu de recul, il est aisé de considérer cette nouveauté comme relative et valant bien évidemment pour le passé. Qu’en est-il pour les Nouvelles Technologies ? Comme pour toute technologie, les produits auxquels nous faisons ici référence permettent à l’Homme de s’extraire de la seule contingence physique pour mettre davantage en œuvre son intelligence et occuper son temps disponible plus intensément. Passer d’une paire de ciseaux à une tondeuse électrique permet probablement d’avoir un autre regard sur le jardinage et sa famille qui y gambade. Ce phénomène n’est évidemment pas propre à notre époque ni à l’objet de notre analyse. En revanche, il semble que la nouveauté se manifeste dans le saut d’intensité que les Nouvelles Technologies permettent: la quantité d’information condensée, connectée et immédiatement disponible dans ces produits maximise les facultés et donne un stimulus jusque là inconnu. Parce que davantage d’intelligence est mise à disposition, il est aussi possible de faire fructifier encore davantage d’intelligence. Pour David Shenk, la nouveauté se trouve dans la quantité d’information mise à disposition : « au milieu du XXe siècle, on a commencé à produire de l’information plus rapidement qu’on ne peut la digérer. Jamais cela ne s’était produit auparavant «.10 8 Roland Ducasse, Directeur du département d’informatique, Université Bordeaux III, Colloque Ethique et Nouvelles Technologies, septembre 2001, Beyrouth 9 In « Techniques et Philosophie des Risques «, C Kermisch et Gérad Hotois, Vrin 2007. 10 Data Smog, surviving the information Glut, 1997 7 Pour s’en convaincre, prenons-le raccourci du zéro : son invention par les Grecs leur a donné une intelligence mathématique absente chez d’autres. Considérons alors la multiplication des zéros dans le langage informatique ! C’est bien entendu une métaphore mais elle illustre le fait que l’ouverture de l’esprit grâce à l’ajout de connaissance, à la concentration du savoir crée un puits sans fond que l’intelligence est a priori amenée à explorer pour aller plus loin. C’est en tout cas le concept des promoteurs des Nouvelles Technologies. 1) Ledéveloppementdelaconnaissancehumaine Les Nouvelles Technologies permettent une meilleure conservation de l’information et donc une mise à disposition d’autrui de celle-ci plus efficace. Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), une composante majeure de ces outils, permettent à la connaissance de s’extraire des contingences humaines de transmission des savoirs. Tout défaut n’est pas gommé, mais les capacités de stockage, de numérisation, de synthèse et de comparaison de l’information permettent de gérer des défauts dus à l’oubli, à la subjectivité ou à l’éloignement tant géographique que temporel des émetteurs de savoir. A la clé, un fréquent gain de temps. La connaissance n’est pas supposée avoir de dates limites de consommation et pourtant comme une connaissance, peut, en cas de conflit, de concurrence, chasser l’autre, ici aussi, le concept de date limite de consommation a son sens. On sait, par exemple, depuis longtemps que la saignée n’améliore pas le tonus des malades. On ne la pratique donc plus. Et il a fallu certaines expériences malheureuses de navigateurs au grand large pour forcer les marins à avoir une alimentation équilibrée afin d’éviter le scorbut. On le savait pourtant déjà mais cela s’était oublié. Avec les NTIC et par exemple les réseaux d’information comme internet, les expériences passées se stockent et se partagent avec très peu de limites. Pas a priori de problème de date limite de consommation ici à propos de l’information bien conservée. L’Histoire en devient ainsi davantage source d’enseignement et d’entretien du patrimoine de nos expériences. 2) Cettemiseàdispositiondedavantagedesavoirsdéclencheunestimulationsansfin. La soif de savoir s’étanche d’autant moins qu’on y répond. Une fois éveillée, la curiosité se nourrit des réponses qu’on y apporte et c’est une forme de positive boîte de Pandore qu’on ouvre ainsi. La numérisation de l’information via les NTIC permet à la fois son transfert avec un minimum de restrictions physiques mais surtout permet d’établir des connections entre différents éléments, entre différents supports et entre différents thèmes. L’association de différentes connaissances s’avère être un vecteur capable de favoriser la synthèse et donc l’éveil de l’intelligence. Même si on ne peut tout savoir et qu’on en est conscient, le simple fait de croire qu’on peut partager des connaissances est une stimulation favorisée par les NTIC. On est ici pas très loin de la phrase de Saint Thomas d’Aquin qui déclarait que « la connaissance de foi n’apaise pas le désir mais l’accentue puisque chacun désire voir ce qu’il croit «11. Notre théologien 11 3CG40,2 178 8 ne parlait certes pas pour les NTIC mais il décrit bien le phénomène auto entraînant des connaissances associées à la conviction. Internet s’inscrit ainsi dans cette tendance : ce n’est pas seulement un univers de câbles téléphoniques, d’ordinateurs, d’octets et de stockage d’information. C’est aussi un ensemble de personnes qui y croient et qui annoncent ses futurs développement parce qu’ils y ont intérêt ou par simple foi. Il s’agit aussi d’un phénomène de valorisation des talents par la conviction. C’est aussi une forme de pédagogie pour ceux qui ont réussi parce qu’ils ne savaient pas que c’était impossible. La maîtrise de connaissances de base et des outils qui les véhiculent pousse ainsi à aller plus loin. Comme l’explique Samuel Joshua, professeur en sciences de l'éducation à l'université de Provence, à propos des Nouvelles Technologies éducatives, « la démocratisation de l’accès aux calculatrices de poche est en train de bouleverser la nature de certaines activités mathématiques «12. On ne demande plus seulement aux enfants de savoir compter mais en effet bien plus encore de justifier leurs raisonnements: une forme de progrès donc si, bien entendu, les bases ont été auparavant assimilées ; les Nouvelles Technologies ne sont en effet pas un talisman. 3) L’ouvertureàl’abstractionvialevirtuel Comme on ne peut expérimenter toutes les informations, -c’est là un phénomène bien antérieur aux Nouvelles Technologies-, une capacité d’abstraction est indispensable pour faire progresser son intelligence. Ainsi que l’explique Einstein, « les concepts physiques sont des créations libres de l’esprit humain et ne sont pas déterminés par le monde extérieur «13. La capacité d’extraction du monde physique par les Nouvelles Technologies, leur capacité donc à créer des mondes artificiels, des mondes virtuels permet de valider par l’intelligence et non par l’expérience des concepts. Le virtuel, en ce sens qu’il désigne un futur aléatoire, un présent ailleurs ou un présent spirituel est donc un champ d’expérimentation et de développement de l’intelligence rendu possible par le concentré de connaissance des Nouvelles Technologies. Les modélisations et les simulations informatiques permettent des progrès, permettent de mettre en chantier des idées auxquelles on n’aurait jamais eu accès s’il avait fallu attendre de les expérimenter. Cette situation n’est pas cependant propre aux NTIC comme le montrent les réflexions mathématiques de l’antiquité. Mais les NTIC ont pu favoriser une accélération des capacités d’abstraction et des applications qui en découlent. Le cas de la fusion thermonucléaire en apporte un exemple heureusement évident. B) Les Nouvelles Technologies offrent une extériorisation de nos compétences pour élargir notre avenir Tout comme leurs devancières, les Nouvelles Technologies jettent un pont entre l’intériorité de l’Homme et son environnement extérieur. Il s’agit sans doute d’intensifier les connections de son intelligence, mais bien plus encore de les orienter vers un résultat concret ou en tout cas visible. Il y a donc ici, l’intelligence en main, un exercice d’affirmation de soi et un refus du fatalisme face à un destin ou à notre environnement. Les Nouvelles Technologies permettent ainsi à l’Homme d’être davantage Homme en ce sens où les possibilités de mémorisation et de partage des connaissances favorisées par 12 In La Brèche Numérique, http://www.preavis.net/breche-numerique/article3.html?lang=fr 13 L’évolution des idées en physique, Payot, 1981 9 elles font de chaque progrès individuel une partie versable dans le patrimoine commun de l’intelligence collective. 1) Ladominationdelanatureparl’Homme Quand l’Homme s’extrait des contingences de son existence physique, il domine sa nature et, comme on l’a vu, les Nouvelles Technologies peuvent y contribuer. En bonnes héritières de la recherche scientifique, elles peuvent aller plus loin en aidant l’Homme à dominer la nature en tant que telle. Le cumul de connaissance et d’intelligence permet d’élaborer des outils, des objets qui dominent la matière et illustrent la puissance de ces combinaisons. Comme l’explique Bertrand Souchard, certes, « l’esprit ne laisse pas toujours de traces dans la matière «, mais, « si l’animal peut utiliser des outils, seul l’homme fabrique des outils pour fabriquer d’autres outils «14. La domination par l’Homme de la nature exige donc un concentré d’intelligence, de connaissance et d’abstraction où les Nouvelles Technologies sont reines, précisément en raison de leur capacité à faire cohabiter beaucoup de savoirs en peu ou pas d’espace physique. L’imagerie médicale apporte un intéressant exemple. Croisement, cohabitation de différentes disciplines comme la radiologie, la photo, l’acoustique, elle permet à la médecine d’anticiper et de guérir les troubles de la nature. C’est un exemple typique de concentration de l’information favorisée par les NTIC. C’est d’ailleurs ici que l’on retrouve les bienfaits d’une certaine abstraction à la base de la recherche scientifique, mère des technologies. Pour Bertrand Souchard, si la science résolument moderne a émergé dans l’occident judéo-chrétien, c’est en raison de la théologie de la création qui désacralise la nature et pose sa rationalité. Cette théologie est d’abord un raisonnement qui jette un regard sur le réel. En soi, ce n’est pas toujours une expérimentation directe. Mieux encore, l’incarnation de Jésus, du Ciel sur la Terre (les hommes) donne à la matière sa dignité et montre que la présence sensible de l’humanité ne détériore pas la divinité. Il est donc possible, les pieds sur terre, de penser au ciel et de combiner foi et raison. Cette force de l'abstraction permise par les Nouvelles Technologies est capitale. Car comme l’explique Pierre Duhem, « c’est l’interprétation théorique qui permet à l’expérimentation scientifique de pénétrer bien plus en avant que le sens commun dans l’analyse détaillée des phénomènes« 15. Les Grecs n’avaient pas de tels raisonnements. Que l’on songe à Prométhée condamné pour avoir désacralisé le mystère du feu. Dans la théologie païenne, les lois mathématiques n’étaient envisageables que là où il n’y a pas de matière (le ciel), d’où par exemple l’importance des connaissances grecques sur les étoiles. Faute d’accorder toute leur foi à la recherche abstraite, des peuples comme les Grecs ont certes eu de bonnes technologies, de solides penseurs, mais ont relativement peu fait progresser les technologies qu’ils maîtrisaient déjà bien par habitude comme la navigation côtière. Question d’époque aussi : il serait difficile de voir dans ces technologies le concentré de savoirs que nous connaissons maintenant. La conjonction du grand spectacle des techniques et des sports de l’extrême apporte un exemple intéressant. Via des prototypes comme ceux de la formule 1, de l’aviation ou des voyages spatiaux, les 14 Dieu et la science en questions, 2010, Presses de la Renaissance 15 La Théorie Physique, Vrin, 1989 10 Nouvelles Technologies ont commencé par fabriquer des objets uniques. C’est la part du rêve, du ciel et des nuages. Il est fréquent que l’on passe ensuite à une phase de popularisation des prototypes, d’une mise à disposition de ces produits pour le grand public via une production de masse. C’est la part du rêve, peut être un peu dégradé, mais bien devenu réalité. C’est la part de l’Homme les pieds sur terre. 2) Capitalisersurlecollectifdenosexpériences La mise en commun d’expériences est, on l’a vu, bien antérieure à la diffusion des Nouvelles Technologies. Les encyclopédistes sont en effet passés par là. Mais le rythme actuel est d’une autre ampleur. En stockant les expériences d’autres que nous via des NTIC ou via des outils qui les véhiculent, on peut faire nôtres ces expériences. C’est ici une façon de montrer la valeur d’échange que revendiquent les NTIC. Internet a pour cela une expression, le web 2.0 ou le web participatif. Chacun est censé y être acteur. Ce collectif d’expériences permet de relativiser notre propre cas et de s’extraire d’éventuelles pensées à la mode pas toujours fécondes. Car si le réseau de l’information nous met certes à leur contact, la possibilité de varier les points de vue offre du recul. La domination de la nature prend alors une tournure potentiellement équilibrante grâce à cette capitalisation collective d’expérience : le partage d’information et l’esprit de synthèse que permettent les NTIC nous donnent par exemple l’occasion de réfléchir, de saisir que le retour à la nature, censée plus pure, car dénuée des technologies trop humaines, n’est pas l’Eden de Rousseau mais bien l’état de la loi du plus fort. L'apport d'autres expériences échangées par les NTIC permet aussi de bien comprendre que dominer la nature pour dominer n'a pas de sens car l'homme se réalise dans l'extériorisation de ses expériences et dans le don de soi. Autrement dit, il n’y a de bien pour l’homme que lorsqu’il décide de se donner à autrui, la Nature comprise. C’est là un patrimoine qui se crée et s’entretient. Mais ce don n’est pas abandon ! Les Nouvelles Technologies, par leur culte de l’échange y contribuent. Un peu de réflexion nous fait aussi observer que réciproquement un amour immodéré de la nature cache une haine des hommes... Mais c’est là un tout autre débat. Grâce aux Nouvelles Technologies, on peut se trouver, face à la Nature ou à d’autres contingences, à d’autres pressions sociales, en présence d’un « nouvel espace de liberté «. Comme le relève Christophe Geoffroy, l’internet permet en effet une mobilisation politique à peu de frais mais capable de défendre son point de vue face à une cohorte de média allant dans le même sens.16 L’isolement d’individus qui ne se retrouvent pas forcément dans les opinions publiques n’est pas une fatalité : les NTIC permettent d’agréger des individus et de regrouper ces nomades en communautés avec leurs codes comme le monde de l’internet aime à s’en faire l’écho via les blogs et autres fora. Dans le même genre d’autonomisation, on peut relever que grâce à l’internet, des artistes musicaux peuvent commencer par se faire connaître à moindre frais, libérés de certaines des contraintes physiques de l’édition et davantage en prise avec leurs publics via les sites et autres courriers électroniques. On le voit donc, ce nouvel espace de liberté est censé mieux faire cohabiter patrimoine commun de connaissances et une certaine autonomisation de l’individu. Pour Monique Linard, avec les NTIC, « la capacité d’intégrer le changement par une action relativement autonome devient un critère central d’efficacité aussi bien pour les individus que pour les groupes sociaux «17. La dynamique des Nouvelles 16 In “ La Nef «, Mai 2010, page 22. 17 Conception de dispositifs et changements de paradigme en formation, in « Education permanente « N°152, octobre 2002. 11 Technologies est en effet celle d’une performance à améliorer, ce qui implique une spirale du changement et une nécessaire adaptation des utilisateurs. 3) Uneplanificationdesprocessusenvued’unemeilleureperformance La nature des Nouvelles Technologies permet une optimisation des processus en limitant les risques d’erreur lors des répétitions des tâches. Une fois stockée, l’information ne perd pas, en soi, de fraîcheur par rapport à l’usage auquel elle est destinée. L’information ne perd en fait de sa fraîcheur qu’en cas d’arrivée d’une autre information qui infirme celle jusque là considérée comme pertinente. L’assimilation de l’information à une marchandise quasi physique permet une systématisation des phénomènes et processus de production comme d’usage en fonction d’un scénario écrit par l’Homme. L’usage d’un agenda électronique avec rappels automatiques permet ainsi au distrait de ne pas oublier ses rendez vous. L’insertion de calculs automatiques dans des tableurs permet une comptabilité plus rapide et en relation avec les autres départements d’une entreprise. L’Homme est ainsi capable de gagner en qualité de vie. La planification de processus lui permet en effet de dégager du temps pour d’autres activités ou sources d’épanouissement. Et c’est ainsi que l’Homme se projette en avant comme ant...