Les libertés individuelles de J. STUART MILL
Publié le 05/01/2020
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Les libertés individuelles
J. STUART MILL (1806-1873)
Jusqu'où l'État peut-il prétendre légitimement restreindre la liberté des individus? Telle est la question que pose ici le philosophe anglais John Stuart Mill.
Mais il y a une sphère d’action dans laquelle la société, en tant que distincte de l’individu, n’a tout au plus qu’un intérêt indirect, à savoir cette partie de la conduite d’une personne qui n’affecte qu’elle-même ou qui, si elle en affecte d’autres, c’est alors qu’ils y ont consenti et participé librement, volontairement et en toute connaissance de cause. Quand je dis «elle-même», j’entends ce qui la touche directement et prioritairement ; car tout ce qui affecte une personne peut en affecter d’autres par son intermédiaire ; et l’objection qui se fonde sur cette éventualité fera l’objet de nos réflexions ultérieures. Voilà donc la région propre à la liberté humaine. Elle comprend d’abord le domaine intime de la conscience qui nécessite la liberté de conscience au sens le plus large : liberté de penser et de sentir, liberté absolue d’opinions et de sentiments sur tous les sujets, pratiques ou spéculatifs, scientifiques, moraux ou théologiques. La liberté d’exprimer et de publier des opinions peut sembler soumise à un principe différent, puisqu’elle appartient à cette partie de conduite de l’individu qui concerne autrui ; mais comme elle est presque aussi importante que la liberté de penser elle-même, et qu’elle repose dans une large mesure sur les mêmes raisons, ces deux libertés sont pratiquement indissociables. C’est par ailleurs un principe qui requiert la liberté des goûts et des occupations, la liberté de tracer le plan de notre vie suivant notre caractère, d’agir à notre guise et risquer toutes les conséquences qui en résulteront, et cela sans en être empêché par nos semblables, tant que nous ne leur nuisons pas, même s’ils trouvaient notre conduite insensée, perverse ou mauvaise. En dernier lieu, c’est de cette liberté propre à chaque individu que résulte, dans les mêmes limites, la liberté d’association entre individus : la liberté de s’unir dans n’importe quel but, à condition qu’il soit inoffensif pour autrui, que les associés soient majeurs et qu’il n’y ait eu dans leur enrôlement ni contrainte, ni tromperie.
«
Une société -quelle que soit la forme de son gouvernement -
n'est pas libre, à moins de respecter globalement ces libertés ; et
aucune n'est complètement libre si elles n'y sont pas absolues et sans
réserves.
La seule liberté digne de ce nom est de travailler à notre
propre avancement à notre gré, aussi longtemps que nous ne cher
chons pas à priver les autres du leur ou à entraver leurs efforts pour
!'obtenir.
Chacun est le gardien naturel de sa propre santé aussi
bien physique que mentale et spirituelle.
L'humanité gagnera davan
tage à laisser chaque homme vivre comme bon lui semble qu'à le
contraindre à vivre comme bon semble aux autres.
J.
Stuart MILL, De la liberté, trad.
L.
Lenglet à partir de la traduction de D.
White, Gallimard, 1990.
POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE
Les libertés que recense ici J.
Stuart Mill sont les libertés
auxquelles le pouvoir politique ne sauraient porter atteinte,
au nom même de l'intérêt général.
On les appelle encore
libertés fondamentales ou libertés publiques, parce
qu'elles sont celles que, dans une conception libérale, l'État
doit protéger et garantir prioritairement, ou même exclusi
vement.
Ce sont en fait les libertés individuelles, celles qui
ne portent pas atteinte à autrui.
Mais on peut objecter, comme l'indique ici J.
Stuart Mill,
qu'il y a là une limite arbitraire, et non fondée, dans la mesure
où les individus sont en rapport constant les uns avec les
autres, et que la liberté des uns porte atteinte à la liberté des
autres.
Telle fut d'ailleurs l'argumention de ceux qui, en
Amérique, prônèrent la prohibition de l'alcool, au nom d'un
certain ordre moral.
Et il est vrai que le respect des libertés
individuelles s'inscrit nécessairement dans le cadre d'une
société où le salut de l'homme est laissé à sa charge, c'est
à-dire dans le cadre d'une société laïque.
Le plein exercice des libertés individuelles comporte un
risque pour ceux qui en jouissent d'abord, mais aussi pour
ceux qui en subissent indirectement les conséquences.
Faut
il les restreindre pour autant, en tenant les hommes, éter
nels mineurs, en tutelle et prendre de surcroît le risque, plus
grand encore, de les voir disparaître?.
»
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