Les mots disent-ils les choses ?
Publié le 07/03/2005
Extrait du document
L'homme vit entouré d'êtres et d'objets qui lui sont extérieurs et existent en dehors de lui. Le langage est le moyen dont il dispose pour dire ce réel, pour l'appréhender et même le connaître. Mais le langage est fait de mots qui désignent chaque objet réel, chaque chose. Les mots, ces groupes de sons qui ont un sens, renvoient aux choses du monde, et permettent donc, en principe, d'avoir accès au réel. Mais c'est imparfaitement que les mots décrivent le réel. Faut-il penser alors que les mots cachent les choses ? Cela signifierait qu'au lieu de dévoiler la réalité et de nous livrer l'essence des choses, les mots seraient incapables de dire la richesse du réel et même seraient un obstacle à notre compréhension de ce qui nous entoure. Pour répondre à cette question qui met en jeu les relations que nous entretenons avec les choses qui nous entourent, mais aussi avec les êtres avec qui nous vivons, il convient de nous interroger sur le rôle du langage et sur sa nature. Nous verrons donc que les mots, s'ils représentent bien les choses, ne sont pas pour autant capables de saisir l'essence de ce qui est. Pour pallier cette saisie imparfaite, tronquée et trompeuse, nous verrons aussi que le langage peut être travaillé, et nous livrer alors une vision poétique des choses, capable, contre toute attente, de nous donner à voir le coeur des choses.
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auxquels correspondrait une liste de choses, on ne peut plus en effet considérer le langage comme unenomenclature puisque chaque chose pourrait en fait être désignée par un tout autre signifiant que celui que celui quila représente par convention.
Par conséquent, avec Saussure, il ne peut plus être question du lien entre le mot et lachose, puisqu'en fait ce mot n'existe plus.
Bien sûr il reste le fait que c'est ce mot qui désigne cette chose, mais celien est purement utilitaire et n'est préservé que pour que la langue reste un moyen de communication pour tous lesmembres d'une même communauté linguistique.Pourtant ce n'est pas parce que le lien mot-chose est purement arbitraire que tout rapport du mot et de la chosedisparaît.En effet si le mot ne copie pas la chose et ne fait que la représenter par convention, il reste tout de même unecertaine interaction de l'un à l'autre.
En fait le rapport mot-chose se trouve totalement inversé.
C'est-à-direqu'avec la conception naturaliste du langage, c'était le mot qui dérivait de la chose, alors qu'avec la conceptionsaussurienne du langage comme système, c'est le mot qui interfère dans ma perception de la chose.
En effet lesmots, pour arbitraires qu'ils soient, restent mon moyen d'accès au monde.
mais parce qu'ils sont arbitraires, et nedésignent pas la nature des choses.
Ils risquent de superposer leur interprétation des choses à ce qu'est la chosedans sa réalité.
II- Les mots font obstacle à mon appréhension du monde
A- L'imperfection des mots
* En effet, si les mots représentent le monde, et donc ne nous livrent pas un accès direct, ils sont un intermédiairequi risque de faire obstacle à notre connaissance du monde : les mots sont un outil, mais un outil imparfait.Car, si comme Saussure l'affirme, le mot ne désigne la chose que par pure convention, sans qu'il existe le moindrelien entre le mot et ce qu'est la chose dans sa nature, alors le mot ne dit rien sur la chose : il la représente mais nenous livre aucune information sur elle.
Il y aurait finalement une énorme imperfection descriptive des mots.Il est d'ailleurs clair que le mot est davantage capable de dire le général que le particulier : c'est donc ques sescapacités de description sont limitées.* C'est ce que montre Bergson en soulignant l'incommensurabilité du langage avec nos états intérieurs.
PourBergson en effet, la pensée est un état continu qui se déroule dans la durée, alors que le langage est calqué surl'espace.
C'est-à-dire que les mots sont bien distincts et séparés les uns des autres, tout comme le sont les objetsdans l'espace.
Les mots seraient donc des objets utiles et fidèles pour traduire le monde extérieur et répondre auxexigences de l'intelligence technicienne qui sans cesse divise, abstrait, mesure, etc...
Le langage trahit ma vieintérieure lorsqu'il prétend la traduire en mots.
En effet ma vie intérieure est faite d'états successifs, qui sedéroulent dans la durée et se fondent les uns dans les autres, sans qu'on puisse toujours bien les distinguer entreeux.
Cette incapacité du mot à dire ce que nous ressentons est dû au caractère abstrait et général du mot.
AinsiBergson affirme: "Le mot brutal qui emmagasine ce qu'il y a de commun et pas conséquent d'impersonnel dans lesimpressions de l'humanité écrase [...] les impressions délicates [...] de notre conscience individuelle.
Celles-là seulesde nos idées qui nous appartiennent le moins sont adéquatement exprimables par des mots."* On peut même aller plus loin que Bergson et soutenir que même pour dire la réalité des objets extérieurs le langageest trop pauvre.
Ainsi, si je dis "maison", tout le monde conçoit une idéegénérale de la maison ; mais si je veux décrire ma maison, je vais être obligé de multiplier les mots pour approcher de la réalité de ma maison en tant qu'elle estparticulière par rapport au concept de maison.
Mais cette tâche est infinie, etjamais satisfaisante absolument.
De la même façon, mon langage est capable designifier le concept d'homme, mais mes mots sont trop limités pour dire toute laparticularité de cet homme-ci par rapport à cet autre homme.
Finalement lelangage est pauvre en comparaison de la richesse du réel.
Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plussouvent, à lire des étiquettes collées sur elles.
Cette tendance, issue dubesoin, s'est encore accentuée sous l'influence du langage.
Car les mots(à l'exception des noms propres) désignent des genres...
Et ce ne sontpas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres étatsd'âme qui se dérobent à nous dans ce qu'ils ont d'intime, de personnel,d'originalement vécu.
Quand nous éprouvons de l'amour ou de la haine,quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentimentlui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives etles mille résonances profondes qui en font quelque chose d'absolumentnôtre : Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens.Mais le plus souvent, nous n'apercevons de notre état d'âme que son déploiement extérieur.
Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que lelangage a pu noter une fois pour toutes parce qu'il est à peu près le même, dans les mêmes conditions,pour tous les hommes.
Ainsi, jusque dans notre propre individu, l'individualité nous échappe.
Nous nousmouvons parmi des généralités et des symboles.
- L'objet et l'enjeu du texte sont armés et ton commentaire est fidèle à la ? du passage.
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