« Les lettres nourrissent l'âme, la rectifient, la consolent. » Expliquez cette maxime de Voltaire. Peut-on la discuter ? Dans quelle mesure votre approche des oeuvres littéraires vous permet-elle de vérifier cette triple vocation des lettres ?
Publié le 03/04/2009
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« Les lettres nourrissent l'âme, la rectifient, la consolent. « Que penser de cette maxime de Voltaire ? Elle semble assez bien s'appliquer au rôle de la littérature, si l'on admet évidemment que le philosophe en parlant de « lettres « désigne les chefs-d'oeuvre de la littérature, et non les innombrables écrits produits chaque siècle, dont la plupart sont bien incapables d'exercer quelque influence au niveau de l'âme. En effet, la littérature s'adresse directement à la faculté essentielle de l'homme, l'âme, qui se «nourrit« littéralement de l'expression d'autres âmes, s'enrichit au contact des penseurs de tous temps, et cela quelle que soit leur opinion, ce qui nous amène à la seconde vocation des lettres selon Voltaire : «rectifier l'âme«. Etymologiquement, cela signifie « la rendre droite «, capable de bien penser, de bien juger. Réflexion digne d'un siècle de philosophes ! Cette définition, que j'approuve dans son ensemble, me semble cependant sujette à quelques contestations dans les cas particuliers. Voltaire ajoute encore : « les lettres consolent l'âme«. Cela me semble assez vrai. La littérature console l'âme des dures réalités matérielles, des souffrances humaines, en s'élevant au niveau intellectuel et en affermissant les qualités de courage, de réflexion et de volonté qui nous donnent la force d'affronter la vie. Cependant là encore il me semble qu'il faut nuancer un peu. En bref, cette définition que Voltaire donne de la littérature ne me paraît pas contestable pour le fond ; mais exprimée sous forme de maxime, donc dépouillée le plus possible, elle gagnerait à être nuancée par l'étude de cas particuliers. De plus, une autre question se pose : est-elle exhaustive ?
«
nous sommes pris par une histoire autre que la nôtre.
La littérature nous console en nous divertissant (le termeétant pris au sens le plus littéral, étymologique : « détourner ».
Un roman nous change les idées, pour parlerfamilièrement), ce procédé ayant d'ailleurs été dénoncé par Pascal.
Elle peut même nous consoler par l'expressionmême de la souffrance, en aidant, par une leçon philosophique, l'âme à se relever.
Ainsi Vigny dans « La mort duloup », poème empreint du plus noir pessimisme à propos de la condition humaine et des souffrances que la vie nousréserve, nous indique cependant un moyen de nous relever : « Fais énergiquement ta longue et lourde tâche Dans lavoie où le sort a voulu t'appeler, Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.
» Ainsi Vigny a-t-il, malgrétout, sa façon de «consoler» l'âme.
Prise dans la littérature, son œuvre, pourtant, risque de ne plus remplir ce rôleauprès de tous.
En effet, certains lecteurs, dont l'âme est déjà triste puisque ayant besoin d'être consolée, risquentd'être plus influencés par le pessimisme désespéré qui se dégage d'un poème comme « La maison du berger » oud'un drame comme Chatterton, œuvres qui ne laissent aucun espoir sur la condition humaine, que par la leçonpratique que Vigny propose pour affronter cette misère, dans « La mort du loup » par exemple.
Pour ces lecteurs,les lettres n'auront servi qu'à s'enfoncer encore plus dans le désespoir, sans les consoler.
On pourrait certesrépondre qu'il faut au départ un esprit équilibré ; mais de celui qui a besoin d'être consolé, peut-on exiger un parfaitéquilibre ? Non, au contraire, et il attend de la littérature qu'elle lui redonne cet équilibre perdu.
Mais cette dernièrevocation des lettres ne s'accomplit pas dans toutes les œuvres et se heurte dans certaines à des obstacles sérieux.Il me semble donc que Voltaire a formulé assez légèrement ce rôle sous forme d'une affirmation dogmatique.En examinant plus attentivement cette définition et les trois aspects qu'elle présente de la littérature, il me semblequ'une caractéristique importante n'est pas mentionnée, et cela me ramène à la question que je posais tout d'abord: cette définition est-elle exhaustive ? Quant à moi, je répondrai par la négative.
Il me semble en effet que Voltairea négligé l'aspect plastique, esthétique, musical, en un mot, artistique, de la littérature.
On peut certes penser qu'ily fait allusion à propos de la consolation que les lettres apportent aux hommes.
Entend-il par là que la jouissanceéprouvée par la valeur artistique d'une œuvre littéraire console l'âme de la mesquine réalité quotidienne ? Peut-être; mais rien d'explicite ne permet de l'affirmer.
Et même dans cette éventualité, le côté artistique des lettres a trop d'importance pour qu'on ne lui donne qu'un rôlecompensateur, négatif presque.
On peut également supposer qu'il fait allusion à des jouissances esthétiques etintellectuelles lorsqu'il écrit que «les lettres nourrissent l'âme»; mais là encore, aucune allusion précise à cet aspectpourtant primordial.
Voltaire néglige de parler de la littérature ressentie par amour de l'Art uniquement, de lajouissance supérieure, presque divine, que l'on éprouve devant un poème de Ronsard, de Leconte de Lisle, deVerlaine, de Mallarmé...
Négligence s'expliquant par le caractère matérialiste du XVIIIe siècle — qui a relégué lapoésie (la forme littéraire qui rend le plus ce culte à l'Art) à une place presque inexistante, s'il n'y avait eu Chénier àla fin du siècle — et par le caractère même de Voltaire, résolument terrestre et refusant toute dimension mystique,divine, supérieure, à quoi que ce soit.
Cette omission est regrettable, car c'est un caractère essentiel, que jeconsidère même comme primordial, de la littérature qui est passé sous silence.
Bien qu'exigeant quelques nuances et quelques exceptions, cette maxime de Voltaire définit bien les divers aspectsde la littérature et des rapports établis entre elle et les hommes.Sa forme lapidaire met en valeur les caractéristiques essentielles de ces rapports.
On peut simplement regretter qu'ilne soit pas fait mention des joies artistiques qu'elle procure aux hommes, jouissances ineffables par lesquellesl'homme se grandit et se rapproche de Dieu..
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