Les langues sont synthétiques avant de devenir analytiques; voilà une des lois du langage; l'expliquer et le démontrer.
Publié le 31/05/2011
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Exorde. — Le langage sert à exprimer la pensée, à établir un lien de communication entre les hommes; aussi est-il la condition de tout perfectionnement intellectuel et moral, et Descartes a pu dire : « La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés. Ce qui augmente encore l'importance du langage, c'est qu'il est nécessaire, non seulement pour communiquer les idées, mais aussi pour les former. En effet, l'homme ne peut guère penser sans le secours des mots, et l'on ne saurait guère comprendre un développement de la pensée qui ne serait pas accompagné d'un développement du langage. Il y a donc intime corrélation entre l'une et l'autre; néanmoins c'est la pensée qui produit la parole, elle est antérieure au langage qui se calque nécessairement sur elle. Aussi est-ce dans la constitution de l'esprit humain qu'il faut chercher l'explication des lois du langage.
«
l'humanité tout entière, qui passe peu à peu de la vue synthétique des choses à une étude analytique.
Or, puisquela parole n'est que la représentation de la pensée, elle suit cette dernière dans toutes ses transformations;synthétique, quand l'esprit reste enfermé dans la synthèse, la langue devient analytique quand la pensée a recoursà l'analyse.
Ceci peut servir d'explication à bien des faits que présente l'histoire littéraire.
Ainsi la langue française,sortie du latin, en a d'abord les allures et le caractère; on peut s'en convaincre en lisant nos auteurs du XVIIesiècle, surtout Descartes et Bossuet, dont la langue présente une certaine analogie avec les phrases amples deCicéron.
Mais ces formes périodiques deviennent de plus en plus rares à partir de la fin du XVIIe siècle et finissentpresque par disparaître complètement de la langue.
On s'explique aussi par là combien était chimérique la propositionde Fénelon qui semblait dire que, pour enrichir notre langue, nous devrions faire des mots composés à l'imitation.
desGrecs et des Latins; la tentative malheureuse de Ronsard aurait dû l'éclairer.
Cette faculté de composition était,comme nous l'avons vu, dans le génie des langues anciennes; elle n'est pas dans celui des langues modernes.
Enoutre, l'effet le plus remarquable du caractère analytique d'une langue est de rendre l'inversion de plus en plus rare,tandis que ces inversions conviennent bien aux langues anciennes.
En effet, l'homme est un être sensible etpassionné avant de se montrer un être raisonnable, il sent, pour ainsi dire, avant de penser; aussi les poètesapparaissent-ils avant les philosophes, avant la science ; alors la pensée ne s'exprime pas dans l'ordre logique; leschoses sont désignées dans l'ordre où elles frappent nos sens ou dans le rangs que leur attribue notre passion.
C'estseulement peu à peu que.les sensations, perdant de leur vivacité, et que la raison se développant grâce à l'analyse,les constructions inversives cèdent le pas aux constructions logiques.
Ainsi dans les langues modernes laconstruction logique domine généralement, c'est-à-dire que la première place est donnée au sujet, la seconde auverbe, la troisième à l'attribut ou au complément du verbe; ainsi le veut la raison ; car d'abord il faut admettre l'êtrequi agit, puis l'action elle-même, et enfin l'objet que l'action veut atteindre.
C'est l'ordre observé par les languesanalytiques qui ne prennent, avons-nous dit, ce caractère, que quand la raison domine dans l'homme.
Sans doute ily a une certaine monotonie dans ces constructions logiques, et Fénelon l'a signalée : « On voit toujours venird'abord un nominatif substantif qui mène son adjectif comme par la main; son verbe ne manque pas de marcherderrière, suivi d'un adverbe qui ne souffre rien entre deux, et le régime appelle aussitôt un accusatif qui ne peutjamais se déplacer.
» Cette critique est plus spirituelle que juste; les langues ne peuvent réunir des qualitéscontraires; les inversions étaient dans le génie des langues anciennes et ne jetaient aucune obscurité dans laphrase, parce que les différences des cas indiquaient suffisamment les rapports des mots entre eux.
En effet, quandun mot porte avec lui le signe de son rôle grammatical et l'uniforme de son emploi, peu importe sa place dans laphrase.
Au contraire, dans les langues analytiques, les idées et leurs rapports étant indiqués par des mots isolés, lesterminaisons des noms, des adjectifs, des pronoms, des verbes, y sont naturellement très peu variées, souvent peusensibles, quelquefois nulles, par exemple en anglais ; les nombres et les genres y sont marqués par des flexionsassez insignifiantes qui n'existent souvent que pour l'oeil, « un homme célèbre, des femmes célèbres.
a Il en résulteque les inversions trop fréquentes rendraient inintelligibles nos vers et notre prose.
Aussi la liberté de constructionest-elle infiniment plus restreinte dans les langues analytiques.
On voit par là que Fénelon s'est encore trompé surce point, quand il a recommandé l'emploi des inversions, trouvant notre langue « timide et scrupuleuse » à cetégard.
Sans doute les inversions contribuent à la beauté du style, et la langue française, qui ne peut que parexception s'affranchir des règles rigoureuses de la construction logique, est par ce côté inférieure aux languesanciennes; mais elle a d'un autre côté une admirable clarté, qui en a fait la langue de la conversation, des scienceset de la diplomatie.
conclusion.
— En résumé, les faits montrent que les langues modernes sont plus analytiques que les languesanciennes, et cela se comprend, les langues dans leur marche ne pouvant que suivre celle de l'esprit qui, pourmieux.
connaître les choses, a nécessairement et de plus en plus recours à l'analyse.
Cela explique pourquoi leslangues modernes ont en général une faculté de composition très limitée, et pourquoi elles sont rebelles à l'inversion,qui n'est guère admise que dans la poésie des langues analytiques et qui, même là, est renfermée dans des bornesassez étroites..
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